La sortie décriée du président français
Le président Macron a brisé un tabou le 26 février en affirmant que des troupes occidentales pourraient un jour être envoyées en Ukraine, car «en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre».
Dès le lendemain, tous les alliés occidentaux sont montés au créneau pour dire qu’il n’en était absolument pas question. Le Canada, par exemple, par la voix de son ministre de la Défense, Bill Blair, a signalé que cela n’était pas dans ses intentions.
On savait de toute façon que le Canada n’avait pas l’intention de faire grand-chose sur le plan militaire, comme le montre le fait que le pays n’a livré que la moitié de ce qu’il a promis comme aide militaire à l’Ukraine.
Cette joute rhétorique à laquelle se sont livrés les dirigeants occidentaux pour marquer très maladroitement l’entrée dans une troisième année de guerre nous révèle encore une fois le manque de profondeur et de connaissances de l’histoire de nos dirigeants.
Des parallèles du passé importants à saisir
Pour qui connait son histoire, le parallèle est immanquable : ne pas appuyer réellement l’Ukraine comme les Occidentaux le font aujourd’hui est l’équivalent de choisir l’abandon de la Tchécoslovaquie en 1938. D’ailleurs, ce qui est fascinant, c’est que les discours sont les mêmes.
Par exemple, les pseudo-intellectuels qui défilent sur les réseaux sociaux et les chaines d’information en continu ne cessent de raconter que «l’invasion russe n’était que défensive, que l’Ukraine l’a bien cherché et que, finalement, c’est de sa faute (et celle de Washington). Elle n’avait qu’à pas vouloir s’arrimer à l’Ouest».
En d’autres termes, ces personnes confondent l’explication et la justification. Comme politologue, j’ai souvent dit et écrit que l’élargissement à l’est de l’OTAN était une erreur, mais pour moi, cela n’a jamais justifié l’invasion russe de l’Ukraine. Invasion que je n’avais absolument pas envisagée par ailleurs.
Parallèle 1 : C’est comme si vous justifiez les actions d’Hitler parce que le Traité de Versailles était trop injuste et trop dur envers l’Allemagne (ce qui est un fait et non une justification).
Parallèle 2 : Les accords de Munich. En fin de compte, les sorties outrées des dirigeants occidentaux le 27 février 2024 contre les propos de Macron signifient que, pour eux, il n’y a pas de ligne rouge quant à ce que Poutine peut faire en Ukraine.
Ils disent : jamais de troupes au sol. Jamais si Kiev était rasée par des bombardements aériens massifs? Jamais si les Russes installaient des camps de concentration (après tout il y a déjà un génocide en cours avec le transfert forcé de milliers d’enfants ukrainiens)? Jamais s’il ne restait que Lviv encerclée à résister? Jamais? Ils ont déjà abandonné l’Ukraine et ils espèrent que Poutine s’arrête là.
Comme en 1938, les dirigeants européens avaient scellé les accords de Munich avec Hitler et Mussolini en se disant qu’Hitler s’arrêterait après l’obtention des Sudètes. La France, qui avait pourtant un traité d’alliance avec la Tchécoslovaquie, avait choisi la voie du déshonneur.
Il faut souligner le courage, mais aussi, et surtout la cohérence, d’Emmanuel Macron qui, après avoir signé un accord de sécurité avec l’Ukraine, en tire les conséquences qui s’imposent.
Que vaut d’ailleurs l’accord bilatéral de sécurité signé en grande pompe par notre premier ministre et le président Zelensky si, quand l’Ukraine est envahie, nous ne sommes même pas capables d’envoyer les vêtements et le matériel d’hiver promis en octobre 2023?
L’urgence d’agir, vraiment
Les lecteurs auront vu venir le parallèle 3. Tout comme Hitler ne s’est pas arrêté aux Sudètes, Poutine ne s’arrêtera pas à l’Ukraine. Les mêmes qui justifient l’invasion de l’Ukraine diront que «mais si, Poutine n’est pas Hitler, c’est différent».
Mais même si on ne peut être certains des intentions du maitre du Kremlin, veut-on prendre un risque ou lui envoyer un message clair? Peut-on tirer une fois encore les leçons du passé?
Moscou est engagé dans un processus de reconstruction de l’Empire en se servant de la présence de minorités russophones pour justifier l’agression. Par conséquent, on peut fortement présumer que la Moldavie et les pays baltes seront les prochains sur la liste.
Il est urgent que l’Europe se réarme, de même que le Canada, car le monde a changé. Le retour de la guerre est bien là. Les dictatures investissent dans leur arsenal. La démocratie est en danger.
La perspective d’un parlement européen où l’extrême droite sera une force de premier plan en juin prochain, tout comme celle de la réélection de Donald Trump aux États-Unis, ne feront qu’accélérer ces processus déjà en cours dans le monde.
Ne faisons pas l’autruche. Soyons réalistes et courageux.
Aurélie Lacassagne est politicologue de formation et doyenne des Facultés de sciences humaines et de philosophie de l’Université Saint-Paul à Ottawa. Elle est membre du Comité de gouvernance du Partenariat Voies vers la prospérité.