La vente fut signée vers la fin de 1943, cédant la propriété conjointement aux deux messieurs. Le Manoir Appleton était à l’abandon et avait besoin de travaux importants, alors la nouvelle qu’on l’avait achetée pour la conserver est bien reçue, au début.
Par contre, cela allait changer lorsque les deux messieurs, qui vivaient dans l’immeuble depuis plusieurs mois, commenceront à convertir le rez-de-chaussée du bien-aimé manoir Appleton en studio de danse.
Les rues de Beacon Hill s’illuminaient de rumeurs d’hommes en slip caracolant dans tout le quartier et la Beacon Hill Association dépose une plainte contre le maître danseur pour sauver le quartier de son Académie.
Pour comprendre le contexte et la complexité, je me tourne vers le récit de Lorita sur la débâcle.
Voici un extrait traduit du mémoire Life at ’54 de feue Lorraine ‘Lorita’ Ash, danseuse et institutrice à l’Académie Robicheau : « Si Robicheau avait l’illusion d’être le bienvenu sur la rue Beacon, il s’en est vite désabusé. On ne peut pas simplement acheter une maison sur la rue ensoleillée de Boston pour ensuite devenir l’une de ses élites […] il y avait une opposition pure et simple sur ce principe à l’établissement de cette entreprise sur la rue la plus sacrée de Boston. »
Elle poursuit : « Le fait que l’entreprise était une école de ballet […] a évoqué pour les voisins des visions cauchemardesques de Sylphs, Willis et Nijinskis en herbe, se chamaillant avec licence sur les locaux et le trottoir. Les journaux de Boston, toujours à l’affût de la Une intéressante, publiaient des reportages et des photos; les caricatures figuraient des danseurs flamboyants, planant en grands gestes sur le commun. »
Au printemps 1944, une femme du nom de Susan H. Nash avait réussi à convaincre les membres de la Beacon Hill Association de voter à l’unanimité contre les règlements de rezonage qui permettraient une école de ballet au 54, rue Beacon.
L’avocat Romney Spring enregistrerait la protestation de l’association et une audience a été tenue par la Ville de Boston.

54 & 55 rue Beacon, vers 1912.
Le Boston Globe du 3 mai 1944 rapporte de cette audience que « certains des intervenants ont même laissé entendre que quelque chose était « détestable moralement”, ce qui rend actuellement perplexes les membres du comité d’appel de la ville de Boston qui ont écouté pendant une heure et demie ce matin les arguments pour et contre la création d’une école de ballet sur Beacon Hill. »
Dans ce même article, on peut lire : « Plus de 50 des résidents de Beacon Hill les plus connus de Boston se sont entassés dans une petite salle d’audience au neuvième étage de l’annexe de l’hôtel de ville pour enregistrer leur désapprobation d’un appel demandant l’autorisation de rénover le bâtiment au 54, rue Beacon afin qu’une école de ballet soit établie là-bas. »
Pour Robicheau, il a soutenu que les règlements de zonage de la ville autorisent déjà de tels établissements d’enseignement, mais l’opposition de la Beacon Hill Association a soutenu que « l’éducation, c’est par rapport à l’autre extrémité du corps ».
L’Association Beacon Hill ne s’était jamais opposée à aucune des autres écoles de danse de leur district, et cela fut noté à l’audience.
On rapporte dans le Boston Globe que « Beacon Hill n’a aucune objection au ballet, sauf sur Beacon Hill » et son édition du 4 mai 1944 souligne que « Marion C. Nichols a qualifié le ballet d’art et a déclaré qu’elle aimait voir les jambes bien traitées, mais pas à proximité de son domicile au 57, rue Mt Vernon ». Monsieur Robicheau a protesté qu’il est injuste pour son travail d’appeler le ballet un « spectacle de jambes ».
« Eliot Henderson du 8, rue Newbury, l’agent immobilier qui a vendu la maison au maître de danse, a déclaré qu’il ne pouvait pas imaginer pourquoi les résidents de Beacon Hill se plaignaient. Ils ne soulèvent aucune objection à ce que le Women’s Republican Club organise des fêtes avec un orchestre complet jusqu’à 2 et 3 heures du matin. »
L’avocat de Robicheau a déclaré au comité d’audition : « Le ballet ne consiste pas à montrer les jambes, comme certains des opposants à cette pétition l’ont soutenu. De plus, la présentation des jambes n’a rien de nouveau à Boston et Robicheau ne peut pas créer de fureur de cette façon. Mais l’art de manœuvrer les jambes, c’est précisément une autre chose. »
Perplexe devant l’étrange procédure, la commission d’appel a choisi de réserver sa décision, sans toutefois prononcer une résolution.
