le Vendredi 24 janvier 2025
le Lundi 8 avril 2024 9:00 Nouvelles

Éolien extracôtier : où en est le Canada?

Selon l’Agence internationale de l’énergie, le développement de l’éolien extracôtier devrait connaitre une croissance exponentielle dans les décennies à venir.  — PHOTO : Jesse De Meulenaere – Unsplash
Selon l’Agence internationale de l’énergie, le développement de l’éolien extracôtier devrait connaitre une croissance exponentielle dans les décennies à venir.
PHOTO : Jesse De Meulenaere – Unsplash
FRANCOPRESSE – Malgré un potentiel énorme, il n’existe aucun parc éolien extracôtier au Canada et les projets pour en créer restent rares. Pourtant, selon certains experts, cette énergie renouvelable pourrait aider le pays à atteindre ses objectifs de carboneutralité.
Éolien extracôtier : où en est le Canada?
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Pour Denis Lapalme, l’éolien en mer permettrait au Canada de diversifier ses sources d’énergie et de ne pas juste se reposer sur une seule technologie ou une seule situation géographique. 

PHOTO : Roger St-Laurent

Les réservoirs d’eau ne manquent pas au Canada, les kilomètres de côte non plus. Mais si les éoliennes sont bien implantées sur terre, elles sont encore absentes sur mer, contrairement à d’autres régions de la planète.

Pourtant, la portion canadienne de l’Atlantique possède l’un des meilleurs potentiels éoliens extracôtiers au monde, selon un récent rapport de l’institut de recherche Nergica, de Gaspé, au Québec.

Et c’est sans compter la façade pacifique du pays ainsi que les Grands Lacs, qui présentent aussi tous deux un énorme potentiel pour la production d’électricité à partir de l’énergie du vent.

«La ressource énergétique, elle est là, elle est très forte, elle est très bonne», confirme Denis Lapalme, analyste expert, recherche et innovation à Nergica.

Une énergie renouvelable

Installées au large des côtes, les éoliennes en mer se divisent en deux catégories : les éoliennes fixes, qui sont installées sur une fondation arrimée au plateau continental, et les éoliennes flottantes, qui sont construites sur des flotteurs reliés au sous-sol marin par des ancrages.

«Le gros avantage d’être en mer c’est qu’il n’y a pas de relief, donc ça donne des vents qui sont plus forts et plus constants, ce qui nous permet d’aller chercher un meilleur potentiel éolien et une énergie qui est aussi plus stable dans le temps», explique Denis Lapalme, analyste à l’institut de recherche Nergica.

Selon l’étude de Nergica, l’éolien extracôtier constitue aussi un «avantage indéniable» pour aider le Canada à atteindre la carboneutralité d’ici 2050 et répondre aux besoins énergétiques conséquents du pays.

Mais alors, comment expliquer que le Canada n’exploite actuellement aucun parc éolien extracôtier?

Les parcs éoliens extracôtiers sont généralement trois à quatre fois plus grands que leurs homologues terrestres, observe Ryan Kilpatrick. 

PHOTO : Vanessa Cuglietta CanmetÉNERGIE Ottawa

Nouvelle règlementation

Des projets ont déjà vu le jour, mais aucun n’a abouti. Notamment «parce qu’il n’existait pas de règlementation spécifique», analyse Ryan Kilpatrick, ingénieur chez CanmetÉNERGIE à Ottawa, un centre de recherche de Ressources naturelles Canada.

«Et aussi parce que les provinces n’étaient pas en mesure d’accepter l’énergie générée par ces projets extracôtiers. Mais la situation commence à changer», assure-t-il.

Le gouvernement fédéral collabore actuellement avec la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador pour établir un régime de règlementation qui encadrera le développement de l’énergie renouvelable en mer.

«Cela permettra au Canada atlantique d’accéder à un marché mondial de l’énergie éolienne en mer estimé à 1000 milliards de dollars», avance Ressources Naturelles Canada dans un courriel envoyé à Francopresse.

Un premier parc éolien extracôtier devrait voir le jour au large de la Nouvelle-Écosse.

À lire aussi : Le premier parc éolien extracôtier sera construit en Nouvelle-Écosse (Le Courrier de la Nouvelle-Écosse)

Défis techniques

En attendant, les projets éoliens extracôtiers se font attendre au pays.

«Au Québec et en Colombie-Britannique, il y a déjà beaucoup d’énergies renouvelables, donc il n’y a pas nécessairement besoin de faire une transition immédiate», remarque Denis Lapalme.

