le Mercredi 27 septembre 2023
le Lundi 22 août 2022 10:00 Non classé

Vieillir en tant qu’ainé trans, entre défis et liberté

Fondation Émergence : Carole Normandin est une femme transgenre qui travaille auprès de quelques organismes pour faire de la sensibilisation entre autres. — PHOTO - Julien Rougerie – Fondation Émergence
Fondation Émergence : Carole Normandin est une femme transgenre qui travaille auprès de quelques organismes pour faire de la sensibilisation entre autres.
PHOTO - Julien Rougerie – Fondation Émergence
FRANCOPRESSE – Les personnes transgenres âgées sont plus nombreuses que l’on peut le croire. Souvent invisibles, elles restent dans le placard, mènent une double vie ou auront parfois attendu que la société évolue avant de trouver enfin le courage de s’afficher.
Vieillir en tant qu’ainé trans, entre défis et liberté
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Claude Amiot, gouverneure de la Fondation Émergence, a amorcé sa transition médicale à 62 ans.

Les personnes qui amorcent une transition à un âge avancé sont souvent invisibles par le fait d’être à la retraite ou d’avoir un nombre restreint d’amis, avance-t-elle. Son médecin lui a d’ailleurs confié que la majorité de ses patients ont soit la vingtaine, soit plus de 60 ans.

La discrimination, la transphobie et le manque d’exemples auraient empêché Claude Amiot de s’engager dans une transition il y a 10 ans : « Moi-même j’ai dû faire de la transphobie internalisée. On n’était pas normaux. »

« On était dans le péché, on était obsédés. Dans ma tête, j’étais malade mentale, ajoute-t-elle. Alors, on réprime tout ça. J’ai vécu cachée jusqu’à l’âge de 62 ans, à me mentir à moi-même. »

Carole Normandin, elle, a failli mourir d’un accident vasculaire cérébral en 2015. « Mourir n’était pas un problème. Ce qui devenait un problème c’est qu’à ce moment-là, je n’avais pas fait de comingout. Ma famille, ma conjointe et mes enfants auraient trouvé dans la maison des pièces de vêtements, des chaussures, des perruques, etc. »

Elle explique avoir envisagé trois options à l’époque : la mise à la poubelle de ces objets qui trahissaient son genre réel, le suicide ou le comingout. C’est donc à l’âge de 70 ans qu’elle a commencé à vivre en tant que Carole.

Claude Amiot est une femme transgenre. Elle est notamment présidente d’Entraide Trans Saguenay–Lac-Saint-Jean.

 

PHOTO - Courtoisie

« Le passé est très présent » 

Claude Amiot remarque toutefois une évolution dans la société : « La différence générationnelle est très marquée. L’acceptation chez les jeunes va bien. Chez les personnes âgées, le passé est très présent. »

La perspective d’entrer éventuellement en maison de retraite signifie aussi devoir vivre avec une génération peut-être peu ouverte. « Souvent, la difficulté, c’est le retour au garde-robe par crainte d’être mal perçu », s’inquiète Claude Amiot.

Pour une personne âgée, il sera parfois très difficile de faire un comingout étant donné son entourage. « C’est sûr qu’il y aura des déceptions, dit-elle. Soit des amis, soit de la famille vont quitter ou n’accepteront pas. »

Selon Claude Amiot, les transitions d’aujourd’hui témoignent des progrès scientifiques réalisés. « Quand je rencontre les jeunes filles qui ont débuté avec les stoppeurs de puberté, elles sont belles! Moi, il y a un côté de structure [masculine], la testostérone a fait son œuvre. »

Le projet de loi C-16, qui vise à contrer la discrimination fondée sur l’identité et l’expression de genre, n’a été adopté qu’en 2017. Cette loi fédérale protège notamment les personnes transgenres contre la propagande haineuse.

Des formes d’âgisme

Avant de trouver le bon médecin, Carole Normandin admet en avoir consulté « qui ont été réticents à [lui] donner des hormones à cause de [son] âge […] Très peu de médecins prennent au sérieux la situation des personnes trans », déplore-t-elle.

Vers 2017, un médecin lui a lancé : « Moi, les histoires d’hormones, je n’ai pas de temps à perdre avec ça. J’ai enlevé ça de votre prescription pour l’instant. On va s’occuper du reste. Vous vous arrangerez avec ça plus tard. »

« Ça a été aussi sec que ça. Ça n’a même pas été discuté », confie-t-elle en précisant que c’est le genre d’histoire qu’elle entend souvent de la part de personnes trans.

Sauf dans quelques cas complexes, les transitions médicales et l’âge ne rendent « pas impossibles les chirurgies et ça ne rend surtout pas impossibles les traitements hormonaux », précise Alexandre Baril, professeur agrégé à l’École de service social de l’Université d’Ottawa.

Selon lui, les personnes âgées, peu importe leur genre, se font aussi «dégenrer». « Les femmes âgées sont moins considérées comme des femmes et les hommes âgés moins comme des hommes parce que nos stéréotypes de ce qu’est un “vrai homme” et une “vraie femme” correspondent à la jeunesse, à un certain type de corps, à certaines capacités. »

Plusieurs personnes trans, qui ressentent déjà le besoin d’affirmer leur genre, ressentiraient un poids supplémentaire causé par l’invalidation du genre.

Marjorie Silverman est professeure agrégée à l’École de service social de l’Université d’Ottawa.

PHOTO - Alexandre Baril

Pourquoi en parler?

Alexandre Baril et Marjorie Silverman, aussi professeure agrégée à l’École de service social de l’Université d’Ottawa, recrutent des personnes transgenres âgées atteintes de démence et leurs proches aidants pour une étude.

« La population vieillit, il y a une croissance de la population trans et non binaire, et ces deux réalités combinées font qu’il y a quand même un nombre grandissant de personnes âgées trans », avance Alexandre Baril.

 

 

Alexandre Baril est professeur agrégé à l’École de service social de l’Université d’Ottawa.

PHOTO - Marjorie Silverman

Quelques chiffres

Sur les quelque 30,5 millions de personnes de 15 ans et plus vivant dans un ménage privé en mai 2021, 100815 étaient transgenres ou non binaires.

La proportion de personnes transgenres ou non binaires est [officiellement] de trois à sept fois plus élevée chez les personnes nées entre 1981 et 2006 que chez les personnes nées avant 1981.

« La pandémie a accéléré, pour certaines personnes, la possibilité d’être soi-même en étant davantage à la maison, souligne le professeur, parce que c’est un milieu un peu plus sécuritaire pour le faire et expérimenter ».

Pour Marjorie Silverman, le choix d’amorcer une transition à un grand âge peut s’expliquer de plusieurs façons. Elle avance, par exemple, que les temps ont changé et que la personne pourrait se sentir plus en sécurité ou, vu l’isolement grandissant qui s’installe avec l’âge, qu’elle pourrait avoir l’impression d’être davantage à l’abri de la transphobie.

Les chercheurs notent des enjeux auxquels sont confrontées les personnes transgenres âgées :

  • l’isolement et le manque de soutien
  • la violence fondée sur le genre
  • les dévoilements de genre non consensuels (outings)
  • le milieu inadapté des centres d’hébergement et de soins de longue durée
  • un statut socioéconomique précaire
  • la discrimination au sein du système de santé.