Si les communautés de l’Acadie de l’Atlantique, d’une part, et les populations et les individus de la diaspora, d’autre part, s’unissent autour d’une mémoire commune, il n’y a pas pour autant une déclinaison unique de l’identité acadienne ou une seule façon de se définir comme Acadienne ou Acadien.
D’ailleurs, lors du Congrès mondial acadien (CMA) 2024, c’est un coin particulier de l’Acadie – l’un des plus beaux, sinon le plus beau, diraient certains comme moi ! – que le monde entier est invité à découvrir, et où des gens venus de partout chercheront à raffermir leur sentiment d’appartenance. En retour, le caractère acadien et francophone des municipalités hôtesses d’Argyle et de Clare se verra renforcé par les manifestations culturelles et leurs retombées… C’est du moins le souhait.
Quel rôle le CMA 2024 jouera-t-il dans la revitalisation des régions hôtesses ? Quels types d’expériences connaîtront les participantes et participants, d’ici et d’ailleurs ? Quelles représentations de l’histoire et de la culture acadiennes seront privilégiées au cours des célébrations et rassemblements ? Quelles discussions auront lieu et quels liens seront tissés ? Bref, en quoi le prochain Congrès va-t-il donner une orientation à l’Acadie entière dans les années à venir ? Et comment tout cela s’organise-t-il ?
J’ai l’honneur de me trouver à la tête d’une équipe de recherche qui va justement se pencher sur ces questions. Cette initiative s’intitule « Vers l’Acadie de l’avenir : enjeux et espoirs autour du Congrès mondial acadien ». Elle bénéficie d’un financement substantiel du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, dans le cadre de son programme de « développement de partenariat ». Pluridisciplinaire et multisectoriel, notre projet s’efforcera de mieux saisir les retombées sociales de ce grand événement, et ce, en considérant l’identité acadienne dans une perspective d’intersectionnalité.
Mettons les freins tout de suite, car il y a du vocabulaire là-dedans ! Pas besoin de sortir votre dictionnaire : je me charge d’élucider quelques mots passablement opaques.
Pluridisciplinaire. Autrement dit, il y a des chercheurs et chercheuses de plusieurs disciplines comme la sociologie, la linguistique, la psychologie, l’histoire et les sciences de l’éducation. Mes collègues en sciences de l’administration et en science politique s’intéressent, entre autres questions, aux instruments d’action publique à travers l’appui des gouvernements. Les membres de notre équipe proviennent de l’Université Sainte-Anne, de l’Université de Moncton et de l’Université Carleton à Ottawa.
Multisectoriel. Notre équipe n’est pas composée uniquement d’universitaires, puisque le projet se fonde sur un partenariat avec des organismes. Et ceux-ci appartiennent à différents secteurs – d’où le terme. C’est vrai que, là-dedans, il y a trois centres de recherche rattachés à des universités, à savoir l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML), à Moncton, et, chez nous à Sainte-Anne, le Centre acadien et l’Observatoire Nord/Sud. Mais ce n’est là qu’un côté de la dimension collaborative du projet.
Le milieu associatif est bien représenté, à commencer par le Conseil acadien de Par-en-Bas et la Société acadienne de Clare. Leur participation est essentielle pour saisir les réalités locales et bien les incorporer dans notre étude. À plus grande échelle, nous comptons sur l’implication très active de la Société nationale de l’Acadie dont l’un des rôles est d’assurer la pérennité du Congrès, d’une édition à l’autre. Nous sommes particulièrement fiers de collaborer avec le CMA 2024 lui-même, dont la direction appuie nos efforts dès le début.
Enfin, l’implication du Courrier de la Nouvelle-Écosse nous permettra d’interagir dans la sphère publique. La présente chronique inaugure une série de textes à venir de la part des membres de notre équipe, et qui exploreront diverses questions liées à la vitalité de nos communautés francophones.
Intersectionnalité. Ce concept, qui nous vient du féminisme afro-américain, désigne l’interaction des différentes manifestations de la hiérarchie du pouvoir dans une société donnée, et les effets des inégalités sur certains groupes et individus. Une femme acadienne n’a pas que son identité d’Acadienne : son expérience en tant que femme va conditionner son rapport à son identité ethnolinguistique. De façon similaire, un immigré francophone du Sénégal vivant à Moncton ou à Chéticamp fait partie d’une « minorité dans une minorité », raciale et linguistique. Nous considérons que les diverses manières d’appartenir à l’Acadie – voire de remettre en question cette appartenance – doivent faire partie de nos préoccupations. La notion d’intersectionnalité sera traitée davantage dans des chroniques futures.
Pourquoi s’intéresser tant au CMA ? La pertinence de ce grand rassemblement a été soulignée dans le rapport issu d’une enquête sur le CMA 2019, menée sous la direction de mon collègue Éric Forgues, directeur général de l’ICRML :
« En raison de la portée symbolique et identitaire de l’événement et parce qu’il s’inscrit dans l’imaginaire collectif de la déportation, le CMA constitue un événement culturel qui s’impose dans l’Acadie contemporaine en conjuguant des logiques identitaire et économique. En outre, le CMA offre un espace de délibération et de réflexion permettant à l’Acadie de se définir elle-même. Ce faisant, le CMA contribue à la réinvention d’une Acadie “ici et maintenant”, tout à la fois fière d’elle-même et de son passé et soucieuse de son avenir. »
Tout le monde se rappelle que le tout premier Congrès, en 1994, a insufflé un renouveau d’affirmation identitaire dans le sud-est du Nouveau-Brunswick et que, dix ans plus tard, celui de la Nouvelle-Écosse allait laisser un nombreux legs. D’un point de vue personnel, mon premier contact avec le Congrès remonte à 1999 lorsque j’étais employé d’été au Congrès mondial acadien – Louisiane. Cette expérience m’avait ouvert les yeux sur la richesse, certes, et aussi sur la complexité des dynamiques de la diaspora acadienne.
Nous sommes à moins d’un an du CMA 2024. Sous la direction habile de Vaughne Madden, l’équipe du Congrès est en train de monter la programmation et de mener la coordination avec ses nombreux partenaires. Dans mon esprit, le succès de l’événement ne fait aucun doute. Quelles transformations suscitera-t-il, dans nos communautés locales et au-delà d’elles ? C’est bien ce que nous verrons.