La débâcle de l’Académie Robicheau est parfaitement comparable aux événements de Stonewall à New York, une vingtaine d’années plus tard. Les manifestations sur Beacon Hill continuent pendant des semaines.
Les manifestations ont même obligé le report de l’ouverture de son école. Il loue de nouveau un studio dans le bâtiment Pierce, étant donné qu’il avait donné un préavis à l’immeuble Steinway.
Alors qu’Adolphe arrivait peut-être à dissiper les craintes du voisinage, son frère Arthur Robicheau a avoué plus tard une tournure beaucoup plus étonnante. Quoi qu’il se soit réellement passé, le tour impliquait John F. Fitzgerald.
D’après le récit de Lorita, « des rumeurs ont circulé. Arthur Robicheau se souvenait très bien de l’opposition que son frère aîné avait rencontrée et de l’aide reçue d’un homme politique, un homme qu’ils appelaient ‘Fitz. Je crois qu’il était lié aux Kennedy, le père de Rose. Selon Arthur, ce même homme avait obtenu pour Robicheau le travail d’organiser les pageants du 4 juillet sur le Boston Common, peut-être trois années de suite. »
Le manuscrit n’offre aucune autre précision, mais il est certain que l’ancien maire de la Ville de Boston, « Honey Fitz », alors âgé de 88 ans, a su intervenir dans l’acceptation des deux gentlemen d’une école de ballet sur la Beacon Hill. Les procès-verbaux de l’audience ne sont pas numérisés.
Il n’y a pas eu d’inauguration ou d’autre cérémonie pour marquer l’ouverture de la Beacon Hill Academy. « Nous avons juste arrêté d’aller à un local, et commencé à l’autre », d’après les souvenirs d’Olive Oteri et de Constance Paton, étudiantes de l’école.
Aucune affiche ou enseigne n’ont signalé l’existence de l’école sur l’immeuble, et Adolphe se tiendra à une déontologie stricte pour ses élèves à l’intérieur et à l’extérieur du 54, rue Beacon : pas de groupes à l’extérieur, pas de costumes de danse visibles sous les manteaux, ni de pointes de ballet ou de chaussures de danse aux pieds, en entrant ou en sortant.
Lorsque l’écrivaine Virginia Pearson loue un appartement dans le bâtiment, les règles se sont étendues pour inclure les couloirs et l’entrée principale.
En ce qui concerne la mauvaise presse, Robicheau a déclaré plusieurs années plus tard : « Cela me dérangeait à l’époque, mais il s’avère que je n’aurais pas pu acheter la publicité que cela m’a apportée. »
En 1959, Adolphe chorégraphie une comédie satirique résumant le début turbulent du « groupe d’artistes bohémiens sur la Beacon Hill ». Elle fut présentée à la salle Exeter de l’Université de Boston.
L’Académie de ballet Robicheau deviendra une véritable institution et sera considérée comme une école de maîtrise jusqu’à sa fermeture en 1981, l’année où il y a eu cérémonie, souvenirs, discours, remerciements et hommages aux deux gentlemen.
Le dernier mot
Il est remarquable de noter que Henry Wadsworth Longfellow a autrefois fréquenté ce bâtiment. Ceux qui connaissent ses œuvres reconnaîtront la maison, car les détails précis de l’intérieur sont bien décrits dans ses mémoires.
Longfellow a épousé Fanny Appleton, la fille de Nathan Appleton du 54, Beacon Street, qu’il a courtisée pendant de nombreuses années.
Il n’y a aucun lien direct entre Adolphe et Longfellow. Ils sont séparés par des générations. Longfellow est mort bien avant la naissance d’Adolphe. Cependant, même si Robicheau n’achètera la maison qu’en 1944, il aurait certainement été au courant de ce lien en tant que maison d’enfance de sa femme, Fanny.