le Mardi 3 octobre 2023
le Mercredi 22 février 2023 10:00 Non classé

Mois du patrimoine africain : la musique d’Haïti sous un regard historico-politique (1ère partie)

Troupe de musiciens de style « rara » répétant pour le carnaval 2020 en Haïti. — PHOTO(S) - Erwin509 (Wikimedia)
Troupe de musiciens de style « rara » répétant pour le carnaval 2020 en Haïti.
PHOTO(S) - Erwin509 (Wikimedia)
Ce mois de février est titré Mois du patrimoine africain en Nouvelle-Écosse. Cependant, nombreux sont les Néo-Écossais qui ignorent non seulement la richesse du patrimoine immatériel africain, mais aussi comment il a nourri d’autres cultures. Il s’agira ici d’explorer les traditions musicales d’Haïti, en commençant par l’influence de l’Afrique par l’intermédiaire des esclaves marrons.
Mois du patrimoine africain : la musique d’Haïti sous un regard historico-politique (1ère partie)
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1791 est une grosse année dans l’histoire de l’humanité. Alors que l’Europe et l’Amérique du Nord connaissent des bouleversements politiques, notamment l’inauguration de la monarchie constitutionnelle en France et, ici au Canada, l’Acte constitutionnel qui crée le Haut-Canada et le Bas-Canada, dans les Antilles, c’est le début de la Révolution haïtienne. 

Sur le territoire qu’occupe actuellement la République d’Haïti eut lieu la cérémonie du Bois-Caïman, une réunion d’esclaves marrons originaires d’Afrique, dans la nuit du 14 au 15 août. Lors de cette cérémonie, qui est considérée en Haïti comme l’acte fondateur de la révolution et de la guerre d’indépendance, des tambours accompagnés de danses et de chansons populaires étaient au rendez-vous. En conséquence, inutile de dire que ces esclaves originaires d’Afrique marquent de leur empreinte la musique haïtienne. 

Des traditions musicales d’une grande variété 

Le Konpa direct, créé par Nemours Jean-Baptiste en 1955, devient indubitablement le genre musical le plus populaire en Haïti. Nemours a défini son rythme comme une dérivation des airs que jouaient les soldats en parade au Champ-de-Mars. Toutefois, la musique se jouait partout sur le territoire après l’indépendance en 1804. 

Cependant, c’est avant la création du Konpa, soit à la première moitié du 20e siècle, que les styles de musique d’origine africaine, parmi d’autres, étaient en plein essor en Haïti. Les plus populaires étaient la Méringue, le Folklore, le Troubadour, la musique Yéyé et peu ou prou le Rara. 

D’abord, la Méringue est une musique élitiste qui se jouait dans les salons. Selon Jean Fouchard, auteur de La méringue, danse nationale d’Haïti (1988), le mot « méringue » tire son origine d’une danse bantoue nommée « mouringué », des esclaves du Mozambique. 

Quant à la musique folklorique, celle-ci se jouait partout en Haïti. Le Troubadour (en créole haïtien « Twoubadou ») a gagné le cœur de nombre Haïtiens à partir des années 1940 jusqu’aux années 1970 et 1980. Les groupes ayant joué le Troubadour étaient formés de trois ou quatre musiciens. Le Troubadour portait aussi le nom de « Grenn siwèl ». Aujourd’hui, cette musique se joue encore avec des instruments acoustiques ou électro-acoustiques comme la guitare, le tambour, les tcha-tchas et l’accordéon. 

On ne saurait oublier le Rara qui se jouait principalement entre la période du carnaval et les Pâques dans les milieux urbains du pays par l’entremise de bandes à pied. 

La musique haïtienne allait connaitre une autre tournure avec la création du Konpa direct au cours des années 1950. À la différence de plusieurs genres musicaux, le Konpa a un état civil, car on connait non seulement son père, mais aussi sa date et son lieu de naissance. Ce rythme est créé le 26 juillet 1955 à la place Saint-Anne à Port-au-Prince, par Nemours Jean-Baptiste, guitariste et saxophoniste. Le terme lui-même signifie « mesure » ou « rythme ». 

Dans son livre titré 30 ans de musique populaire haïtienne, Jean Sylvio Jean-Pierre explique que le Konpa serait dérivé de la méringue. Cependant, Raoul Guillaume, un grand maestro haïtien, croit que le Konpa viendrait plutôt de la République dominicaine. 

