L’intelligence artificielle (IA) peut-elle voler au secours du climat? Depuis quelques années, des études laissent entrevoir tout son potentiel pour mieux comprendre et lutter contre le dérèglement climatique.
Un article scientifique a particulièrement marqué les esprits dans le domaine. Intitulé «Lutter contre le changement climatique avec l’apprentissage automatique», il a été publié en 2022 dans ACM Computing Surveys.
David Rolnick, professeur à l’université McGill à Montréal, et une quinzaine d’autres auteurs y recensent les promesses de l’IA dans 13 secteurs, comme l’agriculture, le bâtiment ou encore l’urbanisme.
Pour ces deux derniers secteurs, les promesses sont réunies sous le nom de smart city, pour ville intelligente et connectée. Ainsi, des systèmes automatisés peuvent détecter des fuites plus rapidement, optimiser les transports en commun ou encore adapter en temps réel chauffage et lumière selon la présence ou non de personnes dans les pièces.
L’IA peut également réduire les émissions de carbone d’un bâtiment «en modélisant les données sur la consommation d’énergie et en optimisant l’utilisation de l’énergie», insistent les auteurs.
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Mieux anticiper la météo du lendemain
Dans les champs, le nouveau terme employé est l’agriculture de précision. Autrement dit, une ferme équipée d’une multitude de capteurs et nourrie d’images satellites pour décider quand épandre ou quand planter, mais aussi détecter l’arrivée de maladies.
Le but de ce déploiement technique peut servir à maintenir les rendements tout en limitant l’usage de produits chimiques, d’eau et les rejets de gaz à effet de serre.
«L’agriculture de précision pourrait réduire les émissions de carbone du sol et améliorer le rendement des cultures, ce qui pourrait réduire le besoin de déforestation», écrivent David Rolnick et ses collègues.
L’IA pourrait être aussi capable, un jour, de mieux anticiper la météo du lendemain que les modèles actuels.
«Nous développons déjà des modèles de prédiction des inondations sur la rivière Ottawa, observe le professeur de génie civil à l’Université d’Ottawa, Hossein Bonakdari. L’IA va permettre de mieux prédire les évènements météorologiques liés au réchauffement.»
De son côté, Google promet depuis mai 2023 de mieux prévoir les inondations en les anticipant sept jours à l’avance dans 80 pays grâce à son outil Flood Hub.
Mais ce développement ne se fait pas sans cout environnemental. Toute virtuelle qu’elle soit, l’IA repose sur des infrastructures bien physiques. Elle a par exemple besoin de capteurs pour s’alimenter, de serveurs pour fonctionner et même de satellites dans le cas de l’agriculture de précision.
«Les algorithmes avec lesquels nous travaillons pour aider le climat sont comme des souris; ils ne consomment pratiquement pas d’énergie, défend David Rolnick en entrevue avec Francopresse. Ce sont les grands modèles de langage comme ChatGPT qui sont l’équivalent d’éléphants très gourmands en énergie.»
Connaissances lacunaires
De fait, les IA ultramédiatisées, comme le générateur de textes ChatGPT ou les générateurs d’images Dall-e ou Midjourney, impliquent des millions d’heures de calculs informatiques, donc la consommation d’une grande quantité d’électricité.
Cette électricité, encore rarement renouvelable, est synonyme d’autant d’émissions de gaz à effet de serre, que ce soit pour chaque ordinateur ou pour les plus de 8 millions de centres de données dans le monde.
En 2019, une équipe de l’université du Massachusetts avait ainsi calculé que le simple entrainement d’une IA équivaut à 205 aller-retour Paris New York en avion en termes d’émissions de CO2.
L’année dernière, une autre étude de l’université américaine du Colorado avait calculé que poser 25 questions à ChatGPT coutait un demi-litre d’eau douce; de quoi atteindre des millions de litres si l’on multiplie cela par les 200 millions d’utilisateurs de cet outil.
«Ces IA dites génératives ont un cout écologique colossal et leur utilisation va être amenée à exploser dans les années à venir, s’inquiète Hossein Bonakdari. Plus il y aura d’utilisateurs, plus on devra stocker des milliards d’octets de données pour entrainer les algorithmes derrière.»
Ces chiffres donnent le tournis.Pourtant, ce ne sont que des estimations. Selon les chercheurs, il est impossible de calculer l’empreinte environnementale réelle, et ce, faute de données.
«Les grandes entreprises du numérique ne partagent pas leurs chiffres sur la consommation en énergie, en eau et en matériaux de leurs IA, regrette Hossein Bonakdari. On ne dispose pas d’informations détaillées sur le cycle complet d’une IA, de sa conception à son utilisation.»
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Risque d’«accélérer les entreprises polluantes»
Le spécialiste s’inquiète également des grandes quantités d’eau nécessaires pour refroidir les serveurs informatiques : «À l’échelle de la planète, on estime que l’IA aura besoin de quatre à six-milliards de mètres cubes d’eau en 2027, ce qui représente 10 à 15 % de la consommation annuelle d’eau au Canada.»
Pour que les avantages de l’IA appliquée à l’environnement prennent le pas sur les inconvénients, les chercheurs s’accordent sur le besoin d’en encadrer les usages.
«Il faut avoir une règlementation claire et détaillée pour mieux contrôler le secteur, pour obliger les entreprises à utiliser des énergies renouvelables, à optimiser leurs algorithmes afin qu’ils soient moins énergivores», défend Hossein Bonakdari.
«Quand un industriel veut mettre un produit sur le marché, il devrait être obligé de démontrer qu’il n’a pas un impact négatif sur le climat», ajoute-t-il.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) écrit d’ailleurs à ce propos : «Les technologies numériques contribuent à la décarbonation seulement si elles sont gouvernées correctement».
David Rolnick n’est pas non plus naïf et prévient : «Si elle n’est pas utilisée correctement, l’IA peut aussi accélérer les entreprises polluantes, la production de pétrole et de gaz a déjà augmenté de 5 % à cause d’elle.»
L’informaticien appelle à faire des choix de société «clairs» quant à l’usage de cette nouvelle technologie, en encourageant des utilisations qui s’alignent sur l’action climatique.
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