le Mercredi 11 septembre 2024
le Mardi 16 avril 2024 11:30 Communautaire

«La langue, c’est notre connexion humaine» (2e partie)

  PHOTO: Franco Antonio Giovanel - Unsplash
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La Journée mondiale de la voix, fondée au Brésil en 1999, est célébrée le 16 avril pour partager avec le grand public les connaissances autour des études de la voix, dont l’orthophonie.
«La langue, c’est notre connexion humaine» (2e partie)
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Jean-Philippe Giroux – IJL – Réseau.Presse – Le Courrier de la Nouvelle-Écosse

Jessica Gallant, orthophoniste de l’école Bois-Joli, explique que l’expert(e) peut travailler dans une variété de secteurs et même devenir spécialiste, entre autres, de la dyslexie ou des troubles de communication associés à des maladies comme le Parkinson ou le cancer. 

Dans un contexte scolaire, l’orthophoniste touche à tout pour répondre à une multitude de besoins pour que les élèves cheminent sur le plan social, mais aussi académique, car un meilleur apprentissage en littératie mène à une amélioration des compétences en numératie. «Au début, tu penses que tu travailles juste sur tes objectifs, mais c’est tellement plus gros que juste un objectif de langage», dit Mme Gallant. 

Au-delà de la neurologie, on peut attribuer l’évolution langagière aux facteurs environnementaux. Être dans un milieu où il y a plus d’interactions sociales et verbales avec les jeunes peut avoir une influence positive sur la parole. 

Même parler à voix haute pour décrire chacun de ses gestes peut permettre à l’enfant d’absorber davantage. 

Plus qu’une langue

Il n’est pas nécessaire de se limiter à une seule langue non plus, mentionne Nadine LeBlanc, coordonnatrice des services aux élèves au Conseil scolaire acadien provincial, car «nos cerveaux sont faits pour apprendre plusieurs langues» et les compétences se transfèrent d’une langue à l’autre, renchérit Mme Gallant. 

Lisa Spinney-Hutton, consultante francophone de Hearing and Speech Nova Scotia, s’est lancée en orthophonie parce qu’elle est fascinée par la façon que les autres langues que l’on apprend influencent le développement de l’enfant, notamment la langue d’héritage. 

«Je peux participer dans le partage de la langue pour une future génération et ça, je trouve ça vraiment motivant et passionnant», exprime-t-elle. 

«Comme Acadienne, je comprenais déjà le lien fort entre la langue et la culture», ajoute-t-elle. 

Cette dernière travaille avec les jeunes enfants jusqu’à la maternelle. Une grande partie des familles qu’elle rencontre sont bilingues ou multilingues, exposées au russe, au mandarin, à l’arabe ou à l’allemand à la maison et à l’anglais ou au français à la garderie. 

D’après les dernières données de Statistique Canada, 6,7 % des familles néo-écossaises parlaient deux langues à la maison en 2021 et 1,4 % en parlaient trois ou plus. 

Lorsque l’orthophoniste rentre dans le portrait, c’est pour soutenir la communication, selon le contexte familial et communautaire. «Il y a une certaine responsabilité de reconnaitre pis soutenir les langues d’héritage, même si toi, comme orthophoniste, tu les parles pas», informe Mme Spinney-Hutton. 

Elle veut que les familles comprennent que l’utilisation de la langue d’héritage, «c’est vraiment un cadeau pis même si ton enfant a des difficultés ou des différences dans la communication, ton enfant est capable d’apprendre plusieurs langues. Faut pas laisser aller ce cadeau-là.» 

Des outils pour la vie 

L’orthophoniste donne au locuteur des outils pour apprendre à surmonter les obstacles au cours de sa vie, ce qui contribue à la résilience linguistique et à la sensibilisation à l’apprentissage, selon Nadine LeBlanc. 

Il ou elle déconstruit aussi les mythes qu’on peut avoir concernant le multilinguisme. «Je pense qu’on a vraiment une responsabilité de valoriser la beauté d’apprendre plusieurs langues, de citer la recherche qui dit qu’on est fort et capable d’apprendre plus qu’une langue […] et pis de valoriser l’identité culturelle qui vient avec la langue», déclare-t-elle. 

«Le bilinguisme et le multilinguisme ne causent pas de retards», complète Lisa Spinney-Hutton. Cette dernière insiste sur le fait que si l’enfant est entouré de plusieurs langues et n’utilise pas beaucoup de mots ou a de la difficulté à les combiner, il s’agit d’un problème de communication, non de multilinguisme. 

Jessica Gallant compare le bilinguisme a une bascule, qui n’est jamais 50/50 tout au long de la vie. 

Au bout du compte, la réussite revient au pourcentage de temps dévoué à une langue ou l’autre. «Des fois, on pense, “okay, il va à l’école française, c’est correct”. Mais non, il faut réfléchir à quel pourcentage ils ont dans toutes les langues, fait-elle observer, pis ça, ça va donner un indice [du type] de bilinguisme.»

Ce qui importe le plus, c’est l’engagement des parents, précise Mme LeBlanc, car l’apport et la valorisation de chaque langue influencent la capacité d’apprentissage. 

En contexte scolaire

En étant présente dans les salles de classe, Jessica Gallant est en mesure de collaborer avec les enseignants. Elle observe et note ce que les jeunes font, au lieu de seulement les voir un à un, comme un service clinique. 

Le travail sur le terrain améliore le type d’intervention et les activités qu’elle effectue avec l’élève, car elle est capable de faire le lien avec ce qui se passe à l’école. «C’est vraiment gagnant pour les orthophonistes», lance-t-elle. 

L’orthophoniste a aussi la chance de se familiariser avec les dialectes de sa clientèle, ce qui est primordial dans cette pratique pour reconnaitre la bonne prononciation, selon l’accent. 

Il est arrivé à Nadine LeBlanc de faire du coaching avec des orthophonistes d’ailleurs pour s’assurer qu’ils fassent leur évaluation en tenant compte des particularités linguistiques de la communauté.

«C’est tellement important, pis maintenant, il y a tellement d’immigrants pis tout ça. Je pense que c’est aussi notre travail […] d’avoir des personnes go to pour savoir qu’est-ce qui est un trouble de langage pour certaines langues pis qu’est-ce qui est normal», conclut Mme Gallant.