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Le Courrier se souvient… de Monseigneur Marcel François Richard

  Tirées des archives du Courrier de la Nouvelle-Écosse
Tirées des archives du Courrier de la Nouvelle-Écosse
Soyons un peu scolaires! Car il arrive parfois que nous y soyons obligés... vous savez... lorsque nous sommes à l’Université... Qui se souvient de cette période que l’histoire a retenue comme étant la Renaissance acadienne? On parle ici d’une période d’effervescence intellectuelle qui prend forme dans la seconde moitié du XIXe siècle, plus précisément dans la foulée de la fondation du Collège Saint-Joseph de Memramcook en 1864 – lieu de formation d’une génération de jeunes Acadiens qui se donnent comme mission de faire sortir l’Acadie de l’oubli historique dans laquelle elle était tombée depuis la Déportation de 1755. En 1881, ils étaient les instigateurs de la première Convention nationale qui allait donner à la Renaissance acadienne son coup d’envoi...
Le Courrier se souvient… de Monseigneur Marcel François Richard
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     En 1947, Le Petit Courrier ne parle pas directement de cette renaissance acadienne du siècle précédent, mais d’un de ses plus illustres acteurs alors qu’est souligné le centenaire de la naissance de Monseigneur Marcel François Richard – cent ans, c’est donc l’âge qu’il aurait eu s’il n’était pas décédé en 1915 à Rogersville… Le titre de l’éditorial est sans équivoque, c’est bien du « Père de l’Acadie » dont il est question ici. Ce nom, il l’a mérité parce qu’il était, nous apprend l’éditorialiste, « le grand architecte et le principal artisan de la renaissance de notre peuple ». Déjà en 1881, lors de la Convention nationale de Memramcook, Monseigneur Richard avait su mettre de l’avant les particularités historiques et culturelles du peuple acadien pour convaincre l’assemblée d’adopter le 15 août comme fête nationale à la place du 24 juin, date associée aux Canadiens français. Non seulement il ne voulait pas prendre le risque de voir l’Acadie, à peine sortie de la noirceur dans laquelle la Déportation l’avait plongée, disparaître une seconde fois en étant assimilée au reste du Canada français, mais il travailla pour qu’on ajoute à cette fête un drapeau (actuel drapeau acadien) et un hymne (l’Ave Marie Stella). Un tel titre de « Père de l’Acadie » ne se mérite pas qu’à force de beaux discours! L ’éditorial, en écho à l’article de L’Évangéline reproduit sur la même page, fait l’énumération des grandes réalisations de Mgr Richard : « fondateur de vingt paroisses et de nombreuses institutions religieuses, constructeur de quatorze églises ».

     On peut, aujourd’hui, être critique à l’égard de cette période, notamment de sa vision religieuse qui a été perçue comme passéiste et folklorisante par la génération qui prend la parole dans les années 1970. Pour eux, il fallait se détacher du conservatisme religieux sur lequel s’était érigé le discours acadien pour s’affirmer dans la modernité et se projeter vers l’avenir… Mais, au-delà de notre ton légèrement scolaire, il semble important de souligner les efforts qui ont été déployés à la fin du XIXe siècle et tout au long du XXe siècle, à la fois dans les moments de continuité et dans ceux de profondes ruptures, pour maintenir en vie une langue et une culture d’emblée condamnée à la disparition… nous allions dire à la dispersion… en lui donnant un sens moral, social et politique.

     Comme artisan de la Renaissance acadienne, Monseigneur Marcel François Richard aurait sans doute approuvé, lui aussi, la mise sur pied et le recrutement du premier bataillon acadien, censé rendre visible la participation des jeunes Acadiens à l’effort de guerre pendant la Première Guerre mondiale. En visite à l’Observatoire Nord-Sud les 5 et 6 novembre derniers, l’historien Gregory Kennedy, qui prépare un livre sur la question, affirmait qu’il s’agit d’une initiative moins connue de la Renaissance acadienne puisque les hommes qu’on avait réussi à recruter dans toutes les régions acadiennes, dont celles de la Nouvelle-Écosse, n’ont pour la plupart pas combattu aux côtés de leurs frères canadiens. En raison de leur faible nombre, ils ont été appelés à servir au sein du corps forestier canadien plutôt que, comme on l’avait espéré, sur le champ de bataille. Au moment où Le petit Courrier marque le centenaire de Monseigneur Richard, c’est aussi le retour des soldats acadiens de la Seconde Guerre mondiale que l’on célèbre, deux ans après la fin des hostilités.

     À feuilleter les pages de l’hebdomadaire du 21 août 1947, on constate que la vie reprend enfin son cours pour les communautés acadiennes de la région. L’incertitude de la guerre a fait place à une sorte de fébrilité ou d’effervescence et c’est l’occasion de se retrouver, entre voisins et paroissiens. En première page, on rapporte que le grand prix du pique-nique de Saint-Bernard au profit de l’église de Weymouth a été remporté par Harry Gaudet. L’automne suivant, on aura sûrement pu voir l’heureux gagnant parcourir les chemins de Meteghan en selle sur sa toute nouvelle bicyclette « Whizzer ». Les perdants, en revanche, pourront se reprendre au pique-nique à Weymouth prévu le mardi de la semaine suivante (ou s’il pleut, « le prochain après-midi où il fera beau »), pour lequel, en plus de « bons prix », on promet de « bons jeux, bons rafraîchissements » et « un très bon souper au poulet ».

     À moindre échelle, à l’été 1947, après l’horreur de la guerre, c’est une petite renaissance acadienne qui semble toucher les communautés du Sud-Ouest. L ’austérité de la guerre fait place à une nouvelle prospérité économique, on reprend goût à la vie et aux choses, et les publicités qui paraissent dans le Courrier encouragent tout le monde, peu importe leur âge, à en profiter pleinement. Les fabricants du tonique Ostrex promettent une vigueur retrouvée, même à l’âge avancé (!) de 40, 50 ou 60 ans! Alors que sur la page opposée, le tonique Rose’s Duncan promet de vous aider à conserver votre santé pour la somme d’un dollar par gallon, soit le même prix que celui d’un abonnement d’un an au Courrier. Cette vigueur retrouvée, c’est aussi celle de la langue française dans la municipalité de Clare puisque, dans un encadré en première page, le Comité de la survivance française « désire féliciter qui de droit pour toutes les affiches et tous les indicateurs en français, tels que Hôtel de ville, Salon de beauté, L’Artisane qu’on a fait paraître ». C’est le début d’une volonté d’afficher son caractère francophone, une volonté qui se fait toujours sentir de nos jours dans l’initiative portée par nos jeunes de l’École secondaire de Clare d’avoir des panneaux d’arrêt bilingues. De quoi honorer, encore aujourd’hui, la mémoire des bâtisseurs dont a fait partie Monseigneur Richard… et combien d’autres qui ont travaillé dans l’ombre à faire sortir l’Acadie… justement… de l’ombre!

     Jimmy Thibeault, (CRÉAF) et
Chantal White,  Département
d’études françaises, Université
Sainte-Anne (avec la collaboration
de Josanne Deveau.)

Tirées des archives du Courrier de la Nouvelle-Écosse