Bobby Therrien – IJL – Réseau.Presse – Acadie Nouvelle
Selon le bilan du CMA 2014, l’événement a attiré, du 8 au 24 août 2014, plus de 200 000 personnes dans le Madawaska, le Témiscouata, au Québec, et dans le comté d’Aroostook, au Maine. Il a engendré des retombées économiques de plus de 28 millions $.
Mais qu’en est-il des effets à plus long terme? Bien que le sentiment d’appartenance à l’Acadie était déjà un peu plus célébré dans le nord du Maine et dans différentes régions du Nord-Ouest comme le Haut-Madawaska, Vallée-des-Rivières et Grand-Sault, certains endroits comme Edmundston et le Témiscouata n’avaient pas la réputation de nourrir cette fibre acadienne avant la venue du congrès.
Pour beaucoup, le congrès a laissé un héritage qui perdure encore aujourd’hui.
Le directeur général du CMA 2014 à l’époque, Léo Paul Charest, estime tout d’abord que l’événement a apporté un vent de changement dans la mentalité des habitants de la région.
«Quand on a travaillé sur l’organisation du Congrès mondial acadien, il y avait beaucoup d’objections par rapport au fait que certains ne se disaient pas Acadiens, mais Brayons. On a travaillé sur le fait qu’être Brayon, ça ne veut pas nécessairement dire que l’on n’est pas Acadien.»
L’ex-maire d’Edmundston, Cyrille Simard, juge que l’événement a permis de mieux nuancer le débat historique sur l’identité qui existait dans la région d’Edmundston, plus particulièrement.
«Il y a souvent eu des débats sur les différences entre cette région et le reste de l’Acadie. Le Congrès mondial acadien a en partie résolu cette question. Les organisateurs avaient pour objectif non pas de changer l’appartenance culturelle ou linguistique des gens, mais de les inclure dans l’ensemble acadien.»
«Les gens ont compris que, comme francophones au Nouveau-Brunswick, en Atlantique, et au-delà, on a intérêt à se regrouper sur ces questions de culture et de langue commune.»
Au Témiscouata, le défi était plutôt d’initier les gens à une culture qui leur était plutôt inconnue.
«Le préfet de la MRC du temps et d’autres élus ont embarqué, mais la plupart des gens se demandaient ce qu’ils faisaient là-dedans. Avec cet événement, on a sensibilisé davantage les habitants du coin à leurs origines acadiennes. Un bon pourcentage de Témiscouatains ont des racines acadiennes», a rappelé M. Charest.
«Maintenant, quand on parle de l’Acadie, il y a beaucoup de respect et on accepte ce concept-là. Il y a des signes de l’Acadie un peu partout au Témiscouata maintenant.»
En effet, il soutient que les régions du Témiscouata et du Nord-Ouest affichent davantage leurs couleurs et leur appartenance acadienne depuis le CMA.
«On voit de plus en plus de drapeaux acadiens, des plaques de voiture aux couleurs de l’Acadie et des choses du genre que l’on voyait rarement avant.»
Le CMA 2014 a aussi mené à la création de l’équipe des chefs de file de l’Acadie des terres et forêts. Ce groupe, composé d’une quarantaine de leaders de la région à l’époque, s’était engagé à poursuivre le développement régional et transfrontalier.
Pour l’ancienne présidente des chefs de file, Lise Ouellette, l’événement a permis aux gens de la région de redécouvrir et démystifier leurs racines acadiennes.
«On avait tendance à classer les familles d’origine acadienne et celles qui ne sont pas d’origine acadienne, alors qu’il est logique que les gens aient des origines provenant de différents endroits, dont l’Acadie. Ça a permis d’éveiller cette conscience-là et c’est toujours le cas au Nord-Ouest, au Maine et au Témiscouata. L’influence acadienne est partout.»
En plus de cette nouvelle prise de conscience de la culture acadienne dans la région, le maire d’Edmundston, Éric Marquis, estime que l’influence du CMA 2014 a produit des effets concrets.
Selon lui, les activités entourant les célébrations du 15 août, en particulier la Sortie branchée en Acadie, organisée par le Jardin botanique du Nouveau-Brunswick, est l’un de ces vestiges.
