«Cher Arnault Blin, chère Mme Blin, M. le Secrétaire général de la Préfecture du Calvados, M. le Député, cher Bertrand, M. le Président de la communauté de communes, Mmes et MM Maires et Maires adjoints, Mmes et MM les élus, M. le responsable du Commonwealth war graves Commission, cher Carl Liversage, M. le Président du comité du Débarquement, cher Jean Quétier, M. le directeur du service départemental de l’ONaCVG du Calvados, cher Thomas Pouty, Mmes et MM les présidents d’Associations, Mmes et MM les représentants de l’église catholique, mon Père, mes sœurs, Mmes et MM les acteurs et les participants à la 19e édition de la Semaine acadienne, Mmes, MM,
Cher Arnault Blin, le 14 août dernier, vous nous avez offert à Courseulles-sur-Mer, dans le cadre de la Semaine acadienne un merveilleux concert autour de la guitare que vous avez vous-même qualifié « d’exceptionnel et unique ».
Permettez-moi de reprendre aujourd’hui cette formule à mon compte car elle me semble parfaitement illustrer votre parcours. Un parcours qui mérite le qualificatif « d’exceptionnel et unique », à l’image de votre personnalité riche, discrète, souriante, généreuse et tellement active.
Mmes, MM, Dieu sait si une vie ne peut être résumée en quelques phrases prononcées lors d’un discours, a fortiori lorsqu’il s’agit de celle d’un homme tel qu’Arnault Blin et je ne vais certainement pas prétendre à l’exhaustivité mais beaucoup plus raisonnablement tenter de faire ressortir quelques grands points et principaux traits pouvant refléter la personnalité et l’action de notre récipiendaire. Ainsi, cher Arnault Blin, veuillez me pardonner mes choix, mes oublis, voire mes censures comme par exemple votre travail effectué en 1995 pour le compte de France 3 sur les coulisses de l’élection de Miss France !
Après l’obtention d’un baccalauréat A4 en 1976 (étant moi-même détenteur d’un baccalauréat de la série A « Lettres », j’en déduis que nous partageons l’un et l’autre, un niveau assez faible en mathématiques) puis une année à la Faculté des sciences d’ORSAY, vous trouvez, semble t’il, votre chemin en suivant en 1978 le cursus de l’ESRA (l’Ecole Supérieure de Réalisation audiovisuelle) et contribuez à cette occasion, à votre premier documentaire en 1979, consacré au peintre cubain Wifredo Lam. Celui qui souhaitait faire une peinture qui soit aussi « une proposition générale démocratique pour tous les Hommes ». Belle ambition et vaste programme !
Mais déjà un intérêt certain pour la découverte d’autres cultures, d’autres civilisations et un goût marqué pour l’aventure vous amènent dans le cadre d’un VSNA (Volontariat Service National Actif) au centre culturel St-Exupéry à Nouakchott, en Mauritanie, de juin 1980 à septembre 1981.
Puis, de 1981 à 1984, vous complétez votre formation consacrée au 7e Art en intégrant l’IDHEC (Institut des Hautes Etudes Cinématographiques), au titre de sa 37e promotion.
Dès lors s’enchainent les montages et les réalisations cinématographiques : des longs métrages, des courts métrages, des documentaires, des films institutionnels, des émissions, des bêtisiers pour la télévision…
Impossible de tous les citer ici tant ils furent nombreux et variés. Y figurent notamment un long métrage algérien, des documentaires sur une exposition de peinture de Lam (encore lui), d’autres sur le Festival des Francophonies, le cirque à l’ancienne, le Burkina Fasso, la Mauritanie, des tournages en Bolivie, au Pérou, au Venezuela, à Barhein, au Quatar… Pour les émissions, on pourra citer « Le Grand Raid » sur Antenne 2, « Parechocs », « 40° à l’ombre », « Télé Caroline », « Zapper n’est pas jouer » sur France 3, « Bleu Clair » et bien sûr, l’émission « Faut pas rêver» diffusée par France 3 où vous intervenez en qualité de grand reporter, avec au bilan, plus de 150 reportages tournés dans le monde entier.
