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le Mardi 3 Décembre 2019 13:48 Communautaire

Témoignage : les familles acadiennes attendaient des nouvelles de leurs bien-aimés durant les guerres

La famille d’Émilien (à Marcellin à Bazile) Chiasson de Saint-Joseph-du-Moine. De gauche à droite : Amédée, leur mère Catherine, Marie-Hélène, Eddie et Clifford.  — Rosie Aucoin-Grace
La famille d’Émilien (à Marcellin à Bazile) Chiasson de Saint-Joseph-du-Moine. De gauche à droite : Amédée, leur mère Catherine, Marie-Hélène, Eddie et Clifford.
Rosie Aucoin-Grace
SAINT-JOSEPH-du-MOINE : Le Jour du Souvenir est passé, mais les chagrins et les horreurs des guerres restent ancrés dans l’esprit de plusieurs, bien longtemps après les cérémonies du 11 novembre. On doit se rappeler des nombreuses épreuves et des nombreux sacrifices qu’ont subis nos anciens combattants.
Témoignage : les familles acadiennes attendaient des nouvelles de leurs bien-aimés durant les guerres
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     Chaque fois que j’entends un ancien combattant raconter son histoire ou que je rencontre ceux qui ne peuvent pas parler de leurs expériences même des décennies plus tard, je suis accablée par les terreurs qu’ils ont vécues et l’enfer qu’ils ont dû apprendre à endurer dès leur retour chez eux. Aujourd’hui, en leur honneur, je vous raconte l’histoire d’une famille acadienne de notre comté qui a été affectée par la guerre et qui a toujours eu recours aux prières et à la foi pour assurer le retour des membres de la famille, sains et saufs

     Il s’agit de la famille d’Émilien (à Marcellin à Bazile) Chiasson de Saint-Joseph-du-Moine. Émilien et son épouse Catherine (à Dosite AuCoin) avaient trois fils engagés dans la Seconde Guerre mondiale, Clifford, Philias et Eddie. Plus tard, un autre fils Amédée a été soldat à la Guerre de Corée. C’était une époque noire pour leur petit village, avec le rationnement de toutes sortes de choses comme le sucre, le beurre, l’essence, entre autres. La famille a passé de nombreux mois sans savoir où étaient leurs bien-aimés qui se battaient sur des terrains étrangers, dans l’attente de nouvelles.

     Marie-Hélène (Chiasson) Doucet m’a raconté son histoire en 1997. Elle a expliqué comment elle a grandi sur la propriété familiale. « Nous étions une famille très proche, dit-elle. Nous étions huit enfants, Zabine, moi-même, Édouard, Philias, Amédée, Clifford, Denise qui est décédée à l’âge d’un an et Thérèse qui est décédée à 28 ans. Nous avons été élevés, entourés de respect, d’amour et de plaisir. Les histoires, les chants et la musique faisaient partie de notre quotidien, et nous avions toujours assez de nourriture, comme le chiard ou le fricot durant les rassemblements. Nous étions pauvres, mais tout le monde était pauvre à cette époque-là et nous réussissions avec ce que nous avions. Nous travaillions fort sur la ferme, mais nous étions heureux. »

     Marie-Hélène a confié qu’elle a dû quitter la maison à l’âge de 17 ans pour gagner sa vie. « Je suis allée d’abord à New Waterford, puis à Sydney et ensuite à Halifax. Là, j’ai rencontré l’amour de ma vie, Joseph (à William) Doucet de Grand-Étang, qui était venu à notre maison visiter mes frères. À l’époque, Joseph s’était inscrit bénévolement dans les Forces de l’air à Halifax et notre romance a grandi. Nous avons été ensemble pendant quelques mois avant que Joseph soit envoyé à Terre-Neuve où il est demeuré en poste pendant deux ans et demi. Il venait chez nous quand il était en congé et nous nous sommes mariés à l’été 1943, à Saint-Joseph-du-Moine. Même le jour de notre mariage, nous devions rationner l’essence. Le plus loin que nous sommes allés fut à Magré. C’était une journée merveilleuse, nous étions tellement heureux. »

     La discussion s’est poursuivie sur l’impact de la guerre sur sa famille. « Nous étions tellement proches et avions hâte d’être ensemble de nouveau, ajoute Mme Doucet. C’était très difficile de voir des membres de la famille si loin de chez nous. Imaginez mes parents avec trois fils participant dans la guerre. C’étaient des moments horribles pour notre famille et notre communauté. Quelques paroissiens croyaient même que c’était la fin du monde. Nous priions fidèlement et nous avons réussi à survivre aux jours de guerre. »

