Marianne Dépelteau – Francopresse
«Un gouvernement conservateur de gros bon sens nommera des sénateurs de gros bon sens qui vont couper les taxes et les impôts, bâtir des logements, réparer le budget et stopper les crimes», assure le leadeur de l’opposition officielle à la Chambre des communes, Andrew Scheer, dans une réponse écrite à Francopresse.
Il accuse également Justin Trudeau d’avoir menti aux Canadiens en promettant un Sénat indépendant et non partisan, mais d’avoir nommé une majorité de sénateurs «libéraux».
Les conservateurs espèrent rééquilibrer la balance en nommant des sénateurs plus alignés aux valeurs conservatrices.
Réforme, abolition ou statuquo?
L’ancien premier ministre Stephen Harper a tenté de réformer le Sénat afin d’organiser des élections et d’instaurer une limite de mandat.
«Il n’y a pas eu de changement pendant 146 ans et les gens en viennent à la conclusion que l’on doit soit changer le Sénat, ou alors l’abolir», avait lancé Pierre Poilievre en 2013, alors qu’il était ministre d’État à la Réforme démocratique.
Mais en 2014, la Cour suprême a statué que le fédéral nécessite l’accord des provinces pour réformer ou abolir le Sénat. Pour modifier, entre autres, les pouvoirs de la Chambre haute ou le mode de sélection des sénateurs, la formule du 7/50 est nécessaire – soit l’appui des deux tiers des provinces (7) représentant 50 % de la population canadienne –, tandis que l’abolition exige l’approbation unanime de toutes les provinces.
Selon le professeur de science politique au Campus Saint-Jean de l’Université d’Alberta, Frederic Boily, à cause de cette décision, toute réforme profonde du Sénat est pratiquement impossible.
«Je pense que l’idée, pour Pierre Poilievre, serait d’avancer le plus possible avec des nominations partisanes, dit-il. Le gouvernement fédéral ne peut pas agir unilatéralement dans les projets de réforme, ça fait en sorte qu’on se rabat sur les modes de nomination, ce qui n’est pas un changement en profondeur.»
La réforme libérale
En janvier 2014, Justin Trudeau annonce l’expulsion des sénateurs libéraux du caucus national du Parti libéral du Canada (PLC), afin de limiter la partisanerie à la Chambre haute. Les 32 expulsés commencent à siéger comme indépendants.
En 2015, Justin Trudeau annonce la création d’un Comité consultatif indépendant sur les nominations au Sénat, qui a pour mission de conseiller le premier ministre sur les candidats,
Le retour à un Sénat partisan
Comme le confirme sa plus récente plateforme électorale, un gouvernement formé par le Parti conservateur du Canada rétablirait un processus de nomination partisan.
De son côté, la sénatrice non affiliée Raymonde Saint-Germain tient à l’indépendance des sénateurs face aux partis politiques. Selon elle, le Sénat doit rester «au-dessus des considérations électorales».
«Ça ne veut pas dire que quelqu’un qui est nommé en ayant l’adhésion politique à un parti ferait nécessairement un mauvais sénateur. Mais il faut que les sénateurs puissent avoir une indépendance face au programme des partis […] pour pouvoir proposer des améliorations réalistes et raisonnables aux projets de loi.»
Elle espère que, peu importe l’identité du prochain premier ministre, les sénateurs nommés «comprendront le rôle du Sénat et travailleront dans le meilleur intérêt des Canadiens». Pour ce qui est des sénateurs actuels, elle est d’avis que le «gros bon sens» prévaut déjà.
«Le Sénat a déjà le réalisme et le pragmatisme en tête lorsqu’il examine les projets de loi ou lorsque les comités font des études», affirme-t-elle.
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Gouvernement majoritaire ou minoritaire : la nature de la victoire conservatrice – si elle a lieu – sera décisive pour l’influence de Pierre Poilievre au Sénat.
«Si c’est une victoire forte, ça pourrait compliquer la tâche des sénateurs qui voudraient s’opposer à un projet de loi conservateur», explique Frederic Boily. Dans ce cas, «trop s’opposer» pourrait alimenter le discours populiste de Pierre Poilievre, car s’opposer à son programme serait s’opposer à la volonté populaire.
Selon le sénateur progressiste Pierre Dalphond, tant que Pierre Poilievre se montrera ouvert aux modifications nécessaires de ses projets de loi, «le Sénat ne sera pas obstructif». «Je ne défendrai pas une politique d’obstruction systématique. Chaque projet de loi sera jugé à sa valeur.»
«Sous Trudeau, jusqu’à maintenant, chaque affaire, chaque projet de loi a été adopté avec une majorité qui n’était pas toujours constituée des mêmes personnes», rappelle-t-il. Il s’agit d’y aller au cas par cas, d’expliquer les projets de loi et d’en reconnaitre les faiblesses au besoin, détaille le sénateur.
Ramener le «gros bon sens»
Le sénateur conservateur Donald Plett ne craint pas que le plan de Pierre Poilievre rende le Sénat plus partisan. «Trudeau nomme des sénateurs libéraux depuis son début et le fait par l’entremise d’un comité formé de libéraux», avance-t-il. L’indépendance du Sénat depuis sa réforme demeure, selon lui, une «illusion».
Et en nommant plus de sénateurs «de gros bon sens», Pierre Poilievre pourrait ramener deux caucus clairs au sein de la Chambre haute, se réjouit Donald Plett, qui constate que celle-ci est fragmentée et que les sénateurs «viennent avec leurs agendas personnels».
«Un conservateur de gros bon sens est quelqu’un qui veut faire ce qu’il y a de mieux pour l’ensemble du pays, pas pour les élites libérales», définit-il.
Le conservateur assure aussi que Pierre Poilievre n’a jamais tenté de dicter le vote des sénateurs du caucus : «On ne whip pas nos sénateurs.» Si les votes sont similaires entre sénateurs et députés conservateurs, c’est pour une autre raison, soutient-il. «Mes valeurs me font pression.»
Jusqu’à 46 sénateurs
Les prochaines élections fédérales sont prévues au plus tard le 20 octobre 2025. Jusque-là, le premier ministre, par la voie de la gouverneure générale, peut nommer des sénateurs.
Selon le site du Sénat, quatre sénateurs prendront leur retraite en 2024, huit en 2025, neuf en 2026, cinq en 2027, cinq en 2028 et sept en 2029. Il reste également huit sièges vacants à combler.
S’il devient premier ministre en 2025, et dans le cas hypothétique où Justin Trudeau ne nomme aucun nouveau sénateur d’ici là, Pierre Poilievre aura donc l’occasion de nommer au moins 46 sénateurs lors d’un mandat.