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Pourquoi les Néo-Écossais devraient-ils respecter Senghor ?

Rencontre entre Léopold Sedar Senghor (gauche), alors président du Sénégal, et Amadou-Mahtar M'Bow, directeur général de l'UNESCO.  — PHOTO -  Jasmine Halki; UNESCO/Dominique Roger
Rencontre entre Léopold Sedar Senghor (gauche), alors président du Sénégal, et Amadou-Mahtar M'Bow, directeur général de l'UNESCO.
PHOTO - Jasmine Halki; UNESCO/Dominique Roger
Si le français est minoritaire en Nouvelle-Écosse et qu’il est rongé par l’anglais, il y a quand même plusieurs institutions qui réservent peu ou prou une place à la Francophonie. Certaines de ces institutions valorisent la langue et la culture françaises dans les différents services qu’elles offrent, d’autres donnent des accompagnements aux immigrants francophones.
Pourquoi les Néo-Écossais devraient-ils respecter Senghor ?
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Il est évident que cette province maritime n’ignore pas ce qu’est la Francophonie, mais accorde-t-elle une place à Léopold Sédar Senghor, l’une des têtes pensantes de cette structure à l’échelle mondiale ? Connait-elle réellement ce que devrait représenter Senghor aux francophones de tous les coins du monde ? Dans les lignes qui suivent, je vais non seulement présenter Senghor et sa philosophie aux Néo-Écossais, mais également la représentation des Noirs dans leur province. 

Qui était Senghor ?

 « Senghor, le penseur sénégalais ! Senghor, le philologue et le linguiste ! Senghor, l’écrivain, le poète négro-africain, le magicien du verbe ! Senghor, l’inspirateur visionnaire de la Francophonie ! Senghor, le théoricien du métissage universel ! Senghor, l’homme d’État […]. » C’est à travers ces propos élogieux que Boutros Boutros-Ghali, un ancien homme d’État égyptien et secrétaire de la Francophonie, a décrit Léopold Sédar Senghor dans son livre titré Émanciper la Francophonie, paru en 2002. L’auteur n’a pas offert un cadeau à Senghor. Ce dernier mérite réellement toutes ces qualifications.

Né le 9 octobre 1906 à Joal, une petite ville côtière située au sud de Mbour, au Sénégal, Senghor fut homme d’État et ministre français avant l’indépendance du Sénégal. Écrivain, poète, premier président de la République du Sénégal (1960-1980), premier Africain à siéger à l’Académie française et, surtout, père fondateur de la Francophonie, Léopold Sédar Senghor a été l’initiateur de la coopération entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique. 

Quoique ce mouvement ait été qualifié de « néocolonialisme français » par les opposants de Senghor, ce dernier n’a jamais baissé les bras. L’auteur de Nocturnes a gardé une belle amitié avec la France durant toute sa vie. D’ailleurs, après sa mort le 20 décembre 2001, le président français Jacques Chirac a déclaré : « La poésie a perdu un maître, le Sénégal un homme d’État, l’Afrique un visionnaire et la France un ami. »

Senghor a aussi approfondi, à travers ses écrits et sa pensée, le concept de la « Négritude » conçu par Aimé Césaire. Par Négritude, il faut entendre l’ensemble des caractères culturels propres aux Noirs ou l’appartenance à la communauté noire. Selon Senghor, dans un essai intitulé Liberté, paru en 1977 : « La Négritude est l’ensemble des valeurs culturelles du monde noir, tel qu’elles s’expriment dans la vie et les œuvres des Noirs. » 

La Négritude n’était pas un simple concept, mais un courant littéraire et politique, voire un mouvement lié à l’anticolonialisme. Ce mouvement a rassemblé non seulement un ensemble d’écrivains noirs, mais également de nombreuses personnalités à travers le monde qui se sont identifiées au nationalisme noir.

En 1978, à la suite du succès des poésies de Senghor, il a été désigné « Prince des poètes » en France. Le 2 juin 1983, le natif du Sénégal est élu à l’Académie française. Il a été intronisé le 29 mars 1984, en présence du président François Mitterrand. Mis à part des hommages et des prix qu’il a reçus, Senghor est docteur honoris causa de 37 universités. Nous pouvons citer, entre autres, les universités Oxford, Harvard et Paris Sorbonne ainsi que, au Canada, l’Université de Montréal et l’Université de Laval. 

