Il y avait tant à dire sur un sujet si dense. Il faut saluer la maestria de la réalisatrice et de son équipe pour raconter cette histoire si forte et si importante en trente minutes seulement. C’est un tour de force. Une demi-heure qui passe à toute allure. Dès les premières minutes, on est immergé dans cette histoire racontée sans aucun temps mort et avec beaucoup d’intelligence et de bienveillance. Il faut aussi également saluer la qualité exceptionnelle de la production: photographie, son, musique, images d’archives. Tout est fait pour que l’on puisse saisir l’influence et l’impact du Trécarré pour la communauté de la Baie.
Le film s’ouvre sur une première scène qui nous offre, en substance, tout ce que le film a à raconter. On y retrouve l’ADN d’une communauté et peut-être même celle d’un peuple: la langue acadjonne, le territoire, situé entre terre et mer comme nous l’expliquerait l’artiste acadien François Gaudet et bien évidemment, une musique métissée dont les influences diverses nous seront expliquées en détail au cours du film. Il y a enfin cette phrase marquante qui clôt la scène d’ouverture, “Danser c’est pêcher”, qui d’une certaine façon nous renvoie à la raison d’être même du Trécarré.
C’est ensuite dans les bois qu’il faut aller chercher les réponses à la question initiale. La réalisatrice nous prend par la main et nous invite ensuite à la rejoindre dans cette enquête rigoureuse: documents d’archives, témoignages de personnes disparues et aîné(e)s, toutes et tous gardiennes et gardiens de la mémoire de la Baie. Ils partagent avec grande générosité et souvent avec beaucoup d’humour leur(s) histoire(s). On ne s’attardera pas ici sur le pourquoi du Trécarré car on ne voudrait pas vous gâcher le plaisir de cette investigation. Disons simplement qu’il s’agissait d’un lieu d’expression artistique sous toutes ses formes. La musique, mais aussi la danse et le théâtre. L’art comme un exutoire, l’art comme un moyen de s’émanciper et d’inventer son propre destin. On comprend que le Trécarré fut aussi un instrument pour bâtir la résilience de la communauté: créativité, solidarité, adaptation.
C’est alors que l’on passe de l’investigation au récit inspirationnel et réflexif. Le Trécarré était aussi un lieu de transmission. De génération en génération, on pratiquait son art, on le perfectionnait, on le transmettait. Des lignées entières de musiciennes et musiciens existent sans doute parce que le Trécarré a existé. La réalisatrice se tourne alors vers l’avenir et nous fait part de ses craintes. Les familles sont moins nombreuses et par conséquent, les musiciens le sont aussi. Le “paysage” de la Baie a changé. Est-ce que la transmission se transforme ou est-ce que cette transmission est en train de s’éteindre?
Des questions valides et fondamentales. On retrouve ici des réflexions proches de celles abordées par le documentaire “Roots of Fire” d’ Abby Berendt Lavoi, Jeremey Lavoi. On veut se montrer optimiste, le documentaire s’ouvre sur la relève et donne la parole aux jeunes. La scène musicale de la Baie demeure active et se réinvente, se transforme. Cependant, est-ce suffisant ? Le documentaire apporte de premiers éléments de réponse.
Tant de questions qui restent sans réponse. C’est sans doute la limite du documentaire, on repart inspiré et bouleversé, mais aussi avec beaucoup de questionnements. On espère que ce documentaire ne soit que le début d’une histoire qui mérite d’être racontée plus en profondeur. Un sans faute ou presque, on aurait juste aimé que cela dure plus longtemps.
Il est difficile de visionner ce film sans en sortir ému au plus profond. Les messages du film sont universels et peuvent faire écho auprès du plus grand nombre et plus particulièrement chez celles et ceux qui vivent du côté de la minorité.
On repense à cette phrase au début du film, “Danser c’est pêcher”. Chez moi, elle fait écho à la fameuse citation de la chorégraphe Pina Bausch, “Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus.” On souhaite à la Baie et à ses artistes d’hier, d’aujourd’hui et de demain de continuer à danser et d’inspirer pour très longtemps.