le Mercredi 11 septembre 2024
le Lundi 8 avril 2024 7:00 Acadie et Francophonie

Préserver le patrimoine acadien, un travail quotidien

Le centre culturel des Trois Pignons, qui abrite plusieurs artefacts de Chéticamp, est l’un des multiples musées et lieux historiques en Nouvelle-Écosse dévoués à la valorisation du patrimoine. 
 — PHOTO : Jean-Philippe Giroux
Le centre culturel des Trois Pignons, qui abrite plusieurs artefacts de Chéticamp, est l’un des multiples musées et lieux historiques en Nouvelle-Écosse dévoués à la valorisation du patrimoine.
PHOTO : Jean-Philippe Giroux
Si certains peuvent croire que le patrimoine est quelque chose d’immuable, plusieurs experts dans le domaine culturel, universitaire et archivistique sont conscients de son impermanence, d’où le besoin de faire du travail de préservation.
Préserver le patrimoine acadien, un travail quotidien
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Jean-Philippe Giroux – IJL – Réseau.Presse – Le Courrier de la Nouvelle-Écosse

Dossier spécial : Le patrimoine acadien – 2e partie

«Le patrimoine, c’est toujours subjectif, précise Laurent Dambre-Sauvage, chercheur postdoctoral au Centre de recherche sur la ruralité, à l’Université de Moncton. Il y a aucun élément de patrimoine qui ne soit érigé sur des éléments qui ne soient pas subjectifs.»

Un exemple de cette subjectivité est le fait que certains objets étaient jadis patrimoniaux, mais ne le sont plus et, d’une manière inverse, des éléments qui n’auraient pas été considérés comme patrimoniaux il y a 50 ans n’ont obtenu le statut que récemment. 

Une collectivité peut aussi prendre la décision de se dissocier de certains aspects du patrimoine qu’elle estime problématiques, par exemple des blagues ou des représentations xénophobes qui paraissent dans les archives. 

Lisette Aucoin-Bourgeois, directrice générale de la Société Saint-Pierre à Chéticamp. 

PHOTO : De gracieuseté

«Cela ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas une valeur documentaire, mais on aurait peut-être moins envie de faire vivre ces aspects-là du patrimoine», explique Clint Bruce, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales, à l’Université Sainte-Anne. 

Puisque la relation qui se tisse entre un groupe et les éléments de son environnement change au fil du temps, rien concernant le patrimoine n’est objectif ni permanent, argumente M. Dambre-Sauvage. Les vestiges disparaissent, les valeurs et les croyances changent. 

«C’est pour ça qu’il est très important de voir ça d’une manière dynamique, et puis plutôt que d’avoir des objectifs de classement, de protection, etcétéra, il faut également […] entretenir la relation entre les communautés et ces éléments.» 

Le patrimoine est associé à la succession, explique Erika Basque, assistante archiviste du Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson. Il renvoie à un héritage qui est avant tout collectif, ce qui influence la mission des organismes et des institutions. «C’est une définition qui est dynamique, donc elle n’est pas statique.»

Un travail continu

Si certaines traces écrites ou certains artefacts peuvent perdre leur valeur au fil du temps, il serait rare et très difficile de s’en départir, précise Erika Basque, du moins dans un contexte muséal et archivistique. «Je peux pas vraiment dire s’il y aurait une perte de valeur, précise-t-elle, mais la valeur pourrait certainement évoluer.»

Reste que plusieurs documents qui sont archivés se détériorent, malgré les efforts de préservation. Au Centre acadien de Sainte-Anne, le matériel en papier est conservé dans des voûtes climatisées pour rallonger leur durée de vie. On peut aussi faire des copies et du travail de transcription. 

Clint Bruce, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales (CRÉAcT).

PHOTO : L’Université Sainte-Anne

Et parfois, des éléments du patrimoine tombent dans l’oubli tout simplement, rappelle le directeur du Centre, Matthias Duc. Mais l’intérêt peut revenir plus tard, si la population les découvre de nouveau. 