L’expert avise aussi que l’énergie éolienne est relativement récente et qu’elle s’accompagne d’obstacles physiques non négligeables. Le Québec, l’Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick et Terre-Neuve-et-Labrador comprennent par exemple beaucoup de mers givrantes, «ce qui complexifie» l’exploitation d’éoliennes, souligne-t-il.

Autre défi : la profondeur de la mer. À l’Ouest, par exemple, «on se retrouve très rapidement à 2000 m de profondeur», détaille Denis Lapalme. Or, une éolienne s’installe généralement jusqu’à 200 m de profondeur.

Dans les Grands Lacs, la contrainte est davantage logistique : comment transporter le matériel d’une écluse à l’autre le long de la voie maritime? De plus, le vent y est «légèrement moins bon», ajoute l’analyste.

Une énergie d’avenir?

Dans un rapport (en anglais seulement) publié en 2019, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) affirme que l’éolien extracôtier va connaitre un essor impressionnant dans les décennies à venir. Déjà, entre 2010 et 2018, le marché mondial de l’éolien sur mer a connu une croissance de près de 30 % par an. Pourtant, les pays sont loin d’exploiter tout le potentiel de l’éolien.

L’éolien extracôtier pourrait générer plus de 420 000 térawattheures par an dans le monde, soit «plus de 18 fois la demande mondiale d’électricité actuelle», avance l’AIE.

La capacité des parcs éoliens en mer pourrait être multipliée par 15 d’ici 2040.

En matière de vents, la façade atlantique du Canada est comparable à «ce qu’on trouve en mer du Nord, la région la plus développée en éolien extracôtier présentement», commente Denis Lapalme.

PHOTO : Julien Cayouette

Une expertise déjà présente

Malgré ses atouts, l’éolien extracôtier demeure une énergie «dont le cout est nettement plus élevé que celui de l’éolien terrestre et du solaire», justifie le ministère de l’Énergie, des Mines et de l’Innovation en matière de faibles émissions de carbone de la Colombie-Britannique par courriel.

Cependant, grâce à la maturation des chaines d’approvisionnement, les couts sont en voie de diminuer, affirme Ryan Kilpatrick.

«La construction et l’exploitation d’éoliennes en mer peuvent avoir des incidences sur l’environnement, notamment sur la vie marine, les oiseaux migrateurs et la navigation», ajoute le ministère britannocolombien.

«Dans la majorité des projets qui ont été menés dans le monde, les premiers groupes à avoir des inquiétudes, ce sont les pêcheurs. Quand vous avez des éoliennes, vous êtes obligés de fermer une zone de mer et la circulation entre ces éoliennes […] Donc ça ferme des zones de pêche», prévient Denis Lapalme.

Mais selon lui, l’installation d’éoliennes en mer peut aussi s’avérer bénéfique pour les écosystèmes locaux : «Cela peut créer une espèce de relief artificiel où différentes espèces peuvent venir habiter la fondation.»

Le Canada bénéficie déjà d’une expertise industrielle en la matière, souligne Denis Lapalme. «L’expérience en offshore, elle est là. On peut bénéficier des leçons apprises de l’énergie fossile extracôtière, des plateformes pétrolières et gazières, et essayer de ramener ces connaissances-là vers les éoliennes extracôtières.»

«Il y a beaucoup de personnel déjà formé, du personnel compétent qui a peut-être besoin juste de formation supplémentaire pour changer un peu de branche, mais on ne part pas nécessairement de zéro», poursuit-il.

Potentiel technique de l’éolien en mer au Canada. Pour plus d’informations : https://globalwindatlas.info/fr  

PHOTO : GWEC/OREAC

Établir des limites

Si de grands parcs peuvent produire «beaucoup d’énergie», il faut aussi en établir les limites, prévient l’expert.

«Il faut laisser la place aux pêcheurs pour qu’ils continuent leur activité économique, il faut laisser la place aux espèces animales et avoir des zones protégées», argumente Denis Lapalme.

Certains projets peuvent aussi s’accompagner d’une opposition des populations locales. C’est pourquoi il est essentiel de «répondre aux préoccupations et de garantir une participation significative des communautés locales», rappelle Ryan Kilpatrick.

L’éolien extracôtier doit être développé, mais de manière responsable, insiste-t-il, «avec la collaboration entre les différents niveaux de gouvernement et les communautés, les groupes autochtones qui pourraient être impactés».