Jean-Philippe Giroux
IJL – Réseau.Presse – Le Courrier de la Nouvelle-Écosse
Sous une lentille sociolinguistique, l’objectif de l’auteur de la thèse, Daniel Boutin, était d’étudier l’effet de la période de transition entre l’adolescence et la vie d’adulte (Emerging Adulthood) – marqué par l’incertitude et les questionnements de vie – sur le rapport que les jeunes adultes scolarisés dans une langue minoritaire ont avec cette dernière.
Il tente aussi de démystifier le concept de l’auteur(e) acadien(n)e Céleste Godin, le «brouillard anglais», soit l’idée que la communauté francophone d’Halifax, malgré la force de son appareil et de ses institutions, perd plusieurs jeunes au profit de la culture anglophone, à la suite de la remise du diplôme d’études secondaires.
«Moi, je voulais un petit peu mettre une nuance sur cette idée-là, explique M. Boutin, de comme, de quoi on parle, quand on parle du brouillard? Est-ce qu’ils sont vraiment sitant perdus qu’on le pense, pis qu’est-ce que les gens font de leur vie pis comment est-ce qu’ils vivent leur francophonie, s’ils étaient par engagé dans ce stuff-là, dans les organismes jeunesse, dans les évènements culturels?»
Il fait remarquer qu’il peut être difficile, sur le plan logistique, d’aller chercher des données sur les gens de cette tranche d’âge, car ils ne sont plus dans les écoles et, très souvent, travaillent en dehors des institutions francophones.
Ils ont aussi des parcours variés et non linéaires, ce qui complique le travail des chercheurs.
Quand le rapport est ambigu
Daniel (Jean-Pierre) Boutin a grandi à Halifax, scolarisé dans les écoles francophones de Dartmouth.
Il est issu d’une famille québéco-acadienne, ayant toujours eu, d’une part, un pied dans ces deux cultures et, d’autre part, une vue de l’extérieur. «Ça l’a fait en sorte que, dès un jeune âge, j’avais une conscience de ces différences culturelles là», raconte-t-il.
Durant ses années formatrices au Conseil Jeunesse Provincial (CJP) de la Nouvelle-Écosse – qu’il mentionne à quelques reprises dans son étude -, il a commencé à se poser des questions sur l’identité francophone et acadienne et comment on s’y rattache.
Le sociolinguiste a fait des études à l’Université d’Ottawa, où il a obtenu une mineure en études des francophonies. Il est passé à travers le corpus d’études sur, entre autres, le travail des organismes jeunesse et les tensions qui existent au sein des francophonies, mais il s’est aussi penché sur les questions qui n’ont pas autant été explorées.
C’est ce qui l’a mené à inclure la perspective des gens avec qui il est allé à l’école. «Une chose que je voyais souvent pas représentée dans l’écriture académique que j’étais en train de consommer, c’était les expériences que moi j’avais eues et que mes paires avaient eues au secondaire.»
«De comme, il y a une connexion envers la langue pis il y a cette affinité envers le français parce que ça fait partie d’une grosse partie de notre parcours. Mais, des fois, il y avait cette aversion envers la langue pis y’avait une sorte de tension entre, “je m’y associe, mais en même temps, on me l’impose”.»
La thèse de M. Boutin présente les témoignages de sept participant(e)s, tous d’anciens étudiant(e)s du Conseil scolaire acadien provincial (CSAP) ayant fait leurs études dans la région de Halifax.
Chacun d’entre eux a une relation ambivalente avec le français, une affinité avec la langue et des représentations linguistiques qui sont propres à leur parcours de vie.
«Moi, je m’intéressais plus à faire connaitre la réalité des gens qui se faisaient pas toujours représenter pis qui se faisaient souvent mettre à l’écart», précise-t-il.
Parmi les données qualitatives de l’étude, l’on découvre des témoignages écrits des participants qui se sont livrés. Ils ont parlé de leur identité et de leur relation avec certaines idéologies linguistiques communes au sein de la communauté, dont le monolinguisme et le bilinguisme ainsi que la standardisation de la langue.
Le fil rouge est que chacun d’entre eux vit leur francophonie d’une manière ou d’une autre, mais dans un entredeux. Le français n’est pas présent de la même façon qu’autrefois, mais il réapparait quand même dans leur vie de jeune adulte.
«Il n’y a pas nécessairement une manière prescriptive de participer dans la langue française ou de même avoir un lien avec la francophonie, dit le sociolinguiste. Le gros constat de ma thèse, c’est que les gens sont pas nécessairement perdus dans le brouillard.»
«Il y a, en fait, beaucoup de choses qui se passent dans ce brouillard-là, à l’extérieur de ce qu’on voit dans la francophonie institutionnelle», conclut-il.