     Joseph Doucet a été transféré à Sydney et pendant trois mois, il a été cuisinier à l’aéroport de Sydney. « Plus tard, il a été transféré au poste de radio-télégraphie à Baie Saint-Laurent pendant deux ans, où il a été cuisinier au service de neuf hommes. Ils étaient incapables de se déplacer durant les mois d’hiver et des avions laissaient tomber leurs approvisionnements sur place. Je travaillais aussi à Sydney et j’aurais préféré y rester pour continuer à travailler, gagner de l’argent et faire en sorte que le temps passe plus vite. Mais mes parents âgés étaient inquiets et ils s’ennuyaient. Ils voulaient que je déménage chez eux pour les soigner et les aider à passer ces temps difficiles. Soucieux, ils estimaient que je serais en meilleure sécurité avec eux. »

     Elle se rappelle avoir visité Joseph à Baie Saint-Laurent et s’être rendu compte qu’elle était enceinte. « La Seconde Guerre mondiale était devenue une grande menace alors que la guerre avançait, a ajouté Marie-Hélène. Je suis retournée chez moi immédiatement afin de me réfugier auprès de mes parents et amis. J’avais toujours peur que Joseph soit envoyé à l’étranger. C’étaient des moments d’inquiétude et de solitude. Je me rappelle quand ils sonnaient les sirènes. Nous devions éteindre les lumières et demeurer silencieux. »

     « La guerre a changé la vie de tous les jours dans la région, a-t-elle poursuivi. On passait des jours et des soirs entiers à écouter la radio pour recevoir des nouvelles de la guerre qui se déroulait dans des endroits qu’on ne connaissait même pas. On attendait anxieusement des nouvelles qui annonceraient que la guerre serait bientôt finie, on pleurait la mort d’un de nos soldats, hésitant à répondre au téléphone par crainte que ce soit de mauvaises nouvelles, ayant peur de recevoir un télégramme contenant de mauvaises nouvelles et priant pour que nos parents et amis retournent à la maison en toute sécurité. On n’avait pas accès à la technologie moderne d’aujourd’hui. Les familles attendaient avec anxiété les lettres des soldats. J’étais toujours heureuse de recevoir les lettres quotidiennes de Joseph et de mes frères à l’étranger. Les lettres étaient censurées et arrivaient avec diverses sections coupées. C’était une façon courante de ne pas dévoiler les lieux de bataille contre l’ennemi. »

     Marie-Hélène s’est rappelée d’un évènement. « Un jour, notre voisin Thomas Deveaux est arrivé chez nous avec un télégramme. Bien sûr, nous craignions le pire, mais heureusement, c’était pour nous aviser qu’Eddie avait été blessé, rien de sérieux, et qu’il était hospitalisé en France. La famille était perturbée, mais soulagée que ce ne soit pas un télégramme annonçant que quelqu’un avait été tué au combat. Par ailleurs, nous avons passé plusieurs mois en souhaitant et priant que Philias soit retrouvé. Ce dernier servait dans la Marine marchande partout dans le monde durant le conflit et son navire avait été torpillé plusieurs fois. Il avait manqué à l’appel trois fois. C’est par miracle que Philias a été retrouvé sur une planche flottant sur la mer. »

     Le père de Marie-Hélène parlait et lisait l’anglais. « C’était un atout pour nos paroissiens, dit-elle. Plusieurs fois, les familles ayant reçu un télégramme venaient à lui pour qu’il lise le message. Quand Freddie (à Paul) AuCoin a été capturé comme prisonnier de guerre, Paul attendit que mon père soit de retour de la pêche afin de comprendre le contenu du télégramme. Mon père était fier de pouvoir rendre ce service à la communauté. Ce n’était pas toujours facile, mais les familles avaient besoin de recevoir des nouvelles de leurs bien-aimés, bonnes ou mauvaises. »

     Marie-Hélène Doucet a poursuivi son histoire. « En mai 1945, le jour où la guerre fut déclarée officiellement finie, ma mère et moi écoutions la petite radio dans la cuisine et nous avions du mal à y croire. Nous avons couru à la porte, pleurant de joie, et nous avons crié à mon père qui travaillait dans les champs. Nous étions tous enchantés et impatients d’accueillir les garçons. Mon père n’a pas perdu de temps. Il s’est habillé immédiatement en déclarant qu’il devait aller à l’église pour prier Dieu et le remercier de ces nouvelles miraculeuses et joyeuses. Je voulais y aller aussi, mais il m’a dit que je devais rester à la maison, puisque j’approchais la fin de ma grossesse. C’était une joie incroyable. Il a fallu attendre très longtemps avant que les soldats ne soient retournés dans leurs familles. J’avais donné naissance à un fils et quand Joseph nous a rejoints, notre fils avait presque un an. Je n’oublierai jamais la nuit où mes quatre frères sont arrivés à la maison, ainsi que Joseph. Quelle joie! Quelles retrouvailles! Nous avons été très chanceux. Avec la puissance des prières, nous avons pu surmonter ces moments difficiles. »

Rosie Aucoin-Grace