L’histoire de Plamondonville – qui deviendra «Plamondon» – débute dans le village de Saint-Norbert, au nord-est de Joliette, au Québec. En 1868, la famille Plamondon quitte tout pour s’exiler dans l’État du Michigan, à Provemont plus exactement.
Les Plamondon font partie d’une grande mouvance qui a marqué l’est du Canada à cette époque. De 1850 à 1940, on estime qu’entre 900 000 à 1 000 000 de Canadiens français et d’Acadiens ont quitté le pays en quête d’un meilleur avenir économique aux États-Unis.
Si la très grande majorité avait comme destination la Nouvelle-Angleterre et ses filatures de coton, d’autres se sont dirigés vers le Midwest américain, où vivaient 150 000 Canadiens français en 1874 selon un décompte effectué par l’abbé Gendron. Les Plamondon sont du nombre.
Joseph «Joe» Plamondon est le onzième enfant de la famille. Devenu adulte, il fait l’acquisition de 140 acres de terre près de Provemont. Avec une Canadienne française d’une famille également exilée, Mathilda Gauthier, il fonde une famille.
Joseph n’a pas de scolarité, mais il a beaucoup de talents. C’est un conteur, un chanteur, un musicien. Il sait parler aussi. Et il sait tisser des liens avec ses compatriotes. Joseph prend sa place dans la communauté. Il tient également beaucoup à sa langue maternelle. Joseph n’accepte pas que sa famille parle anglais à la maison.
L’attrait de l’Ouest
Qu’est-ce qui a poussé la famille Plamondon – et bien d’autres – à quitter ses terres du Michigan et d’ailleurs dans le Midwest pour aller s’installer dans la jeune province de l’Alberta?
Ce ne sont pas des gestes isolés ou aléatoires. Le tout fait partie d’une vaste campagne orchestrée par le gouvernement canadien, avec l’appui du clergé catholique, pour «peupler» cette partie du pays, qui était pourtant déjà habitée par de nombreux Autochtones et Métis, rappelons-le.
Les premières vagues d’immigrants dans les années 1890 sont surtout anglophones, mais le clergé catholique et certains gens d’affaires canadiens-français ont une vision d’un Ouest canadien où les francophones auraient aussi leur place.
Le rôle des oblats
De nombreux «prêtres-colonisateurs» vont s’affairer à convaincre des Canadiens français installés aux États-Unis de revenir au pays, mais dans l’Ouest.
Ce chant des sirènes atteint le Michigan et la petite ville de Provemont. Même si la vie est bonne pour les Plamondon, la terre commence à être étroite pour les nombreux enfants et les possibilités d’expansion sont limitées.
L’un des fils de Joseph, Isidore, se rend en Alberta pour travailler dans des fermes. Il revient à la maison rempli de louanges pour cette contrée où les terres sont bon marché et où la sauvegarde du français pourrait être plus propice qu’aux États-Unis.
La décision est donc prise et, en 1908, les membres du clan Plamondon transportent leur vie dans le nord-est de l’Alberta, sauf une fille, Isabel, qui est mariée et décide de rester aux États-Unis.
Les Plamondon ne sont pas seuls. Quelques autres familles francophones de Provemont, Gauthier, St. Jean, Cagle et d’autres localités du Midwest font le même choix.
Après un long périple de 2800 kilomètres à travers les Prairies, le groupe gagne Morinville, en Alberta, puis monte jusqu’à Lac la Biche. Près de là, la famille Plamondon et d’autres familles choisissent de s’installer sur des terres à prendre. Ce sera Plamondonville.
Dellamen Plamondon, pionnière
L’une des filles Plamondon, Dellamen, fréquente bientôt l’école des Filles de Jésus à proximité. Mais le trajet est dangereux en hiver et Joseph craint pour la sécurité des enfants. Une petite école prend donc forme à Plamondonville. Mais il n’y a pas d’enseignante. Qu’à cela ne tienne, Dellamen s’en chargera. Elle a… 12 ans.
La jeune fille puise dans l’expérience qu’elle a eue chez les sœurs et parvient, en se fiant beaucoup à son instinct, à assurer l’enseignement dans son village.
Ce ne sera pas seulement la carrière qui sera précoce chez Dellamen. L’année suivante, une nouvelle famille arrive à Plamondonville : les Chevigny. Un couple et leur fils de 30 ans, Albert. Celui-ci jette son dévolu sur l’enseignante qu’il croit âgée de 20 ans. Rien n’arrête les amoureux; ils se marient un an plus tard, le jour du 14e anniversaire de Dellamen.
Puisqu’elle n’est plus célibataire, Dellamen doit renoncer à l’enseignement, comme le veut la tradition de l’époque. Une autre occupation l’attend, soit celle de gérer un hôtel, The Stopping Place, que le couple Chevigny vient d’ouvrir.
Albert prend également sous sa responsabilité le magasin général du village. Le couple est prospère. Dellamen devient «femme à tout faire» : fermière, sagefemme, assistante au bureau de poste (fondé par son père), sans oublier mère de famille.
Tous les espoirs sont permis pour l’épanouissement d’une communauté francophone dans la mer d’anglophones qu’est l’Alberta.
Mais l’opposition aux écoles françaises séparées prend de l’ampleur au début du siècle. Le gouvernement albertain restreint l’enseignement du français, ce qui ne peut mener qu’à l’assimilation.
Dès la génération suivante, les effets se font sentir. Même les enfants de Dellamen perdent la bataille.
Mais d’autres ont trouvé la force de résister. À preuve : la chanteuse Crystal Plamondon, arrière-petite-fille de Joseph, et Léo Piquette, enfant du village, qui a été député de l’Assemblée législative de l’Alberta, où il est passé à l’histoire pour avoir osé s’exprimer en français en Chambre.
L’une des arrière-petites-filles de Dellamen, Krysti MacDonald, profitera du retour des écoles françaises, grâce à la Constitution de 1982, pour se réapproprier la langue de ses ancêtres. Elle découvre les lettres en français écrites par son aïeule à sa sœur demeurée au Michigan.
Krysti a eu la chance de connaitre son arrière-grand-mère Dellamen avant que celle-ci ne meure en 1994, à l’âge de 97 ans. Et de lui parler en français. Elle a étudié à la Faculté Saint-Jean à l’Université de l’Alberta. Elle enseigne aujourd’hui dans les écoles francophones d’Edmonton. Une revanche sur l’Histoire.
Voir Valérie Lapointe-Gagnon avec la collaboration de Krysti MacDonald, «Plamondonville», dans De racines et de mots, Persistances des langues en Amérique du Nord, Québec, Les éditions du Septentrion, 2021.