S’il y a des divergences en ce qui concerne les origines du Konpa, il n’y a aucun doute que cette musique fait danser une myriade de mélomanes tant en Haïti qu’à l’étranger. Ce style a vu poindre des groupes et artistes géants. Aujourd’hui, les orchestres Septentrional et Tropicana sont les plus anciens groupes Konpa. Formées respectivement en 1948 et 1963, ces deux orchestres qui, à travers leur signature sonore qui ne sont pas réellement des promoteurs du Konpa direct pur, font la fierté des Haïtiens en général et celle des Capois (habitants du Cap-Haïtien, deuxième ville d’Haïti) en particulier. 

Certains groupes et artistes s’offraient toujours en spectacle dans divers pays du monde, surtout en Afrique. D’ailleurs, selon le journaliste et chercheur Aly Acacia, une ministre de la Côte-d’Ivoire, Odette Sauyet, aurait présenté des hommages officiels au footballeur et musicien Coupé Cloué. Une fois où Coupé Cloué jouait au Sénégal, le président du pays est monté sur une scène pour saluer l’artiste iconique. Notamment, c’est en Afrique qu’on lui a proclamé le titre « Roi ». 

Quant à Tabou Combo, il a déjà réalisé des tournées en Europe, au Japon et aussi en Afrique. Outre le titre « New-York City » de Tabou qui est connu comme un succès mondial, d’autres tubes de ce groupe se trouvent dans de grands films.

Pendant longtemps, la politique en Haïti n’avait pas trop d’influence sur la musique. Toutefois, le chercheur Jean Coulanges affirme que le contexte socioéconomique aurait favorisé l’apparition de la musique Yéyé en Haïti. Jean Sylvio Jean-Pierre affirme aussi que la musique Yéyé a été introduite en Haïti en raison de la faiblesse du pouvoir politique en place. 

« En 1957, écrit-il, devant l’impuissance du pouvoir politique d’apporter une réponse politique, économique, sociale et culturelle adéquate aux problèmes nationaux, la bourgeoisie va imposer ses produits musicaux dans les villes haïtiennes. » 

Au cours de cette période, la musique étrangère et la tenue vestimentaire des musiciens comme Elvis Presley, Fausto Papeti, Ray Charles… envahissent les jeunes d’Haïti. Notamment, le Yéyé est un courant musical ayant émergé au début des années 1960. Adoré des baby-boomers, nés après la Seconde Guerre mondiale, le Yéyé a pour antécédents le R & B, le Rock n Roll et le Jazz, pour ne citer que ceux-là.

Un disque du groupe de Nemours Jean-Baptiste, créateur du Konpa direct, le genre musical le plus apprécié en Haïti.

Quelques figures iconiques de la musique haïtienne 

Une pléiade de musiciens légendaires a marqué le rythme de Nemours Jean-Baptiste. Nous pouvons citer, entre autres, Dadou Pasquet, Shoubou, Ti Manno, André et Fred Dejean ainsi que Ulrick Pierre-Louis. 

Depuis quelques années, d’autres musiciens font valoir la musique haïtienne à travers leurs talents. Si ces artistes ont assaisonné la musique haïtienne de leurs épices après la création du Konpa, force est de constater qu’Haïti a connu d’autres musiciens ou groupes chevronnés bien avant la création du Konpa. 

Nous pouvons les appeler les figures iconiques pré-compas. Citons, entre autres, Occide Jeanty, Ludovic Lamothe, Justin Élie et Guy Durosier qui furent l’une des premières vedettes de la musique haïtienne au cours des années 1940, Issa El Saieh et son orchestre, sans oublier Le Jazz des jeunes, fondé en août 1943, qui a été présent sur scène pendant plusieurs décennies.

Tout compte fait, on ne peut aucunement parler de l’histoire de la musique haïtienne en ignorant l’Afrique qui, à travers ses traditions, l’a si bien nourrie. Ce constat soulève bien des questions quant aux rapports entre la musique haïtienne et la politique, d’une part, et à l’évolution ultérieure du Konpa, d’autre part. La deuxième partie de cette chronique donnera une réponse à ces interrogations.