le Mercredi 27 septembre 2023
le Vendredi 14 octobre 2022 8:30 Non classé

« Le troisième Grand Réveil Acadien en Louisiane, entre souvenir collectif et célébrations communautaires »

Au tintamarre du dimanche 9 octobre 2022, au centre-ville de Lafayette, les membres de la délégation jeunesse de la Société nationale de l’Acadie donnaient l’exemple !  — PHOTO(S) - CRÉAcT/Clint Bruce
Au tintamarre du dimanche 9 octobre 2022, au centre-ville de Lafayette, les membres de la délégation jeunesse de la Société nationale de l’Acadie donnaient l’exemple !
PHOTO(S) - CRÉAcT/Clint Bruce
De quelle présence est-ce que la diaspora acadienne jouit dans la Louisiane d’aujourd’hui ? Comment ravive-t-elle ses liens avec l’Acadie de l’Atlantique ? Au moment d’écrire ces lignes, je me trouve au centre-ville de Lafayette, où vient de se clore le Grand Réveil Acadien (GRA), une série de rassemblements qui se sont déroulés du 1er au 9 octobre en Louisiane, cet État à l’héritage francophone toujours vivace.
« Le troisième Grand Réveil Acadien en Louisiane, entre souvenir collectif et célébrations communautaires »
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Entre les commémorations et les célébrations de ces derniers jours, où la nourriture occupe certes une place prépondérante (et loin de moi de m’en plaindre !), la question du sens de l’identité acadienne en Louisiane continue de se poser.

Cet événement se veut une « célébration internationale […] de la langue, de la musique, de l’histoire, de la culture et de l’influence du peuple acadien au cœur de l’Acadiane », c’est-à-dire de la zone formant le « triangle français » allant des paroisses près de la Nouvelle-Orléans jusqu’à la frontière du Texas, et s’étendant vers le nord jusqu’au centre de l’État. 

C’est une région aux influences très diverses, où l’implantation acadienne, dans la foulée du Grand Dérangement, a donné lieu à la culture cadienne (ou Cajun, en anglais) au contact d’autres groupes, notamment des Créoles d’origine européenne, d’une part, et africaine, d’autre part.

Un moment fort de la journée d’ouverture du Grand Réveil Acadien, à Abbeville : un groupe de jeunes apprentis violoneux accompagne Steve Riley and the Mamou Playboys, une formation légendaire de musique cadienne.

Le GRA s’est tenu pour la première fois en 2011, sous l’égide du Comité Louisiane-Acadie, organisme affilié à la Société nationale de l’Acadie (SNA). L’idée est née à la suite d’un effort échoué d’accueillir le Congrès mondial acadien (CMA) en Louisiane pour une deuxième fois, le CMA de 1999 ayant déjà eu lieu là-bas. 

Louisiane-Acadie souhaitait offrir un rassemblement acadien entre les Congrès, en partie pour faire la promotion de ceux-ci auprès des Louisianais. Après une seconde édition du GRA en 2015, celle qui était prévue pour 2020 a dû être reportée en raison de la pandémie de la COVID-19. Ce troisième GRA avait donc des allures de relance. 

Comment comprendre le nom de l’événement ? La communauté cadienne est-elle endormie ? Le professeur Nathan Rabalais de l’Université de Louisiane à Lafayette, qui est aussi un proche collaborateur de l’Observatoire Nord/Sud, donne cette appréciation : « Le GRA représente un signe de progrès considérable pour le développement du français et la valorisation de l’identité acadienne en Louisiane », écrit-il dans un article sur la deuxième édition du GRA.

Les membres de Louisiane-Acadie sont animés par une commune passion du patrimoine acadien, mais aussi par le désir de pérenniser la langue française. Le président de l’association, Randal Ménard, avocat de profession, est un citoyen engagé et universellement respecté. On le voit régulièrement dans les manifestations culturelles, posté à côté d’une énorme marmite – ou « chaudière », en Louisiane – renfermant un savoureux jambalaya. L’engouement pour ce mets créole, que Randy maîtrise à la perfection, symbolise tout à fait l’intégration et l’acculturation des descendants des premiers réfugiés acadiens.