L’événement, qui propose des activités familiales et qui met en vedette des artistes québécois, acadiens et madawaskayens, attire des centaines de personnes chaque année.
«Je pense que ça montre une première avancée au niveau de la culture acadienne, parce que ce n’est pas quelque chose que l’on avait dans la région avant le CMA. C’est devenu l’une des activités les plus prisées durant l’été.»
Il y a aussi le travail de collaboration qui existe entre les régions du Nord-Ouest et du Témiscouata. Les élus municipaux de ces régions se rencontrent deux fois par année pour discuter de divers dossiers locaux communs.
Le maire a également cité la poursuite du travail en lien avec le circuit touristique Acadie gourmet qui avait été mis en place avec l’Office du tourisme Edmundston-Madawaska.
«Ce sont toutes des choses réalisées en raison du CMA qui reviennent. On voit encore les bienfaits de tout ça.»
Bien qu’il juge que le Congrès mondial acadien ait été le plus grand événement à avoir été organisé dans la région, Cyrille Simard croit que son impact au cours de la décennie qui a suivi varie selon les thèmes.
«Si je regarde l’aspect des relations avec les autres régions acadiennes, il y a eu un impact considérable dans le sens où ça a permis de favoriser des rapprochements culturels avec les autres régions et avec l’Acadie dans son entièreté.»
M. Simard ne se conte toutefois pas d’histoire, le Nord-Ouest n’est pas la région qui célèbre le plus son identité acadienne, même aujourd’hui.
Il existe, dit-il, encore une identité locale et régionale assez forte. La différence, c’est qu’elle se définit de moins en moins en opposition à l’Acadie.
«Les deux identités ne sont plus mutuellement exclusives. Le CMA nous a appris que l’on pouvait exprimer notre identité locale ou régionale, sans que ce soit en opposition avec les autres régions acadiennes (…) On partage nos valeurs communes essentiellement.»
La faute à la pandémie
L’une des seules ombres au tableau, qui a notamment mené à l’arrêt des activités de l’équipe des chefs de file, a été la pandémie de la COVID-19.
Selon la plupart des intervenants interrogés, la fermeture des frontières lors de la crise sanitaire de 2020 et 2021 a eu des effets négatifs sur le développement des relations socioéconomiques et culturelles qui se sont développées dans la région après 2014.
«Le CMA nous a rapprochés, mais la malheureuse COVID-19 a mis tous nos efforts en pause pendant au moins deux ans et c’est certain que ça a fait mal», a raconté Mme Ouellette
«La mission du Congrès mondial acadien était d’atténuer l’effet des frontières et je pense que l’on avait réussi, notamment avec la mise en place du groupe des chefs de file qui avait continué les activités après le congrès. Cependant, la COVID-19 est arrivée et a détruit cet élan-là», a ajouté Léo Paul Charest.
M. Charest est bien conscient que la flamme allumée lors du CMA 2014 n’est pas aussi brillante, ce qui est normal selon lui.
«C’est certain que tout sentiment d’appartenance a besoin d’être ravivé, mais avec certaines initiatives, comme la remise en place d’un groupe comme les chefs de file, je pense que ça nous permettrait d’aller chercher de nouveau ce sentiment d’appartenance à cette Acadie internationale.»
Cyrille Simard croit, pour sa part, que l’une des grandes questions est de savoir si la volonté de collaboration engendrée par le CMA est au même niveau qu’en 2014 et au cours des quelques années qui ont suivi.
«Je pense que c’est toujours le cas, mais ça nous prend des conditions pour y arriver et c’est ce qui reste à découvrir.»
Malgré tout, les intervenants concernés s’entendent pour dire que des efforts commencent à être déployés pour faire renaître cet esprit de collaboration sur le territoire de l’Acadie des terres et forêts.
«On commence à sentir qu’il y a un retour des efforts pour mieux travailler ensemble dans ces régions limitrophes (…) Ça ne porte pas toujours sur l’Acadie en tant que telle, mais aussi sur les difficultés engendrées par une frontière entre des régions qui ont envie de travailler ensemble», a expliqué Léo Paul Charest.