Il était environ deux heures dans l’après-midi quand j’ai atterri à l’aéroport international Stanfield d’Halifax, c’était le dimanche 9 octobre. J’ai laissé Haïti, mon pays natal, pour venir faire une étude de maîtrise en Cultures et espaces francophones à l’Université Sainte-Anne. Ce jour-là, j’ai découvert un bel aéroport qui reçoit des gens venant de tous les recoins du monde.
« Ce joli aéroport n’a rien à envier à celui de Montréal », ai-je dit dans mes pensées sitôt que je suis descendu de l’avion. J’ai fait cette réflexion, car j’ai passé quelques jours à Montréal avant de mettre les pieds dans cette province maritime. Je me suis réjoui de fouler le sol d’une très belle ville où il fait bon vivre.
Pourtant, en quelques minutes, j’allais être stupéfié, voire choqué. Il n’y avait personne dans ledit aéroport qui pouvait s’exprimer en français. « Comment se fait-il que personne ne parle français dans un aéroport international d’un pays où le gouvernement veut valoriser le bilinguisme ? », ai-je demandé à l’une des réceptionnistes en anglais. « Je suis désolée, monsieur, nous ne parlons pas français ici. », m’a-t-elle répondu avec une gentillesse sans borne.
Quelques minutes après je me suis rendu dans un hôtel qui se trouve à environ dix minutes de l’aéroport, c’était le même cas de figure. Personne ne pouvait s’exprimer en français.

La ville d’Halifax
Je savais toujours que le français est une langue minoritaire au Canada et en Nouvelle-Écosse en particulier, mais je ne savais pas si c’était à ce niveau que cette langue était en train d’être rongée jusqu’aux os par l’anglais. Il n’y a aucun doute que cette majorité écrasante de l’anglais en Nouvelle-Écosse ouvre la voie à un déséquilibre exponentiel dans son marché linguistique.
Dans l’univers sociolinguistique, le terme marché linguistique a été introduit par le sociologue Pierre Bourdieu dans son livre titré Ce que parler veut dire : l’économie des échanges linguistiques, paru en 1982. Selon ce sociologue français, « il y a marché linguistique toutes les fois que quelqu’un produit un discours à l’intention de récepteurs capables de l’évaluer et de l’apprécier ».
Dès qu’il y a interaction linguistique, on peut parler de marché linguistique. La langue n’est pas uniquement un moyen de communication. Elle est indubitablement un facteur important dans le développement social et culturel d’une communauté. Une personne pouvant utiliser seulement une langue minoritaire dans une société y est sans doute écartée.
Un francophone en Nouvelle-Écosse se trouve dans l’obligation de parler l’anglais afin de se sentir intégré dans la société, en revanche l’anglophone n’a pas trop besoin du français. Il trouve tous les services dont il a besoin dans sa langue. Dans ce cas, peut-on parler d’équilibre linguistique ? N’y a-t-il pas une domination voire une hiérarchisation qui règne dans le marché linguistique en Nouvelle-Écosse ?
La minorité que connait le français dans cette province maritime engendre un châtiment, voire une exclusion pour les francophones. Ils n’ont droit qu’à un seul journal et une seule université. Et aussi stupéfiant que cela puisse paraitre, la Nouvelle-Écosse connait une francophonie essentiellement rurale. Si à Halifax et ses villes avoisinantes il y a des francophones, ils sont obligés d’être bilingues.
Si ce déséquilibre linguistique est évident dans cette province, il y a quand même des institutions qui valorisent la langue française. Je peux citer entre autres Le Courrier de la Nouvelle-Écosse, l’Université Sainte-Anne et le Conseil scolaire acadien provincial (CSAP), mais en même temps, il reste beaucoup à faire pour que cette langue survive dans cette province. Quoique ces institutions fassent d’énormes efforts pour sauvegarder la langue de l’hexagone, elles nagent dans les flots d’autres institutions anglophones. N’est-ce pas une triste réalité ?
La rubrique Le carrefour des Francophones vise à valoriser la francophonie sur toutes ses facettes. Dans les chroniques liées à ladite rubrique, l’art et la culture des communautés francophones seront valorisés.
J’utilise le terme Carrefour, car il marque un croisement ou une rencontre. Ceci c’est pour dire que les francophones de la Nouvelle-Écosse, voire dans le monde entier, se retrouveront dans cette rubrique.
En effet, depuis plus d’une décennie j’ai une passion pour le français comme langue et culture. Cette passion m’a orienté à l’Institut Français en Haïti où j’ai passé environ deux ans ; puis à enseigner cette prestigieuse langue pendant plus de 10 ans au niveau secondaire, professionnel et à l’école normale. Cette passion m’a aussi guidé à des recherches approfondies sur l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).
Et maintenant, en raison de ma passion et du grand désir d’approfondir mes recherches sur la francophonie, je me trouve en Nouvelle-Écosse, loin de mon pays natal et loin de Montréal, le bastion des Haïtiens. Je suis déjà très enthousiaste à l’idée de vivre de très belles expériences avec Le Courrier de la Nouvelle-Écosse. Je ne doute pas que cette aventure me sera très fructueuse.
Jean Junior Nazaire Joinville