le Mercredi 27 septembre 2023
le Mardi 23 août 2022 13:00 Non classé

Perdre quelqu’un, ce n’est pas un travail facile

Sophie Hubert avec son mari — PHOTO - Courtoisie
Sophie Hubert avec son mari
PHOTO - Courtoisie
Travaillant à temps plein comme directrice du French Doctor Language Center, Sophie Hubert a également été personne aidante pour son mari, atteint d'un cancer il y a deux ans et décédé en novembre dernier. Son rôle d'aidante n’était pas nouveau : elle a vécu l’expérience d’une charge de travail supplémentaire avec son dernier mari, décédé de la même maladie il y a 15 ans.
Perdre quelqu’un, ce n’est pas un travail facile
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Grâce à la pandémie, Sophie a pu travailler depuis la maison, ce qui lui a donné la flexibilité nécessaire pour faire son travail et soutenir son mari en même temps. C’était avec compassion et attention que son équipe et ses clients étaient plus que disposés à avoir de la flexibilité, au cas où les infirmières à domicile auraient besoin d’informations ou de réponses à des questions. 

Cependant, la pandémie de la COVID-19 a également apporté de nouveaux défis auxquels elle a dû s’ajuster, que ce soit de n’avoir plus qu’une personne dans la chambre avec lui en même temps ou être capable de le voir une fois qu’il s’est rendu à l’hôpital. 

Elle a également fait face à des difficultés financières, car son entreprise ne pouvait fonctionner que si elle était en mesure d’enseigner – ce qui n’était pas toujours le cas.

« Toutes les personnes aidantes ont eu les mêmes problèmes en fait, explique-t-elle. Le problème était que tous les traitements ont été mis en arrière-plan. Le personnel soignant devait s’occuper en priorité des patients de la COVID-19 et le plus grand problème, en fait, c’était qu’il n’était pas possible d’accompagner les personnes. Au début, je pouvais l’accompagner quand il faisait la chimiothérapie, mais les […] 8 derniers mois où il faisait la chimiothérapie, il devait y aller seul. C’était très dur pour tous les patients. »

Au cours des derniers mois, le seul moyen qu’elle a trouvé pour accompagner son mari était par téléphone, mais seulement s’il se sentait assez fort pour répondre. Il était également impossible d’obtenir des mises à jour des infirmières à cause de la surcharge de patients. 

Les patients étaient tous mis ensemble : il n’y avait aucune séparation entre les patients ayant la COVID-19 et les autres patients qui étaient gravement malades – rajoutant une autre menace pour la santé du mari de Sophie. 

La langue a rajouté encore une barrière à l’accès aux services et à la compréhension mutuelle avec le personnel médical : les médecins et les infirmières ne parlent qu’anglais et ce n’était pas facile pour Sophie de comprendre tout ce qui se passait. Ils ont eu la chance de trouver quelques membres du personnel médical francophones, mais ils étaient peu nombreux. Une réalité bien connue en Nouvelle-Écosse. 

Sophie a reçu l’aide du Victoria Order of Nurses (VON) ainsi que du Palliative Home Care. Même là, ce n’était pas simple. Par exemple, à chaque fois qu’un travailleur venait à la maison, où son mari est resté jusqu’à la fin, elle devait s’assurer de rester disponible toute la journée. 

Elle ne savait jamais quand quelqu’un allait passer et il était également impossible de les joindre par téléphone, car le personnel était complètement débordé. 

C’est sûr, dit Sophie, c’est bien comprenable : les services de santé ont été sous une pression immense ces dernières années en raison du manque de personnel. Malheureusement, cela a signifié que l’on accordait moins d’attention aux patients et donc que la qualité des services n’était plus la même. 

Le diagnostic a été particulièrement difficile à accepter pour les enfants, qui ont dû commencer à se préparer à la fin, et Sophie a fait de son mieux pour les maintenir dans leur routine. 

« Les deux ou trois premiers mois, en fait, vous êtes dans la reprise des habitudes, raconte-t-elle. Je pense que le creux de la vague arrive généralement après les trois à quatre derniers mois où vous réalisez vraiment ce qui se passe. »

Le travail le plus lourd est venu après le décès du mari de Sophie, en raison du travail administratif à effectuer. Ça a été obstacle après obstacle, une pile immense de paperasse que Sophie ne pouvait pas anticiper. 

Le plus difficile pour elle a été qu’elle n’avait aucune idée de ce qui allait se passer avec le salon funéraire, la pension ou les impôts. Après le décès de son mari, elle a reçu cinq pages de démarches à effectuer. Lorsqu’elle a rempli tous les documents et les a envoyés, elle a reçu d’autres documents identiques, car les différents services du gouvernement ne se parlent pas. 

À l’avenir, il serait peut-être très utile d’avoir quelqu’un du Réseau Santé de la Nouvelle-Écosse pour accompagner les gens qui vivent des expériences similaires à la sienne. La charge administrative à la suite d’un décès est très peu évoquée. Peut-être parce que les gens trouvent indécent de se plaindre de tout le travail qui doit être fait ? Il faut le dire, c’est un lourd fardeau à porter, surtout sans soutien.

Un autre défi : aucun soutien psychologique n’a été proposé ni à son mari ni à Sophie lorsqu’il est décédé. La mort n’est pas une chose facile à gérer et il serait important de proposer une aide psychologique aux gens, au lieu de les obliger à en trouver eux-mêmes. Étant déjà confrontés à une situation bouleversante, les gens ont besoin de soutien, pas de plus de recherches à effectuer.

En guise de conseils à d’autres personnes qui vivent des situations similaires, Sophie recommande vivement de trouver un soutien pour votre santé mentale afin de vous aider à gérer tout ce qui se passe. Enfin, n’ayez pas peur de poser des questions – cela peut vous aider à vous sentir beaucoup moins seul.

Ce texte est publié dans le cadre d’une série d’entrevues réalisées avec des personnes aidantes tout à travers la Nouvelle-Écosse, par de jeunes femmes, pour la Fédération des femmes acadiennes de la Nouvelle-Écosse (FFANE). Ces entrevues font partie du projet Briser l’isolement des personnes aidantes acadiennes et francophones de la N-É, financé en partie par le Gouvernement du Canada par le biais du Programme de partenariats pour le développement social.