Sur le plan professionnel, les autres membres du conseil d’administration de Louisiane-Acadie s’illustrent dans plusieurs secteurs comme le commerce, l’éducation ou encore la recherche scientifique. Par exemple, Madeline DeHart est responsable du programme d’immersion française et des beaux-arts de la paroisse Vermillon. 

La plupart d’entre elles et eux ont visité les Maritimes et assisté à des Congrès mondiaux acadiens. Le trésorier de Louisiane-Acadie, Ray Trahan, est pratiquement mon voisin à Grosses Coques, où il passe ses étés dans la maison historique qu’il a achetée avec son épouse Brenda (née Comeaux), une ancienne directrice du Monument acadien de Saint-Martinville.

La programmation du GRA se caractérise par sa grande variété. Il y a des concerts et des conférences. Il y a des visites de sites historiques et des messes commémoratives en français. Il y a des réunions de famille et des tables françaises, c’est-à-dire des rencontres ouvertes à toutes et à tous pour pratiquer la langue en toute convivialité. Cette liste n’est pas exhaustive.

Le Comité Louisiane-Acadie n’organise pas, à lui seul, toutes les activités et manifestations culturelles associées au GRA. Son approche consiste plutôt à élaborer une programmation en concertation avec des groupes et événements locaux, dans les municipalités hôtesses. Ainsi, c’est le SugarFest, ou festival de la canne à sucre, de la paroisse d’Ouest-Bâton-Rouge qui parrainait la deuxième journée, après la journée d’ouverture à Abbeville, au sud de Lafayette.

Ayant assisté à la plupart des activités du GRA 2022, j’en tire trois grands constats.

Premièrement, le souvenir collectif de la diaspora acadienne se trouve désormais recentré sur l’arrivée des premières familles dans les années 1760. Cette tendance résulte en grande partie des efforts de Warren Perrin, avocat, militant culturel et ancien président du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL), qui a signé une biographie du résistant acadien Joseph Broussard dit Beausoleil. Pendant le GRA, des représentations dramatiques sont consacrées à l’odyssée des pionniers acadiens réfugiés en Louisiane après la Déportation.

Dans son article cité plus haut, Nathan Rabalais souligne l’importance de la mise en scène de ce « traumatisme culturel » selon la théorie du sociologue Jeffrey Alexander : « Les activités et les discours du GRA offrent aux participants l’occasion de mettre en scène l’histoire douloureuse du Grand Dérangement, de la séparation des familles, mais aussi de solidifier (ou recréer) un sens d’identité collective. »

J’ajouterais seulement que cette vision du passé s’allie avec le mythe fondateur des États-Unis en tant que terre d’accueil et de colonisation de la « frontière ». 

Deuxième constat : le flambeau de la langue française est en train d’être transmis à la jeune génération grâce aux programmes d’immersion dans les écoles publiques. Alors que la plupart des parents ne parlent pas français, le succès de l’immersion était manifeste pendant le GRA. 

Si la cérémonie d’ouverture à Abbeville a attiré près d’un millier de personnes, c’est parce que les familles de ces apprenants, qui ont participé à un défilé, interprété des chansons en français et exécuté des danses traditionnelles avec beaucoup d’enthousiasme, voulaient voir leurs enfants briller devant un public. Et elles n’ont pas été déçues !  

Troisième constat : les liens avec l’Acadie de l’Atlantique sont à l’honneur pendant le GRA, ce qui vient légitimer la valorisation du passé acadien parmi tous les éléments de la culture franco-louisianaise. Les villes de Broussard et de Church Point, situées toutes les deux près de Lafayette, ont renouvelé leurs jumelages respectifs avec Cap-Pelé, au Nouveau-Brunswick, et Pointe-de-l’Église – oui, c’est le même nom ! – dans la municipalité de Clare. Par ailleurs, une délégation jeunesse de la SNA a apporté une énergie contagieuse partout où elle est passée.

La tenue du quatrième GRA a été annoncée pour le mois d’octobre 2025, dans le sillage du CMA 2024. Cet événement louisianais s’impose désormais dans le paysage de la diaspora acadienne. 

Félicitations à Louisiane-Acadie et au plaisir de nous retrouver dans un proche avenir !