Des films portent aussi votre empreinte comme « La Rupture » en 1982, « Le Rendez-vous » en 1985, « Le Choix » (qui a obtenu le prix de la Critique lors de la 39e édition du Festival de Cannes) ou encore « Jean de Florette » en 1986. La carrière se déroule, intense, palpitante, forcément toujours à 100 à l’heure, forcément à plus de 1 000 lieues du foyer…
Puis vient l’année 2004.
2004 fut une année importante pour tous les Normands car c’était celle du 60e anniversaire du Débarquement et l’on se souvient, pour beaucoup, de la cérémonie internationale organisée à Arromanches.
2004 marque aussi votre entrée dans ce milieu si attachant de la mémoire combattante avec la sortie de votre documentaire « Une si jolie petite plage » consacré aux soldats acadiens du North Shore Regiment du Nouveau Brunswick qui débarquèrent ici même le 6 juin 1944.
On peut considérer que les travaux entrepris pour réaliser ce documentaire constitueront pour vous un véritable déclic – un peu, sans friser le mysticisme, comme une révélation – et ouvriront votre appétence pour faire vivre cette mémoire si singulière, si douloureuse mais aussi si noble des Acadiens engagés dans la Bataille de Normandie, et au-delà de la grande cause de l’Acadie. A partir de l’année 2004, vous êtes, dorénavant, ce qu’il convient d’appeler un passeur de mémoire, et plus spécifiquement de la mémoire des Héros et des martyrs de la Seconde Guerre mondiale.
Le Jour J, parmi les dizaines de milliers de jeunes hommes qui se ruent à l’assaut des plages normandes dans le but de mettre un terme au « Reich de 1 000 ans » qui avait été promis par le Führer, certains d’entre eux étaient effectivement mués par quelque chose de plus, quelque chose qui était enfoui depuis plus de 3 siècles : la volonté d’un retour sur la terre de leurs ancêtres. Ces jeunes d’à peine plus de 20 ans venus du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Ecosse, de l’Ile du Prince Edouard ou du Québec, avaient conscience qu’ils accomplissaient quelque chose qui les dépassait tous et les rattachait à la propre histoire de leurs familles, à leurs racines.
Désormais, le nom d’Arnault Blin devient étroitement associé au sentiment « d’Acadianité » et vous créez deux ans plus tard, en 2006, la 1ère édition du Festival « La Semaine acadienne » à Courseulles-sur-Mer et sur la côte de Nacre afin de rendre hommage au sacrifice et au courage de ces soldats, trop souvent oubliés de l’Histoire. Votre ami Ronald Cormier, écrivain et réalisateur télé de Radio Canada, vous aide d’ailleurs dans cette mission afin de recruter les premiers artistes volontaires pour participer à cette aventure normande naissante.
L’on sait depuis que cet événement connaîtra un succès fulgurant qui ne se dément pas et nous venons à cet égard de vivre, il y a quelques jours, une 19e édition mémorable.
Selon le souhait de son Président fondateur, le Festival attache une importance particulière, en les programmant, à permettre à de jeunes artistes acadiens de découvrir le rôle de leurs ancêtres durant la Bataille de Normandie et au-delà, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Contre vents et marées, vous maintenez le cap durant 19 années et passez ainsi au travers de toutes les difficultés : en 2014, blessé et apparaissant en fauteuil roulant, vous êtes malgré tout à la manœuvre ; en 2020, en dépit de la crise sanitaire liée au covid, le Festival se déroule, dans le respect des gestes barrières et avec les masques. Finalement, avec force opiniâtreté, vous assurez à ce Festival la notoriété qu’on lui connait de nos jours.