Senghor, la Francophonie et la langue française

Le 20 mars 1970, un traité est signé à Niamey, au Niger, entre plusieurs États, entente qui va donner naissance à la Francophonie. Senghor, qui avait déjà environ une décennie à la présidentielle du Sénégal, était une figure de proue dans ce traité. Autrement dit, il est l’un des pères fondateurs de la Francophonie. 

Selon Christophe Premat, dans son livre Pour une généalogie critique de la Francophonie, Senghor aurait ajouté une dimension culturelle à la Francophonie. Quoiqu’il n’ait voulu aucunement que cette institution géoculturelle soit sous la tutelle de la France, sa philosophie était souvent critiquée et ses détracteurs croyaient qu’il favorisait un néocolonialisme au profit de la France. 

À travers ses écrits, Senghor a mis le français sur son piédestal. Dans son essai Le français, langue de culture, il a présenté avec des arguments solides l’importance du français pour les écrivains noirs. Pour le père de la Francophonie, la richesse du vocabulaire, de la syntaxe et de la multiplicité des synonymes fait du français une langue claire, précise et concise, qui charme ses utilisateurs. Il croit dur comme fer que la stylistique et l’humanisme français incitent les écrivains noirs à l’utiliser.

Aujourd’hui, Senghor devrait être honoré par tous les locuteurs de la langue française et toutes les institutions qui valorisent cette langue. La Nouvelle-Écosse est bel et bien concernée dans cette catégorie, car cette province contient quelques milliers de francophones. 

La communauté noire en Nouvelle-Écosse 

À notre avis, il n’y a pas que Léopold Sédar Senghor qui mérite l’attention des Néo-Écossais. L’histoire des Noirs en Nouvelle-Écosse remonte à plusieurs siècles. Ce territoire représente depuis des lustres le domicile des martyres noirs. Aujourd’hui, la communauté noire en Nouvelle-Écosse est non seulement l’une des plus anciennes du Canada, mais également l’une ayant subi beaucoup de mouvements du racisme. Les noirs sont débarqués en Nouvelle-Écosse sous plusieurs statuts. Si certains d’entre eux furent des esclaves au service de maîtres blancs, d’autres furent des immigrants libres. 

La première communauté noire qui s’est installée en Nouvelle-Écosse fut les Loyalistes. Ils étaient des habitants d’origine africaine en Amérique du Nord britannique. Ils ont grandement aidé la couronne britannique à lutter contre les États-Unis durant la révolution américaine, entre 1775 et 1783. À l’issue de la Guerre d’indépendance des États-Unis, plusieurs milliers d’entre eux ont pris la fuite en Nouvelle-Écosse. 

Viennent ensuite quelque 500 Jamaïcains. Entre 1796 et 1800, des marrons noirs de la Jamaïque se sont installés en Nouvelle-Écosse et représentent la deuxième colonie de peuplement après les Loyalistes. 

Entre 1813 et 1816, beaucoup de réfugiés noirs ont fui les États-Unis et se sont installés dans les côtes néo-écossaises. L’année 1816 est marquée aussi par l’arrivée de Richard Preston en Nouvelle-Écosse, un ancien esclave qui était à la recherche de sa mère. Preston s’y est vite imposé et a fondé l’Église baptiste africaine de Halifax. 

La majorité de ces Noirs ont décidé de rester en Nouvelle-Écosse. Ils ont fondé des établissements à travers la province de la Nouvelle-Écosse, dont celui de Birchtown, près de Shelburne, l’endroit où se trouve actuellement le Centre du patrimoine loyaliste noir. Aujourd’hui, nombreux sont des noirs qui vivent dans cette province maritime et y ont même les fonctions les plus nobles.

Il est clair comme de l’eau de roche que la Francophonie n’est pas pour la Nouvelle-Écosse ce qu’elle est pour d’autres provinces du Canada comme le Québec, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick. Si l’Acadie est très présente dans les grandes activités internationales de l’Organisation internationale de la Francophonie, la Nouvelle-Écosse en particulier n’y a pas encore trouvé sa place. Cependant, cette province a été le premier à avoir reçu les Français lors de leurs débarquements sur le territoire du Canada actuel. 

Outre la première héritière de la langue et de la culture françaises au Canada qu’est la Nouvelle-Écosse, elle était et est encore le refuge des milliers de Noirs comme Senghor, descendants des Loyalistes et immigrés récents au Canada. Tenant compte de ces faits historiques, les Néo-Écossais devraient valoriser davantage le français comme langue et culture et respecter Senghor.