Le premier c’est l’incontournable Moncton mantra de Gérald Leblanc. D’abord publié aux éditions Perce-Neige à Moncton en 1997, cet ouvrage connaitra une deuxième vie lorsqu’il sera republié aux éditions Prise de parole de Sudbury en 2012.
Que puis-je dire au sujet de ce livre-phare de la culture acadienne que le grand Herménégilde Chiasson n’a pas dit dans sa préface de l’édition sudburoise? Chiasson écrit : «[…] ce livre est le témoignage d’un climat, d’une époque et d’un parcours qui fut celui de plusieurs écrivains de ma génération…»
Dès les premiers paragraphes, Leblanc nous confie l’essence de son livre : «J’ai commencé à m’interroger […] sur ce qui faisait que j’étais moi-même Acadien et sur ce que ça voulait dire au juste.» Et il poursuit : «Le plus surprenant, c’était qu’une constante demeurait malgré tout, et c’était l’obsession d’écrire.»
Dans le fond, ce livre est une sorte d’autobiographie romancée. On sent bien que le narrateur, Alain, est le sosie littéraire de Leblanc. On suit donc Alain/Gérald qui tient un journal dans lequel il nous raconte ses déboires universitaires mêlés à ses amours, ses amis, ses voyages, ses rencontres avec des écrivains en devenir (dont Chiasson) et l’odeur des joints omniprésents.
Mais ce qui ressort gros comme le bras dans Moncton mantra, c’est la furie d’écrire de Leblanc et son amour inaltérable pour Moncton en tant que capitale acadienne.
À lire pour comprendre d’où vient notre littérature moderne.
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Le deuxième livre que je vous présente n’est point le moindre. Rivières-aux-Cartouches : Histoires à se coucher de bonne heure de Sébastien Bérubé a gagné le Combat des livres de Radio-Canada de 2023, le prix Champlain de 2024, le Prix du recteur de l’Université de Moncton de 2024 et un des prix Éloizes de 2024, catégorie Artiste de l’année en littérature. Et c’était bien mérité pour ce jeune auteur-compositeur-interprète, poète et artiste.
Sébastien Bérubé joue d’un style, d’une acrobatie des mots, d’un romanesque qui nous rappellent les grands comme Antonine Maillet, Michel Tremblay, Jean Marc Dalpé.
Il n’hésite pas entre l’écriture et le vocabulaire classique et la langue parlée. Il utilise les mots de tous les jours dans sa région de Restigouche, au nord du Nouveau-Brunswick, ce qui donne un sens du réel à son roman.
L’auteur ne nous raconte pas une histoire linéaire traditionnelle. Il nous raconte plutôt un village et ses habitants. Plusieurs des personnages sont métis puisque le village est collé à une réserve autochtone. Un des personnages-narrateurs avoue d’ailleurs «T’es mélangé. Dans ta tête, dans ton sang, dans tes mots. Mélangé». Dans ce village, le mélange semble harmonieux.
J’écris «personnages-narrateurs» parce que le village nous est raconté par plusieurs voix. C’est un style qui peut être un peu déconcertant, mais qui permet à Sébastien Bérubé de nous faire entrer dans la tête des gens du village. Et ça donne des histoires qui nous semblent plus vraies, plus vécues.
Je pourrais écrire longtemps sur ce livre, mais je préfère vous laisser le découvrir. Qu’il me suffise d’affirmer que c’est un des meilleurs livres franco-canadiens que j’ai lus depuis longtemps. Je m’attends à le voir dans la liste des finalistes pour les prochains Prix du Gouverneur général.
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Le troisième livre que je vous présente est un recueil de poésie, de courts textes, intitulés Formats de l’artiste multidisciplinaire Daniel H. Dugas. Mais si le mot poésie invoque immédiatement en vous Baudelaire ou Hugo, détrompez-vous. Pas que Daniel Dugas ne soit pas à la hauteur des grands, mais plutôt parce que Formats est un livre hyper moderne qui allie vers, prose et technologie.
Dès le début du recueil, Daniel Dugas nous dit ce qu’il tente de produire. Il nous parle des formats d’image (du 16:9 au cinémascope) du code binaire qui régit le numérique, des formats d’écran (SDTV, HDTV, UHD) omniprésents dans nos salons et même des codages analogiques NTSC et PAL.
Si vous ne comprenez pas cette terminologie, ne vous en faites pas, l’auteur nous l’explique très bien. Et il y a un glossaire à la fin du livre.
S’ensuit une série de textes dont la forme est calquée sur ces formats, ces codes. Ces formats constituent d’ailleurs la structure du recueil. Par exemple, Daniel Dugas débute la section NTSC (National Television System Committee) en expliquant que ce système utilisé au Canada «est adapté aux formats vidéos de 525 lignes et 30 images par seconde […] ainsi un poème NTSC est composé de 30 lignes et de 525 caractères».
Il en découle des textes quelques fois ludiques, toujours intéressants. C’est vraiment inusité de lire des poèmes intitulés Poème VHS ou Nombres binaires.
Ou encore dans la section PAL (Phase Alternating Line), un poème intitulé Saturnin dans lequel Daniel Dugas se rappelle du dessin animé de son enfance sur un téléviseur noir et blanc avec un écran aux coins arrondis. Ce souvenir l’incite d’ailleurs à rogner les coins de photos de sa jeunesse pour les inclure dans le livre.
Daniel Dugas nous invite à une poésie rafraichissante à laquelle nous ne sommes pas habitués, mais qui nous séduit.
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Comme je l’ai déjà écrit, on peut juger de la qualité d’un livre par les sentiments qu’il évoque après l’avoir lu.
Pour Moncton mantra c’est l’urgence d’écrire et de changer le monde que les jeunes de cette époque ressentaient.
Dans Rivières-aux-Cartouches, c’est un sentiment de voyeurisme, de non seulement connaitre l’histoire d’un village, mais de la vivre dans la tête de ses habitants.
Avec Formats, c’est le sentiment de la modernité, que notre bonne vieille culture poétique est toujours actuelle.
Réjean Grenier a travaillé dans les médias pendant 47 ans, comme journaliste, rédacteur principal à Radio-Canada/CBC, éditeur et propriétaire d’un journal et d’un magazine, et éditorialiste. Il a présenté une chronique littéraire sur les ondes de Radio-Canada pendant cinq saisons. Il est un avide lecteur depuis l’âge de 12 ans. Il a grandi dans un petit village du Nord de l’Ontario où il n’y avait pas de librairie, mais il a rapidement appris où commander des livres. Son type d’ouvrage préféré est le roman puisqu’«on ne trouve la vérité que dans l’imaginaire».