Quoique dans certains cas, la négligence peut avoir des conséquences irréversibles, fait remarquer Clint Bruce. «Il suffit de penser au patrimoine bâti, les églises qui ont déjà été démolies ou qui subiront une démolition très prochainement […] on peut les avoir documentées par la photographie, conserver certains objets, des documents relatifs à ces sites-là, mais par la négligence, c’est sûr que ce patrimoine aurait une valeur nulle, et ça, je pense qu’il faut l’éviter à tout prix.» 

Une solution, d’après le professeur, serait de donner une nouvelle utilité aux sites en question, soit de faire d’eux des espaces multiusages. «Il faut vraiment avoir des modèles viables pour la gestion de ces sites-là et que ces sites répondent à des besoins internes à la communauté, pas simplement d’[accueillir] des gens de l’extérieur.» 

Par la transmission

La partie historique du patrimoine de Pubnico est fondamentale, précise Bernice d’Entremont du Musée des Acadiens des Pubnicos, et la transmission du savoir est primordiale. «C’est notre identité, c’est notre fierté. La seule manière qu’on va pouvoir le préserver, c’est le montrer, l’enseigner, le faire voir aux touristes», commente-t-elle. 

Le Musée cible, entre autres, les jeunes afin de préserver ce patrimoine. Des centaines d’élèves de la région ont eu la chance de visiter la vieille maison du musée pour explorer leur héritage et leur culture. 

Si on ne pense pas aux enfants, «on perd une partie de qui on était, qui sont nos descendants», lance Mme d’Entremont. 

Toutes les activités au musée comptent, des repas communautaires aux visites dans le jardin, où on enseigne les bases du jardinage acadien en discutant des plantes emportées par les ancêtres, de la manière d’étaler le goémon, etc. 

La Société Saint-Pierre, dans le coin de Chéticamp, a elle aussi le mandat de promouvoir la langue, la culture et le patrimoine local, et le fait pas mal tous les jours, mentionne la directrice générale, Lisette Aucoin-Bourgeois, notamment à travers le travail du Centre de généalogie et du Musée du tapis hooké, au centre des Trois Pignons. 

Le patrimoine culturel et vivant se voit publiquement par les styles de danse, les masques et costumes de la Mi-Carême et les tapis hookés, mais s’entend également par la musique jouée en spectacle et à la radio, qui est demeurée relativement inchangée à travers les siècles. 

On peut attribuer cette préservation en partie à Radio CKJM, où l’on trouve un éventail d’enregistrements de chansons d’antan comme les œuvres du Père Anselme Chiasson, ainsi qu’aux musiciens locaux, qui continue de faire découvrir la musique traditionnelle. 

La programmation d’un organisme est, selon Mme Aucoin-Bourgeois, une bonne façon d’attirer les gens aux événements qui soulignent le patrimoine. «En ayant du plaisir, ils sont en train de connaitre leur histoire, de revivre et de vivre leur patrimoine acadien.» 

L’accent sur l’accessibilité

Selon Clint Bruce, les chercheurs et les résidents interpellés par l’héritage doivent avoir l’impression que le patrimoine est facile et agréable à découvrir. Il faut les orienter et leur donner des pistes, mais aussi les aider à se retrouver dans les fonds d’archives et les collections d’objets. 

Une manière de rendre le patrimoine plus visible serait d’inclure plus régulièrement les musées et les centres de recherche et d’archives dans la vie communautaire, «que les gens aient l’habitude de s’y rendre, qu’il y ait un accueil, que ça soit des endroits agréables pour se retrouver, explique M. Bruce. C’est certainement quelque chose que j’essaie de faire avec l’Observatoire Nord/Sud.» 

Avec l’accessibilité, il faut aussi comprendre les raisons pour lesquelles l’on souhaite valoriser le patrimoine. «C’est une grande partie de ce qui fait la spécificité du peuple acadien, de la collectivité francophone des maritimes et aussi de la diaspora. Quand on met en valeur le patrimoine local, ça donne envie à des gens d’ailleurs, notamment de la diaspora, de se rendre dans nos régions», argumente le professeur. 

C’est aussi de continuer à faire le lien entre l’histoire du passé et celle du présent. Selon lui, sans cet ancrage dans le temps, le peuple acadien risque de perdre sa raison d’être. «On ne peut pas vivre qu’en 2024. Il faut que 2024 soit aussi lié avec le passé pour donner un sens à notre action aujourd’hui et pour l’avenir», conclut-il.