le Mardi 10 décembre 2024
le Lundi 18 novembre 2024 11:00 Actualités provinciales

Élections fédérales: incertitude sur le financement des médias francophones

L’avenir de leur financement étant incertain, les médias francophones en situation minoritaire demeurent aux aguets pour les prochaines élections fédérales. — PHOTO : Andrys – Pixabay
L’avenir de leur financement étant incertain, les médias francophones en situation minoritaire demeurent aux aguets pour les prochaines élections fédérales.
PHOTO : Andrys – Pixabay
FRANCOPRESSE – À l’approche des élections fédérales, les médias francophones en situation minoritaire s’inquiètent de la pérennité de leur financement, jugé insuffisant, tandis que le Parti conservateur du Canada reste vague sur le sort qu’il leur réserve.
Élections fédérales: incertitude sur le financement des médias francophones
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La crise des médias dépasse les gouvernements, avertit Marie-Linda Lord, qui cite le règne du numérique et des réseaux sociaux, et la compétition avec les géants américains pour les revenus publicitaires.

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«L’hémorragie est là, ça, c’est clair et net», lâche la professeure à la retraite en information-communication de l’Université de Moncton, Marie-Linda Lord, faisant référence à la crise des médias.

Selon elle, la situation aurait été bien pire sans la mise en place, ces dernières années, de programmes comme l’Initiative de journalisme local (IJL). «La couverture locale aurait été beaucoup moindre», assure-t-elle.

La grande question reste maintenant de savoir ce qui adviendra de ce type de soutien gouvernemental: diminution, statuquo, augmentation ou modification?

«Ce qui fait peur actuellement, c’est le problème de clarté du programme conservateur. C’est-à-dire que ce sont des grandes phrases, comme “On va définancer [CBC]”, mais ce n’est pas accompagné de chiffres, ce n’est pas accompagné d’opérationnalisation de cette mesure», observe de son côté le président de Réseau.Presse, Nicolas Jean. Réseau.Presse est l’éditeur de Francopresse.

Tout porte à croire que le Parti conservateur du Canada remportera les prochaines élections et c’est pour cela que Réseau.Presse cherche déjà à «engager la discussion» avec lui, «pour être proactifs, pour connaitre un peu leur positionnement», précise le président.

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«Nous travaillerons avec les communautés francophones pour trouver des solutions qui mettront un terme au déclin après 9 ans du gouvernement libéral de Justin Trudeau», écrit Joël Godin.

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En attendant la plateforme

«Nous savons et reconnaissons que les médias francophones sont confrontés à des défis uniques qui nécessitent des solutions adaptées», assure le ministre fantôme des langues officielles au Parti conservateur, Joël Godin, dans une réponse écrite.

Promettant d’«agir concrètement pour freiner le déclin du français au Canada», le député parle d’«investissements» et du fait que «chaque dollar sera orienté vers des actions concrètes».

Il ne donne pas plus de détails sur ce qui sera fait pour les médias, mais indique que plus d’information sera dévoilée dans la plateforme électorale du parti.

Selon Marie-Linda Lord, les médias francophones locaux ne représentent pas nécessairement une grande menace pour le message de M. Poilievre et son parti: «Je ne pense pas non plus qu’il y aura des ambitions de nuire nécessairement.»

Leur traitement sera différent de celui réservé à des médias comme CBC ou CTV, avec qui les conservateurs ont quelques tensions, fait-elle remarquer.

«Ce sera surtout le maintien des programmes gouvernementaux qui sont là pour aider aux défis certainement financiers auxquels plusieurs sont confrontés à travers le pays. C’est ça la grande question.»

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IJL: un avenir incertain

Comme Nicolas Jean, la coordinatrice du Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire, Linda Lauzon, assure être prête à travailler avec le prochain gouvernement, peu importe le parti qui le formera. 

Sa liste de préoccupations est prête. 

Elle rappelle que le secteur attend encore «une enveloppe de publicité fédérale, pour la simple et bonne raison que c’est probablement la source de financement qui offre le plus de stabilité à [ces] médias».

«L’autre chose sur la table, c’est des programmes comme celui de l’IJL. Il y a beaucoup d’incertitudes autour de ce programme-là.»

Ce programme a été renouvelé en 2024 pour une période de trois ans, mais l’entente de contribution avec le gouvernement pour les prochaines années n’a pas encore été signée. D’après Linda Lauzon, cela pourrait attendre le début de l’année 2025 et, d’ici là, les choses ont le temps de changer. Un programme signé serait plus difficile à couper.

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Le programme est contesté par des partis d’opposition, rappelle la coordinatrice. Ils considèrent que le programme «s’ingère dans les salles de nouvelle, ce qui ne devrait pas être le cas. […] Aussi, parce qu’il dessert certains gros médias qui ont de grands moyens».

Si jamais un changement de gouvernement provoque la fin de l’IJL, le secteur s’attend à ce qu’il soit remplacé par un autre programme permettant de «desservir les Canadiens et Canadiennes en matière de journalisme civique et de journalisme local en général», affirme Linda Lauzon.

Qu’en est-il de l’accord avec Google?

L’entente Google, qui découle de la Loi sur les nouvelles en ligne (C-18), permettra à l’écosystème médiatique canadien de se diviser un chèque de 100 millions de dollars de Google par année pendant cinq ans.

Jusqu’à maintenant, la Loi a conduit au blocage de Meta et n’assure pas une compensation pour tous les médias. «Pour 95 % des médias du secteur, […] C-18 n’aura pas d’impact ou pas d’impact assez majeur», commente Linda Lauzon.

Les conservateurs n’appuient pas la Loi telle qu’adoptée. «S’ils ne décident pas de juste pousser C-18 à la poubelle, c’est possible qu’il y ait une plus grande ouverture pour rendre les mesures qui découlent de C-18 plus accessibles pour les petits médias locaux», suggère-t-elle.

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Nicolas Jean craint qu’une réduction de la fonction publique ait des conséquences sur le financement des médias.

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Un possible «goulot d’étranglement»

«Ce qui me fait peur aussi, c’est peut-être une réduction d’effectifs au sein de la fonction publique, notamment au sein de Patrimoine canadien», confie Nicolas Jean.

Bien que ce ministère, qui gère la plupart des dossiers liés au financement des médias, n’ait pas été explicitement identifié par les conservateurs comme cible, ces derniers ont parlé plus d’une fois de réduire la taille de l’appareil fédéral.

«J’ai peur que ça crée un bottleneck pour beaucoup de demandes de financement qu’on a, explique le président de Réseau.Presse. On sait que ça prend déjà beaucoup de temps, même quand tout va bien.» Un tel goulot pourrait retarder la distribution du financement aux médias, craint-il.

Les libéraux ont aussi entrepris des mesures d’austérité, ordonnant par exemple aux ministères de réduire leurs couts de fonctionnement de 3 % en aout 2023. Et dans le budget 2024, le gouvernement de Justin Trudeau précisait espérer abolir 5 000 postes de fonctionnaires sur quatre ans.

M. Jean, aussi directeur du Courrier de la Nouvelle-Écosse depuis trois ans, affirme être déjà épuisé: «Toutes les années la question se repose. Je vais pouvoir payer qui cette année? Est-ce que mon équipe de cinq va devoir passer à deux? C’est très épuisant sur le long terme.»