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le Vendredi 16 septembre 2022 7:00 Non classé

(Re)connait-on l’Acadie en France ?

Le président français Emmanuel Macron aux côtés de l’écrivaine acadienne Antonine Maillet. Derrière elle : Martin Théberge, président de la Société nationale de l’Acadie.  — PHOTO - Présidence de la République française
Le président français Emmanuel Macron aux côtés de l’écrivaine acadienne Antonine Maillet. Derrière elle : Martin Théberge, président de la Société nationale de l’Acadie.
PHOTO - Présidence de la République française
En parlant, au fil des années, avec des gens originaires de la France, j’ai remarqué une méconnaissance marquée au sujet de l’Acadie. Les questions fréquentes : « C’est où ? Au Québec ? Certains font preuve d’une curiosité accompagnée d’une soudaine prise de conscience quant à leur ignorance : « Qui sont les Acadiens ? D’où viennent-ils ? Où vivent-ils ? »
(Re)connait-on l’Acadie en France ?
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Je me suis alors demandé jusqu’à quel point est répandu ce manque de connaissances de l’histoire et du fait acadien dans la perspective française. Par ailleurs, comment est-elle vécue dans l’expérience des individus ? 

Maintenir les liens officiels

En novembre 2021, une délégation acadienne s’est rendue en France en compagnie de l’écrivaine Antonine Maillet qui, à cette occasion, a été nommée commandeure de la Légion d’honneur par le président de la République française, Emmanuel Macron. Lors de cette visite, le président Macron a prononcé un discours pour souligner que l’Acadie est « un peuple qui a rendu le plus bel hommage aux Français parce qu’il l’a transmis, de conte en conte, par contrebande et en résistance ».

Depuis plus d’un siècle, de nombreux échanges et projets rattachent la France à l’Acadie. Il suffit de se rappeler que ce sont des religieux français qui fondèrent le Collège Sainte-Anne à la fin du 19e siècle. 

La coopération avec l’ancienne métropole a été ravivée par la réception de quatre membres de l’élite acadienne par le président Charles de Gaulle en 1968. Les Amitiés acadiennes, une association ayant pour mission de développer les relations culturelles entre la France et l’Acadie, sera fondée quelques années plus tard.

C’est depuis 2005 que la Société nationale de l’Acadie (SNA) jouit d’une reconnaissance officielle auprès de la Francophonie internationale. Cet organisme veille aux intérêts du peuple acadien réparti sur de vastes territoires, et s’engage à assurer les liens entre l’Acadie et la France. 

De nos jours, les liens officiels France-Acadie sont maintenus grâce au Consulat général de France à Moncton, au Nouveau-Brunswick. Ensemble, la SNA et le Consulat offrent toujours des bourses France-Acadie qui permettent à des étudiant-e-s acadien-ne-s de faire des études dans l’Hexagone.

Au niveau des collectivités locales, il existe plusieurs jumelages entre des municipalités des Maritimes et des communes françaises – phénomène qui fait l’objet d’une enquête menée par l’Observatoire Nord/Sud.

N’oublions pas non plus qu’un récent film documentaire de Phil Comeau, Belle-Île en Acadie (2019), qui met à l’honneur la diaspora acadienne en France, a fait le tour du monde en raflant sur son passage plus de 350 prix.

Mais quelles sont les perceptions des liens France-Acadie au-delà des élites et des organismes ? Est-ce que le « peuple qui a rendu le plus bel hommage aux Français » demeure véritablement dans la mémoire française d’aujourd’hui ?

« Points d’interrogation » : une Acadienne en France

C’est en communiquant avec Lanette Comeau, Acadienne originaire de la Nouvelle-Écosse, que j’ai pu avoir un aperçu de la réalité acadienne dans la République française. Ayant rencontré son mari en France lors d’une année sabbatique, Mme Comeau s’est installée là-bas à partir de l’été 2010. 