Entre la Normandie et l’Acadie, une véritable émulation artistique et mémorielle est depuis lors créée et nous nous souvenons de ces merveilleux artistes venus en Normandie afin de nous offrir la primeur de leurs créations originales dédiées aux combattants acadiens : Angèle Arsenault avec sa « Chanson du Soldat », Marie-Jo Therio et sa « Lettre à mon frère », Weldon Boudreau avec « Mes Aïeux » ou encore Isabelle Cyr et son interprétation « Plus grand que la Vie ».
La Semaine acadienne, ce sont à la fois des temps commémoratifs, des créations artistiques, des moments culturels, des festivités, de la réflexion, du recueillement, un grand Tintamarre, de la vie, de la joie, de l’émotion, bref de la pâte humaine qu’un grand chef – Arnault Blin – sait malaxer plus que tout autre.
C’est ce « melting pot » un peu magique qui fait vibrer les âmes et unit les coeurs des deux côtés de l’Atlantique, et ce depuis près de 20 ans.
Avec satisfaction, nous pouvons faire le constat que chez nos contemporains de Normandie, la mémoire de ces acadiens « qui parlaient un autre genre de français que le nôtre » est durablement sauvegardée. Elle l’est assurément, Mmes et MM, et en très grande partie, grâce au Président fondateur du Festival de la Semaine acadienne que nous entourons aujourd’hui de notre reconnaissante admiration.
Nous l’honorons publiquement quitte à heurter un autre de ses traits caractéristiques qui est justement d’agir toujours dans la plus grande discrétion et une totale humilité.
Jamais placé au premier rang, rarement sur la scène, souvent à l’écart des lumières ; au cours des événements qu’il organise, nous le trouvons toujours en « back office », affairé sur le plateau technique ou en spectateur, assez loin dans le public.
Et bien, permettez-moi, cher Arnault Blin, quitte à contrarier votre humble nature, de vous dire que cette attitude témoigne d’une grande noblesse d’âme. Une noblesse qui pourrait ainsi se traduire par une devise qui vous sied à ravir : « Toujours prêt à Servir et à s’effacer après avoir servi » !
Totalement dévoué à votre passion de sauvegarde et de transmission, vous ne vous arrêtez pas là et réalisez d’autres documentaires tels que « Dans leurs yeux » en 2020, qui illustre le Débarquement des Canadiens à Bernières-sur-Mer à travers le prisme de deux jeunes témoins de l’époque, alors âgés de 17 et 19 ans. Cette année, un nouveau documentaire dont le titre mystérieux « Les Colis sont bien arrivés » évoque cette histoire extraordinaire et bouleversante de deux enfants juifs cachés au sein de la communauté religieuse de la Vierge Fidèle à Douvres-La-Délivrande.
Vous concevez aussi des expositions comme celle intitulée « Ils ont vu le Débarquement à St-Aubin, Bernières, Courseulles, Douvres-La-Délivrande et la Libération de Carpiquet » en 2010 ou encore celle sur « Léon Noel, itinéraire d’un soldat Canadien » en 2014.
Et des projets pour l’avenir, vous n’en manquez pas, nous pouvons vous faire confiance !
Arnault Blin, aujourd’hui, il semble que vous répondiez à la qualification sociale de « retraité » mais franchement, on a véritablement beaucoup de mal à le croire…
Derrière votre humilité et votre discrétion se cache un homme totalement dévoué aux autres, un cœur ardent et généreux. Dans les pas des « Grands Anciens » dont vous avez si souvent, et avec quel talent, retracé des parcours de vie pour les nouvelles générations, permettez-moi de vous dire que vous avez livré de bons combats pour de belles causes.
Des combats contre l’oubli. Des combats pour sauvegarder un patrimoine moral et des valeurs qui sont finalement celles de la France éternelle. Des combats pour la Justice et la Fraternité entre les Hommes. Des combats pour la transmission d’un socle historique et civique aux nouvelles générations.
Aujourd’hui, c’est l’ensemble de votre riche carrière qui est mise à l’honneur mais, au-delà, c’est la marque de fabrique « Arnault Blin » que la République vient récompenser.
