le Mardi 3 octobre 2023
le Mercredi 1 mars 2023 10:00 Non classé

Raconter des histoires authentiques : Halifax accueille la 7e édition du Black Film Festival

Le Black Film Festival (BFF) s’est déroulé du 24 et le 28 février.  — PHOTO(S) - Henri-Dominique Paratte
Le Black Film Festival (BFF) s’est déroulé du 24 et le 28 février.
PHOTO(S) - Henri-Dominique Paratte
Dans l’histoire de l’Île de la Tortue, nom originel de l’Amérique du Nord, peuplée par des gens nommés des « Indiens » par des colonisateurs européens qui se croyaient en Inde ou en Chine, trois groupes humains se sont trouvés marginalisés, alors que l’anglophonie blanche (États-Unis ou empire britannique) se proclamait maîtresse des lieux : les autochtones, les francophones, et les noirs.
Raconter des histoires authentiques : Halifax accueille la 7e édition du Black Film Festival
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Ces trois groupes n’étaient pas les seules victimes d’un système élitiste fondé essentiellement sur la richesse et la production de richesses à tout prix, mais à la différence d’autres groupes, ils ont longtemps été réduits à être dépourvus de pouvoir, même pour leurs propres communautés. Dépourvus aussi, souvent, d’une véritable image d’eux-mêmes qui ne soit pas déformée par le pouvoir des élites dominantes. 

On ne peut donc pas considérer comme un mal que les choses changent aujourd’hui, au contraire. Et il ne faudrait pas non plus amalgamer trop facilement les besoins de communautés ou de groupes qui ont des différences notoires entre eux, en commençant par le fait que l’Acadie moderne se vive plus que jamais en français, alors que relativement peu de Noirs de la Nouvelle-Écosse ou de membres des communautés L’nu (Mi’kmaq) sont bilingues ou francophones. 

En commun, cependant, ils ont dans la société complexe qui s’est développée sur les terres qui n’ont jamais été cédées aux Européens un objectif évident : affirmer leur dignité et le développement de leurs communautés. Cela passe, en particulier, dans le monde très médiatisé ou nous vivons, par la capacité des groupes de raconter leur(s) histoire(s). Et quoi de mieux pour permettre à tous et à toutes de partager ces histoires, en plus de tables rondes ou de lectures, que des films, allant du court métrage au film de fiction ? 

De gauche à droite : Tina Murphy de la banque TD et partenaire du BFF, Sophie Afriat, organisatrice du BFF, Harmony Adesola, cinéaste et modérateur, Fabienne Colas, fondatrice et présidente de la Fondation Fabienne Colas, Émile Castonguay, fondateur et responsable et Peter Owusu, représentant de la banque TD. 

Si le Black Film Festival d’Halifax s’affiche donc en anglais, il n’en est pas moins la création de deux personnes extraordinaires, toutes deux francophones, qui ont créé une dizaine d’autres festivals et des programmes visant à permettre à de jeunes cinéastes des communautés afro-canadiennes de se familiariser avec toutes les étapes nécessaires à raconter en film des histoires que seuls peuvent raconter de manière authentique les membres de la communauté. 

Fabienne Colas, que j’avais eu l’occasion de rencontrer dès le 1er festival, est la porte-parole de la Fondation Fabienne Colas : actrice, animatrice et femme d’affaires d’origine haïtienne, elle travaille avec Émile Castonguay depuis des années. On doit constater que sa volonté de créer un environnement cinématographique « noir » authentique est un réel succès et permet à de plus en plus de jeunes de s’exprimer. Tables rondes, courts métrages, longs métrages, cette édition « en personne » du festival permettait à nouveau de se rencontrer en ville après avoir dû le faire en ligne durant la pandémie. 

Le site du festival, entre le 24 et le 28 février, permet donc de se familiariser avec des programmes et de visionner un nombre considérable de films. Si le but est de développer un intérêt dans la communauté noire pour raconter des histoires authentiques, par contre le public qui se pressait, entre autres, à l’ouverture et à la clôture officielle (mais le site en ligne continue) était loin d’être d’une seule « couleur » – sans voir la diversité même d’origines et d’expériences au sein de la communauté afro-néo-écossaise elle-même : être minoritaire n’enferme pas la minorité dans une seule identité !

Nombreux sont ceux qui ont pu vibrer émotionnellement – puisque tel est le but, en définitive, de tout film, surtout de long métrage – durant le film irlandais Aisha, présenté en ouverture : la difficulté d’être d’une jeune femme nigériane, isolée en Irlande après des épreuves difficiles au Nigeria, et découvrant l’amitié, mais aussi la solitude et la cureté implacable des autorités d’immigration. 

S’il faut être toujours prudent et ne pas stéréotyper les Africain(e)s comme des pauvres et des migrant(e)s, comme le rappelle dans une conférence la romancière Chimamanda Ngozie Adichie, il est important par contre d’être humain et de comprendre les situations complexes, difficiles et parfois invivables qui peuvent se présenter lorsqu’on doit refaire sa vie quelque part. Un film dur, mais beau, et une magnifique performance d’actrice de Laetitia Wright. Il n’était pas difficile pour Fabienne Colas de rappeler que, si toutes les expériences sont différentes, elle était elle-même une immigrante, il y a quelques années…

Le film de clôture officielle Raised Up West Side posait un problème intéressant : y a-t-il un regard différent pour un cinéaste états-unien blanc lorsqu’il présente un projet remarquable de développement agricole dans un environnement noir de Chicago où règnent souvent pauvreté, insécurité, violence et impossibilité de se nourrir correctement ? Le film, remarquable à bien des égards, touchait à quantité de domaines, allant de la réinsertion sociale d’anciens prisonniers à la culture agroponique et aux besoins fondamentaux de développement et d’éducation. 

La discussion avec Brett A. Schwartz, en direct depuis Chicago, a été animée et a certainement stimulé des idées de films à venir, pour la prochaine génération de cinéastes noirs de la Nouvelle-Écosse. 

Et, même si le festival s’affiche en anglais, si vous être noir, francophone, et avez plein de volonté de raconter des histoires en film, n’hésitez pas à prendre contact. J’en profite pour remercier Sophie et toue l’équipe de merveilleux bénévoles qui, en plus de la fondation Fabienne Colas et de nombreux parrains dont la banque TD, permettent à ce festival d’exister et de continuer. 

Notons que le texte de la conférence de la romancière nigériane Chimamanda Ngozi Adichie Le danger de l’histoire unique est inclus dans le petit livre Nous Sommes Tous des Féministes qui sera l’objet de la première rencontre du club de lecture féministe qui se réunira pour en parler le 8 mars à 19 h, via Zoom

Pas plus que le film Aisha n’était limité à un public féminin, les textes littéraires ne sont  pas limités à un seul genre de public. C’est en fait une coïncidence que la jeune femme dans Aisha soit d’origine nigériane, comme la romancière ! Le monde change…