Marianne Dépelteau – Francopresse
«L’année dernière, on était à 22 000 visites uniques sur notre page moniteuracadien.com. Une fois que le blocage a été fait, ça a été réduit à 2 500», raconte le directeur général du Moniteur Acadien, Jason Ouellette.
Le blocage de Meta est en réplique à la Loi sur les nouvelles en ligne, adoptée par le gouvernement fédéral en juin 2023. Le géant du numérique évite ainsi de compenser les médias canadiens pour l’utilisation de leurs contenus.
Mais l’impact de cette décision n’est pas nul pour ces médias. Non seulement ils ne seront pas compensés par Meta, mais ils perdent aussi en visibilité, en occasion de publicité et parfois même en revenus.
Robinet fermé
Pour protester contre la Loi, Meta a aussi mis fin à son entente de redevance avec la Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2i).
La directrice générale de l’organisation, Geneviève Rossier, confirme que cet impact financier coule jusqu’au journal d’Ottawa/Gatineau, Le Droit, qui fait partie des Coops de l’information.
Entre 2017 et 2022, Meta a investi dans 120 médias canadiens. Jusqu’en 2022, ses investissements auprès du journalisme canadien représentaient environ 18 millions de dollars, sans compter les millions additionnels lors de la pandémie de COVID-19.
Meta a cessé ces activités de financement en plus du blocage.
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«C’est la communauté qui écope»
Le journal fransaskois L’Eau vive a observé une réduction de 10 % du trafic sur son site web depuis le blocage, rapporte son responsable du numérique, Jean-Pierre Picard.
«Ça n’a pas eu un grand impact sur le journal, mais en ayant une présence sur Facebook, ça rappelait aux gens qu’on existe, dit-il. On se rend compte que les gens ont moins le réflexe de nous envoyer de l’information sur leurs activités.»
Les ponts entre le journal et la communauté qu’il reflète se trouvent alors quelque peu morcelés. Mais selon Jean-Pierre Picard, «c’est vraiment la communauté qui écope en ayant moins d’information, de sources fiables».
«Quand on publiait une nouvelle sur Facebook avec un lien vers le site, souvent, il y a avait des commentaires. Ça suscitait des échanges et des discussions», ajoute-t-il.
Cette perte d’échange avec le lectorat a poussé Le Droit à relancer la discussion sur ses propres plateformes. «On a réouvert toute la section de commentaires sur les nouvelles des Coops de l’information et du Droit, explique Geneviève Rossier. On a un très bon système de modération et très bientôt, ce sera aussi possible de le faire à partir des applications mobiles.»
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«Ça a été tellement difficile avec Meta, parce qu’on ne s’attendait pas à un silence radio», confie le rédacteur en chef du Courrier de la Nouvelle-Écosse, Jean-Philippe Giroux. «On avait mis beaucoup d’efforts, de temps et de travail dans la création de contenus pour les plateformes Instagram et Facebook.»
Avant le blocage, le Courrier recevait des commentaires d’encouragement de la communauté pour son travail sur les réseaux sociaux : «Il y avait un momentum.»
Résiliente, l’équipe du journal a redirigé ses efforts vers le site web et son infolettre. Le rédacteur en chef affirme que le trafic sur le site a augmenté, mais que sans les réseaux sociaux, «c’est un peu plus difficile de savoir l’impact qu’on a dans la communauté».
Faire autrement
À L’Eau vive, les efforts sont doublés sur LinkedIn et un bulletin envoyé par courriel compte presque le même nombre d’abonnés que sur Facebook. «Toutes les semaines, les gens reçoivent une infolettre avec les nouveaux articles, souligne Jean-Pierre Picard. Je dirais qu’il y a plus de clics sur les liens du [bulletin] depuis le blocage de Meta.»
«On a rétabli le contact avec les lecteurs autrement, avec une application mobile, davantage d’infolettres et des abonnements», raconte de son côté l’éditeur-directeur général de l’Acadie Nouvelle, Francis Sonier.
Ce quotidien du Nouveau-Brunswick, ne pouvant plus pêcher les clics sur Meta, a vu une réduction du trafic sur son site web. «Ça a duré environ huit mois. Là, on est dans les mêmes chiffres de visites qu’on avait il y a un an à peu près», observe-t-il.
Et au Droit, le trafic sur le site se redresse «assez bien», assure Geneviève Rossier. «Les gens qu’on a perdus, ce sont des gens qui étaient moins loyaux et moins engagés envers le média. Ce sont des gens qui venaient une fois par mois parce qu’un ami avait partagé un contenu sur Facebook.»
Le Moniteur Acadien, de son côté, a récupéré des lecteurs avec des infolettres, des concours et en faisant la promotion du site sur les ondes de la radio CJSE, qui compte 80 000 auditeurs, assure Jason Ouellette.
Grâce à ces nouvelles stratégies, le site web du Moniteur Acadien est passé de 2 500 visites à 8 000, ce qui demeure loin des 22 000 du départ. «Et ce n’est pas suffisant pour convaincre d’acheter de la publicité chez nous», fait remarquer le directeur général. Entre le site à 8 000 et la radio à 80 000 auditeurs, le choix est vite fait.
Le Moniteur Acadien tentait d’ailleurs de générer de la publicité à travers les réseaux sociaux, idée qui est tombée à l’eau.
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Une démocratie fragilisée
En juillet 2023, le gouvernement fédéral a annoncé le retrait de ses publicités des plateformes de Meta, un boycottage qui ne s’est pas étendu jusqu’à l’utilisation des plateformes par les élus.
«Ce qui me dérange le plus, [j’en suis] très émotionnel, c’est de voir mes élus […] continuer d’utiliser les plateformes comme Meta pour communiquer avec les gens quand clairement, ils négocient de mauvaise foi», déplore Jason Ouellette.
«Mes conseillers, mes députés provinciaux et mes députés fédéraux dorment», ajoute-t-il. Je ne comprends pas comment un député qui a porté serment ou allégeance au Roi pour assurer la démocratie canadienne peut continuer d’appuyer des plateformes comme celles-là.»
Geneviève Rossier, quant à elle, s’inquiète pour le secteur «très volatile» des médias. Celui-ci ne fait pas seulement face au boudage de Meta, rappelle-t-elle. «Il y a beaucoup d’incertitudes entourant l’exécution de l’entente avec Google. […] Je ne sais toujours pas combien d’argent je vais recevoir, ni quand.»
Elle ajoute qu’il existe aussi de l’incertitude face aux impacts de l’intelligence artificielle et face à l’avenir de la politique fédérale : «Pas tous les partis aspirant au pouvoir sont enthousiastes à poursuivre les programmes de soutien aux médias.»