Une marque qui emporte naturellement et sans artifice, l’adhésion à vos projets, l’enthousiasme des foules. Une marque qui fédère, qui unit, qui crée une véritable cohésion. Une marque qui fait d’une idée personnelle, un projet commun, un partage, une ambition collective. Une marque qui invite à l’action et au dépassement.
Pour qu’une vie soit épanouie, il y faut, de mon point de vue, de la foi et de l’allant. Vous avez eu et vous avez toujours cette foi et cet allant.
Votre passion de servir et l’abnégation dont vous avez fait preuve tout au long de votre parcours – professionnel et associatif – ont été reconnues par la République qui vous a nommé par décret du Président de la République en date du 7 juin 2024 et sur proposition de la Ministre de la Culture, Chevalier de l’Ordre national du Mérite, en qualité de réalisateur et de Président d’un Festival mémoriel annuel.
Rappelons ici que c’est le Général de Gaulle, Chef de l’Etat, qui avait souhaité créer ce deuxième Ordre national en 1963, afin de permettre, aux côtés de l’Ordre national de la Légion d’Honneur qui vient récompenser les services « éminents » rendus au pays, d’honorer celles et ceux qui ont rendu des services « distingués » à la Nation.
Permettez-moi également d’évoquer, comme un clin d’œil, que c’est ce même Général de Gaulle, qui recevait en grande pompe le 20 janvier 1968 une délégation acadienne au Palais de l’Elysée. Ceux qui furent alors appelés par les médias les « 4 Mousquetaires », représentants d’un Peuple sans Etat, à savoir MM Léon Richard, Président de la Société nationale acadienne, Adélard Savoie, Recteur de l’Université de Moncton, Gilbert Finn, directeur général du journal de langue française « l’Evangéline » et Euclide Daigle, vice-président de l’Association acadienne d’éducation, furent traités comme des chefs d’Etat.
Pour beaucoup de commentateurs, cette visite fut un moment fondateur de l’Acadie moderne et dans son toast adressé à la délégation, le Général déclarait « qu’après plus de 2 siècles et ½ où nous fûmes séparés, voici que nous nous retrouvons entre Acadiens et Français de France. Rien n’est donc plus naturel et ne peut être plus fécond que de rétablir entre nous des rapports de Français à Français. Ces rapports, les nouer et les organiser. C’était le but de votre visite. C’en sera le résultat. Qu’il s’agisse d’enseignement et de culture, ou bien d’échanges de personnes et d’idées, ou bien de presse, de cinéma, de livres etc, ce qui a été réglé ici pour ce qui concerne les Acadiens, et réciproquement, marque un début déjà important et qui va se développer. Je lève mon verre en l’honneur des Acadiens, rameau très cher et, par bonheur, retrouvé de notre vieille et nouvelle France ».
Ainsi, Mmes, MM, 56 ans après cette déclaration du Général, qui mieux qu’Arnault Blin, entretient en Normandie « ce Rameau très cher et retrouvé de notre vieille et nouvelle France » ?
La boucle est ainsi bouclée. A cet appel gaullien de 1968 auquel a si bien répondu Arnault Blin, il ne pouvait en être autrement qu’il rejoigne l’Ordre national voulu et créé par le Général de Gaulle en 1963.
Arnault Blin, vous faites honneur à la Région Normandie et à notre vieille et nouvelle France.
Puisse cette croix qui va vous être remise dans un instant, être pour vous un message de profonde reconnaissance pour votre engagement de tous les instants, votre souci de contribuer finalement au maintien de cette « certaine idée de la France » chère au Général et votre inlassable dévouement pour la transmission de la mémoire des combattants mais aussi des victimes de la Seconde Guerre mondiale, sans omettre votre souci constant d’entretenir et de raffermir les liens d’amitié entre la Normandie et l’Acadie, entre le Canada et la France, et au final, entre les Peuples.
« Au nom du Président de la République, et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de l’Ordre national du Mérite ».