le Jeudi 12 septembre 2024
le Vendredi 5 avril 2024 9:00 Chroniques

L’anglais comme langue première : où s’arrête la francophonie?

Les communautés francophones se font plus accueillantes pour agrandir leurs rangs. Toutefois, il semble encore y avoir des réticences à intégrer des personnes dont la langue maternelle est l’anglais, comme ceux qui ont étudié en immersion.  — PHOTO : Kenny Eliason – Unsplash
Les communautés francophones se font plus accueillantes pour agrandir leurs rangs. Toutefois, il semble encore y avoir des réticences à intégrer des personnes dont la langue maternelle est l’anglais, comme ceux qui ont étudié en immersion.
PHOTO : Kenny Eliason – Unsplash
FRANCOPRESSE – Toute identité, on le sait, est en constante redéfinition. Le Mois de la francophonie est tout indiqué pour réfléchir à la manière dont on crée et déplace ses frontières. Et il est temps de prendre acte d’une transformation importante : beaucoup de gens dont la langue première est l’anglais s’intéressent au français et aux cultures d’expression francophone et cherchent des occasions de parler français et des communautés où participer.
L’anglais comme langue première : où s’arrête la francophonie?
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Les dernières décennies ont vu un début de changement dans l’autodéfinition des communautés francophones en situation minoritaire. Les discours officiels ne s’arrêtent pas à l’inclusion des personnes ayant immigré au Canada : ils revendiquent aussi davantage d’immigration.

Les organismes porte-paroles des provinces se déplacent ainsi dans les évènements visant à attirer l’immigration dans leurs communautés, lançant des invitations ouvertes à s’y joindre.

Il devient alors difficile de se définir en tant que communauté par la langue maternelle ou par les liens familiaux ou ancestraux, suivant le modèle ethnoculturel de l’ancienne nation canadienne-française ou encore le modèle ethnolinguistique.

Pourtant, cela n’empêche aucunement des tensions entre les discours officiels et le racisme qui demeure bien ancré tant chez des membres des communautés qui résistent à ce changement qu’au sein des structures des organismes eux-mêmes.

À lire : « Stop racisme 105.1 » : pour comprendre la réalité des minorités

Toutefois, il semble que la langue maternelle continue de poser problème lorsqu’il s’agit de l’anglais.

On sent plus qu’une hésitation : un malaise, une peur, une frontière encore bien tracée. Comme si une bonne part de la vie des francophones n’avait pas déjà lieu en anglais; comme si plusieurs de leurs relations, dont les relations de couple, ne liaient pas déjà bon nombre de personnes dont l’anglais est la langue maternelle aux communautés francophones.

Les succès de l’immersion française

C’est sans compter les 1,6 million de personnes, dont 700 000 en âge scolaire, qui ont suivi ou suivent un programme d’immersion française (selon les données du recensement de 2021, et à l’extérieur du Québec).

Sur ce dernier nombre, un peu plus de 448 000 élèves étaient inscrits dans des programmes d’immersion française. À l’échelle de chaque province, c’est au minimum une personne sur dix à l’école qui est en immersion.

À force de parler des limites et des défis liés à l’immersion, on en oublie souvent les succès. Au Manitoba, la croissance des inscriptions est plus rapide que la croissance des naissances. Au pays, presque la moitié des élèves en immersion suivent un tel programme jusqu’à la fin de leurs études. 

Il faut éviter de dramatiser les moments de transition vers d’autres programmes scolaires. Au secondaire, l’immersion devient une option parmi d’autres, comme les arts ou les sports, par exemple.

Les défis sont néanmoins bien réels et ont notamment trait à l’absence de soutien pour les difficultés d’apprentissage, ce qui renvoie ici aussi à la question des filières créées dans l’éducation secondaire.

Néanmoins, l’immersion fonctionne. Toujours selon les données de Statistique Canada, six jeunes femmes sur dix et environ la moitié des jeunes hommes qui avaient suivi une année ou plus d’un programme d’immersion pouvaient tenir une conversation en français.

Ces données suggèrent que plusieurs des personnes qui ne vont pas jusqu’au bout du programme d’immersion peuvent converser en français – et que l’équivalent de l’ensemble de celles qui le terminent peuvent le faire. Les autres possèdent tout de même plusieurs notions de français et seront en mesure de poursuivre leur apprentissage de cette langue plus tard dans leur vie.

Que l’immersion mène au mélange

Il faut éviter de voir l’immersion et les personnes apprenant le français comme étant coupées des communautés francophones. En effet, un intérêt pour l’immersion semble lié à la présence du français dans le milieu de vie.

Selon Statistique Canada, «[d]ans les municipalités du Canada hors Québec où au moins 30 % des adultes connaissaient le français en 2021, environ la moitié des enfants d’âge scolaire de langue maternelle anglaise ou tierce suivaient ou avaient déjà suivi un programme d’immersion en français».

Par ailleurs, on ne peut penser à l’immersion sans l’immigration, puisque 47 % des enfants qui suivaient ou avaient suivi un programme d’immersion au Canada en 2021 étaient issus de l’immigration.

On ne peut non plus exclure l’immersion des communautés francophones. Leurs liens intimes se voient même à partir de l’un des critères les plus exigeants pour mesurer la vitalité du français, à savoir la langue parlée à la maison.

Toujours en 2021, «15,4 % des personnes âgées de 5 à 60 ans parlant français à la maison au Canada hors Québec» suivaient ou avaient suivi un programme d’immersion.

Pourtant, dans les communautés francophones en situation minoritaire, on parle rarement de l’immersion hors du contexte de l’éducation. On compte sur les doigts d’une main les articles sur ce sujet, même dans Francopresse, et l’enjeu ne semble pas exister sur le site de vulgarisation scientifique La Conversation.

Au sein de la gouvernance liée aux langues officielles, on tend par ailleurs à séparer les enjeux d’apprentissage de la langue de ceux vus comme propres aux communautés francophones.

Cet appel ne s’adresse donc pas seulement à mes collègues des médias et des universités : les organismes des communautés francophones devraient également inclure les questions propres aux écoles d’immersion et aux personnes qui suivent et ont suivi ces programmes dans leurs réflexions et leur plan stratégique. Sans cela, on continuera de laisser de côté une part essentielle de la francophonie canadienne.

Au-delà des tensions

La situation actuelle ne pourra de toute manière durer bien longtemps. Parmi les personnes francophones immigrantes qui sont invitées à rejoindre ces communautés, un bon nombre maitrisera l’anglais mieux que le français ou l’aura comme langue d’usage. 

Les communautés francophones elles-mêmes reconnaissent le besoin d’assurer un enseignement de l’anglais aux personnes immigrantes qui ne le parlent pas déjà.

Force est de constater que les communautés francophones demeurent des espaces de choix, des communautés électives, même pour les personnes qui grandissent en leur sein et parlent français depuis l’enfance.

Les raisons de la participation à ces communautés sont liées au désir de trouver ou de faire éclore davantage d’occasions de vivre, d’étudier, de travailler, de créer ou de se divertir en français. 

On devra ainsi se demander de quoi on croit se protéger et si l’on peut gagner quoi que ce soit à maintenir de telles frontières, alors même que tant de personnes font le choix d’apprendre le français ou de le faire apprendre à leurs enfants.