le Mercredi 27 septembre 2023
le Jeudi 28 juillet 2022 11:00 Non classé

Droit à l’avortement aux États-Unis : la communauté internationale réagit

En France, où l’avortement est autorisé depuis 1975, des manifestations comme celle-ci, tenue en 2019, continuent d’être organisées afin de contester la fragilité des droits reproductifs.  — PHOTO - Jeanne Menjoulet
En France, où l’avortement est autorisé depuis 1975, des manifestations comme celle-ci, tenue en 2019, continuent d’être organisées afin de contester la fragilité des droits reproductifs.
PHOTO - Jeanne Menjoulet
La réaction de Justin Trudeau, premier ministre du Canada, ne s’est guère fait attendre. « Les nouvelles en provenance des États-Unis sont horribles », écrivait-il sur Twitter au beau milieu d’une visite au Rwanda, quelques instants seulement après l’annonce de la révocation du droit à l’avortement par la Cour suprême.
Droit à l’avortement aux États-Unis : la communauté internationale réagit
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Rendu le 24 juin dernier, l’arrêt Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization aura renversé, par six voix contre trois, deux importants précédents juridiques, à savoir Roe c. Wade (1973), qui rattachait les droits reproductifs au respect de la vie privée, et Planned Parenthood c. Casey (1992), qui modifiait le cadre de la réglementation des interruptions volontaires de grossesse (IVG) par les États.

Cette décision historique constitue un revers majeur pour le mouvement féministe et pour les politiques pro-choix du Parti démocrate, en même temps qu’elle vient couronner la longue campagne du camp anti-avortement, associé au Parti républicain et se réclamant des valeurs traditionnelles. Du coup, l’accès aux services d’IVG est menacé, dans l’immédiat ou à plutôt court terme, dans la moitié des 50 États composant notre voisin du Sud.

Au-delà de l’arène nationale, l’affaire Dobbs a semé le désarroi dans certains milieux de la communauté internationale.

Ainsi, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, renchérissait sur les propos de M. Trudeau en insistant sur les conséquences plus larges : « Aujourd’hui, c’est une journée sombre, une journée sombre pour les femmes aux États-Unis, mais aussi les femmes partout à travers le monde ». 

Même son de cloche du président français Emmanuel Macron, du premier ministre britannique Boris Johnson et, à l’autre bout de la planète, de la première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern, qui s’inquiète de la criminalisation de l’avortement qu’il faut voir, insiste-t-elle, comme une question de santé et de sécurité des femmes. 

Pour Michelle Bachelet, haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme et ancienne présidente du Chili, il importait de rappeler que « l’accès à un avortement sûr, légal et efficace est fermement ancré dans le droit international des droits de la personne et est au cœur de l’autonomie des femmes et des filles et de leur capacité à faire leurs propres choix concernant leur corps et leur vie, sans discrimination, violence ou coercition. »

Selon les estimations, environ 25 millions d’avortements dangereux – parce qu’illégaux, pour la plupart – sont pratiqués chaque année alors qu’une grossesse sur quatre se termine par une IVG. D’un pays à l’autre, d’une région à l’autre, le sort des femmes concernées est caractérisé par de grandes disparités.

Les données recueillies par le Center for Reproductive Rights, organisme pro-choix basé à New York, fournissent un portrait nuancé de l’accès à l’avortement à travers le monde. L’IVG n’est prohibée que dans 24 pays, ou 11,8 % des 203 États considérés et environ 5 % des femmes en âge de procréer connaissent l’interdiction totale de l’avortement.

Si la majorité de ces États se trouvent dans le Sud global, ils n’appartiennent pas pour autant à un bloc culturel ou géopolitique. 

En revanche, l’avortement sur demande de la femme est autorisé dans 73 pays (35,9 %), surtout du Nord – Europe, Asie et Amérique du Nord – mais pas seulement, et en fonction de diverses limites quant aux stades de la grossesse. 

La Colombie vient de rejoindre cette catégorie, peu après l’Argentine et la Thaïlande en 2021, la Nouvelle-Zélande en 2020, l’Islande en 2019 et l’Irlande, l’an précédent. À ce groupe s’ajoutent les 13 États où l’IVG peut se justifier pour des raisons socioéconomiques, dont le Royaume-Uni, l’Éthiopie, l’Inde et le Japon, notamment.

Entre ces deux pôles, d’autres régimes d’encadrement légal des droits reproductifs réservent le recours à l’avortement aux cas d’un danger mortel pour la femme (42 pays, ou 20,7 %) ou d’un risque pour sa santé (51 pays, ou 25,1 %). Ces politiques d’accès conditionnel caractérisent l’approche dominante en Afrique et en Amérique latine.

Dans l’enceinte des Nations unies, la crainte existe que l’arrêt Dobbs serve à durcir l’opposition à l’amélioration du statut des femmes. Tout récemment, un comité de l’ONU appelait les États-Unis à ratifier la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Adopté en 1979, ce traité rassemble non moins de 189 pays et États en faveur de l’équité de genre. La droite américaine persiste à s’en méfier.

Aussi fondamentale qu’elle soit, la condition des femmes représente-t-elle la seule préoccupation de la communauté internationale ? Pour plusieurs, l’enjeu réside ailleurs, c’est-à-dire dans la perception grandissante de l’imprévisibilité, voire de l’instabilité des États-Unis en tant que puissance majeure et clé de voûte de l’ordre mondial. Après les soubresauts de la présidence Trump, un retour « à la normale » semble de moins en moins probable, en dépit des garanties formulées par Biden. 

À en croire Stephen Wertheim, chercheur associé à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, l’arrêt Dobbs « peut contribuer à donner l’impression que les États-Unis deviennent un endroit moins familier, en particulier pour les Européens. Moins ambitieux, et donc plus distant » par rapport aux valeurs des démocraties libérales (cité dans un article de vox.com par Jen Kirby, 30 juin 2022).

Vue sous ce jour, la réaction chinoise prend tout son sens. La réponse officielle a consisté à déplorer, d’un ton mesuré, le recul des droits des femmes au pays dit de la liberté. En outre, les messages provenant de certains diplomates ainsi que des médias d’État n’y vont pas avec le dos de la cuillère. « C’est l’Amérique : on peut interdire l’avortement, mais pas les armes à feu », a ironisé un journaliste sur Twitter.

Les remarques de cet acabit ont pour effet de souligner l’hypocrisie de Washington qui critique ouvertement l’autoritarisme de Beijing et ses politiques répressives, comme le programme d’assimilation brutale des Ouïghours, minorité musulmane.

Que l’on appuie pleinement les droits reproductifs ou que l’on nourrisse des réserves liées aux convictions religieuses, force nous est de convenir d’un point : « la normale » ne reviendra pas de sitôt, en supposant qu’elle ait jamais existé.