Jérôme Melançon, chroniqueur, Francopresse
La situation est critique pour un grand nombre de Canadien·nes.
L’indice des prix à la consommation a augmenté de 3,4 % en 2021, 6,8 % en 2022 et 3,9 % en 2023, tandis que le prix des aliments a augmenté de 9,8 % en 2022 et 7,8 % en 2023.
Les taux d’inflation de 2022 ont d’ailleurs accru le pourcentage de personnes vivant sous le seuil officiel de la pauvreté au Canada de 7,4 % en 2021 à 9,9 %. Or, un revenu au seuil de la pauvreté demeure encore bien en deçà du revenu viable, qui permettrait de sortir de la pauvreté, par exemple en déménageant ou en faisant des études.
L’inflation, la pauvreté et le revenu viable
L’augmentation des couts touche davantage les personnes pauvres, puisqu’une plus grande part de leurs revenus est consacrée au logement et à l’alimentation. On voit ainsi une plus grande fréquentation des banques alimentaires ainsi qu’une baisse plus générale de la consommation.
N’oublions pas que les revenus des personnes pauvres augmentent beaucoup moins que ceux des mieux nantis, qu’elles ont moins accès au crédit et qu’elles ont moins accès aux avantages sociaux qui viennent avec les emplois de la classe moyenne.
Ce sont ces mêmes personnes qui bénéficient le moins des réductions de taxes ou d’impôt, puisqu’elles dépensent moins.
Pour bien comprendre à quel point la situation est critique, il faut faire attention aux données et aux tableaux. D’abord, bien que la croissance de l’inflation diminue, cela ne signifie rien d’autre qu’une hausse des prix un peu plus lente.
Ensuite, bien que les salaires moyens aient augmenté, ce qui aurait compensé l’augmentation du cout de la vie, ils ne sont pas une mesure indicative de la vie réelle des gens. D’autant plus que cette mesure inclut les augmentations importantes des salaires des mieux nantis.
Mentionnons également que le cout des loyers continue de monter, mais que le cout le plus pertinent est celui des logements disponibles, qui augmente beaucoup plus rapidement que celui des loyers que les locataires continuent d’occuper.
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Ce que cache l’expression «crise du cout de la vie»
Plusieurs des expressions dont nous nous servons pour aborder le problème sont trompeuses.
L’idée de crise nous envoie dans la mauvaise direction. Celle-ci n’existe que pour certains groupes socioéconomiques, mais en la généralisant, nous donnons la possibilité aux partis politiques de chercher à améliorer le sort d’autres segments de la population que celui des personnes pauvres.
Tandis qu’il est facile d’attribuer la situation actuelle à la pandémie et ses effets sur les chaines de distribution, nous devons nous rappeler que la vie n’était pas plus facile avant la pandémie pour la plupart des gens qui sont affectés par le cout actuel de la vie.
En fait, le seul moment où la pauvreté a véritablement reculé correspond aux prestations liées à la COVID-19.
Les causes structurelles de la situation
En nous éloignant des raisonnements liés à l’imaginaire de la crise, nous pourrons mieux faire face aux problèmes causés par les structures de notre économie et, au minimum, le manque de règlementation.
Pour la plus grande partie de la population, l’accès à la nourriture est contrôlé par quelques oligopoles. Les chaines d’épiceries et les fournisseurs rivalisent déjà pour maximiser leurs profits, tout en blâmant les initiatives des gouvernements ou les marchés mondiaux pour les prix à la caisse.
Il est difficile de ne pas sentir de préjudice lorsque nos dépenses augmentent et que la réduflation fait que nous arrivons à la maison avec de plus petites quantités des mêmes produits que nous achetions auparavant.
Ajoutons à cela le scandale de la fixation des prix du pain, les compressions dans les salaires du personnel des magasins d’alimentation, les négociations interminables autour d’un code de conduite des épiceries ou encore les mesures anticoncurrentielles incluses dans les contrats de location.
Mais au-delà de ces frustrations, nous devons bien comprendre que les profits des chaines d’épicerie ont doublé après la pandémie alors que la quantité de nourriture vendue a diminué.
L’accès à un logement stable et la dignité qui vient avec la possibilité de demeurer en un endroit et de décider de sa manière d’y vivre sont grandement limités par la financiarisation du logement.
Lorsque le logement devient avant tout une question de rentabilité et de profit, il devient beaucoup plus difficile au marché de répondre aux besoins des locataires, ce qui devrait pourtant être sa première raison d’être.
De manière plus générale, la hausse du PIB depuis la pandémie est surtout attribuable aux profits des entreprises; la proportion du PIB que représentent les salaires du personnel a en fait baissé légèrement en 2022.
Il est ainsi clair que les intérêts des grandes compagnies sont contraires à ceux de la population. Ce n’est pas seulement que les unes s’enrichissent pendant que davantage des autres s’appauvrissent; c’est que l’enrichissement dépend de l’appauvrissement, qu’il y a une relation directe entre les deux.
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Que faire contre la vie chère?
Des boycottages aux mobilisations contre la vie chère, quelques initiatives sont mises en pratique pour que l’inflation soit vécue comme un problème collectif et non seulement individuel.
Des solutions existent à plus long terme, allant d’un plus grand contrôle collectif du système alimentaire à une sortie du pétrole ou encore à un revenu minimum garanti.
Des remèdes collectifs à la situation critique actuelle exigent toutefois que l’on se défasse d’abord de nombreux mythes. C’est ainsi que les prestations d’aide contre l’inflation et l’augmentation du salaire minimum pourront être plus aisément acceptées, puisqu’elles n’entrainent ni chômage ni inflation.
Surtout pour l’instant, à l’inverse des baisses d’impôts actuelles, qui mènent à un affaiblissement des infrastructures sociales, il faut plutôt développer ces dernières afin d’assurer la dignité et l’égalité de tous et toutes.
Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).