Depuis son arrivée, elle remarque que « la plupart des gens, étonnamment, ne savent rien du tout » à l’égard de l’Acadie. Quoique certains « connaissent la chanson Les Acadiens de Michel Fugain (1975), d’autres savent vaguement que [les Acadien-ne-s sont] des francophones en Amérique ». 

Si Mme Comeau trouve cela étonnant qu’il existe un manque de familiarité avec l’Acadie chez les Français-e-s, elle souligne que c’est parce que « les Français étudient beaucoup l’histoire et en ont plein de connaissances ».

Que partager avec celles et ceux qui ignorent jusqu’à l’existence de son peuple ? Mme Comeau « leur explique que ce sont des descendants des Français partis coloniser l’Amérique dans les 1600 et qui résident principalement dans l’Est canadien ». 

Elle ajoute que ces gens « parlent le vieux français de l’époque de Louis XIV vu que la langue n’a pas évolué suite à leur isolement. » 

Parfois, Mme Comeau accompagne ses explications d’exemples linguistiques pour illustrer l’élément historique qui perdure de nos jours, comme « j’amarre mes souliers » au lieu de « je lace mes chaussures ».

Parler de l’Acadie suscite diverses réactions : « Certains sont surpris, d’autres étonnés de n’avoir aucune connaissance sur ce sujet. Des Français sont convaincus que les Acadiens sont des Québécois, que c’est le même peuple. » 

Mme Comeau fait observer que lorsqu’elle mentionne qu’elle est originaire « de la Nouvelle-Écosse, presque tout le monde [la] regarde avec des points d’interrogation dans les yeux ». Elle résume en affirmant que « tous les Français connaissent le Québec, mais très peu connaissent l’Acadie ».

La Place d’Acadie à Paris a été inaugurée en 1984, grâce aux démarches de l’association Les Amitiés acadiennes.

PHOTO - Wikimedia

Apprendre sur place : une Française en Acadie

Irène Costentin, Française d’origine, est arrivée en Clare en juin 2013. « Envoyée par le gouvernement français dans le cadre d’une mission de service civique », Mme Costentin explique qu’elle a « été journaliste au Courrier de la Nouvelle-Écosse pendant un an avant de commencer à l’Université Sainte-Anne » en tant que professeure de langue. 

Mais que connaissait-elle de l’Acadie avant de mettre les pieds de ce côté-ci de l’Atlantique ? « Très peu, répond-elle. J’avais dû faire quelques recherches après avoir appris que le volontariat pour lequel je m’engageais aurait lieu dans une région francophone acadienne ». C’est-à-dire que son placement imminent et la nécessité de l’intégration l’a incitée à se renseigner sur son nouveau milieu. 

Comment s’est-elle familiarisée avec le peuple acadien – leurs origines ainsi que l’Acadie actuelle ? Mme Costentin souligne qu’elle a vraiment « tout appris sur place en travaillant pour le journal : en couvrant les événements de Clare et en lisant et relisant les articles rapportant les activités de toute la communauté acadienne de Nouvelle-Écosse ». 

C’est-à-dire qu’Irène a commencé par ne rien savoir de l’Acadie et a ensuite mené ses recherches dans le milieu, parmi les Acadiens de la Nouvelle-Écosse afin de prendre connaissance du peuple acadien, peuple qui existe, bien sûr, au-delà de la province qui l’a accueillie.

Ces expériences et perspectives sont-elles typiques ? S’il est vrai que ces témoignages émanent de la mémoire sociale et reflètent des réalités actuelles, il se peut fort bien que des interventions très médiatisées comme celle d’Antonine Maillet puissent aider les gens à voir la méconnaissance qui règne au sujet de l’Acadie et du peuple acadien, et permettre de se rapprocher pour partager nos histoires.

Cette chronique a été écrite par Ramona E. Blinn, stagiaire à l’Observatoire Nord/Sud de l’Université Sainte-Anne.