le Samedi 18 janvier 2025
le Mardi 12 septembre 2023 9:00 Chroniques

Les enfants trans et non binaires ont besoin de soutien et non de consentement

 Le gouvernement de la Saskatchewan a récemment adopté une directive qui exige que les parents consentent à ce que leurs enfants changent leur nom ou leur genre dans leurs interactions avec l’école.  — PHOTO - RDNE Stock project – Pexels
Le gouvernement de la Saskatchewan a récemment adopté une directive qui exige que les parents consentent à ce que leurs enfants changent leur nom ou leur genre dans leurs interactions avec l’école.
PHOTO - RDNE Stock project – Pexels
CHRONIQUE – Les enfants ont autant besoin de sécurité et d’épanouissement personnel que les adultes, autant besoin que l’on respecte leur dignité et leurs chances de bonheur. Là où les adultes empêchent la réalisation de ces besoins, les enfants devraient avoir d’autres recours. L’école peut justement être un lieu où iels peuvent trouver des appuis qu’iels n’ont pas toujours à la maison – surtout pour les enfants trans et non-binaires.
Les enfants trans et non binaires ont besoin de soutien et non de consentement
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Récemment, le gouvernement de la Saskatchewan a adopté une directive qui exige que les parents consentent à ce que leurs enfants changent leur nom ou leur genre dans leurs interactions avec l’école. Les parents peuvent également ne pas consentir à ce que leur enfant reçoive les cours d’éducation à la sexualité. Une politique semblable a aussi été adoptée au Nouveau-Brunswick et discutée en Ontario

Des conséquences immédiates

Les jeunes qui ne sont pas certain·es de la manière dont leur famille réagirait à leur coming out ne peuvent donc pas chercher un premier contact avec une personne adulte à l’école à qui iels feraient confiance. À plus forte raison, les élèves qui craindraient les conséquences de ce coming out pour leur sécurité pourraient être dissuadé·es de s’afficher et de rechercher ce qui les rendra heureux·es.

Des études montrent que beaucoup d’adultes hésitent à partager leur identité sexuelle ou de genre, ou refusent carrément de le faire, et il demeure souvent difficile pour les jeunes de faire leur coming out. Plusieurs sont confronté·es à l’incertitude d’être accepté·e et à la réalité de la discrimination. Certains comportements et institutions cherchent à limiter leur capacité à être elleux-mêmes, voire à les «convertir» à une vie hétéronormatisée. Même avec le soutien de leur famille, plusieurs se cherchent une famille choisie.

À lire aussi : Le genre n’est pas à débattre

On sait enfin que la santé et la sécurité des jeunes personnes à la sexualité et au genre divers sont déjà en question : iels sont davantage victimes d’intimidation, de harcèlement et de violence et de ce fait, ont davantage de pensées suicidaires et de troubles de santé mentale. 

Il n’est pas rare que de tels comportements existent également à la maison et que ces jeunes soient mis à la porte ou ne voient d’autre choix que de quitter le foyer familial, sans nécessairement avoir d’endroit où aller. Il est donc essentiel pour les jeunes dans de telles situations de pouvoir être elleux-mêmes au moins dans certaines situations, dont à l’école, en attendant de pouvoir trouver davantage d’indépendance.

Critiques et ripostes

Ces attaques contre l’éducation à la sexualité ne sont pas nouvelles. En 2019, on déplorait déjà l’insuffisance de l’éducation sexuelle partout au pays, et notamment en Saskatchewan. Une bonne éducation, écrivait-on, «contribue au progrès vers l’égalité des genres, à de saines relations, à l’adoption de pratiques sexuelles plus sécuritaires ainsi qu’à la littératie médiatique». Elle contribue également à la santé et à une vie plus saine. Elle sauve des vies, et notamment pour les jeunes de la diversité de genre et sexuelle.

Ainsi, des critiques des nouvelles directives n’ont pas tardé à se faire entendre, de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) à l’Association des conseils d’établissement de la Saskatchewan, y compris par un groupe de parents. Ces critiques visent notamment la violation des droits et de la vie privée, ainsi que la mise en danger des enfants trans et non binaires. L’organisme saskatchewanais UR Pride et l’organisme pancanadien Égale ont rapidement riposté en amenant la question devant les tribunaux

Quelles relations ces directives encouragent-elles?

Au-delà de l’insécurité que créent immédiatement ces directives, notons un premier problème dans le genre de relations familiales et scolaires qu’elles encouragent. L’idée que les parents auraient des droits sur leurs enfants renvoie à une logique de contrôle. Les parents peuvent certes prendre des décisions là où d’autres adultes ne peuvent le faire. Mais cette capacité a ses limites. Et surtout, elle ne peut s’exercer contre l’enfant. 

L’autonomie des enfants doit ici être respectée. L’identité et la modalité de genre (le fait d’être cisgenre, transgenre et/ou non binaire), tout comme la sexualité, ne peuvent pas être comprises entièrement en termes de choix. Le consentement n’est donc pas la bonne approche.

Un second problème relationnel tient à ce que la très grande majorité des parents n’ont pas de formation pour l’éducation à la sexualité – et que souvent, les enseignant·es en ont très peu. De là l’importance de la présence d’expert·es dans l’éducation des enfants, ce qu’interdit largement la directive saskatchewanaise.

Le soutien avant tout

La participation des parents à l’éducation de leurs enfants est certes essentielle au succès et au bienêtre des enfants. Mais à vouloir contrôler et prendre des décisions dans des domaines qui ne relèvent pas à strictement parler du choix des enfants, l’on risque de nuire au bienêtre, à la santé mentale et physique des jeunes, ainsi qu’à nos relations avec eux. 

Comme me le disait mon ami·e S.Y. Page, qui défend les droits de jeunes personnes trans et non-binaires depuis plusieurs années : si les parents veulent connaitre le nom, les pronoms et l’identité de genre de leurs enfants, ils devraient sans doute commencer par leur parler. Et, ajouterais-je, créer un environnement où de telles conversations peuvent avoir lieu.

Une étude dont les résultats ont été publiés en 2020 démontrait qu’«un soutien fort qui encourage l’expression de genre favorise le bienêtre des jeunes et fortifie la relation avec leurs parents». Le soutien est donc au centre d’une relation saine qui permettra de participer à la présence au monde et aux autres des jeunes. Il se mesure en partie par la capacité des parents et des autres adultes dans la vie des jeunes (et notamment des écoles) de répondre aux espoirs des enfants plutôt que de les pousser vers leurs propres attentes.

Même les parents les plus attentionnés ne peuvent répondre à tous les besoins de leurs enfants. En tant que parent, cette vérité me déchire. Mais si nous ne laissons pas nos enfants explorer elleux-mêmes le rapport au monde et aux autres, quelque chose leur manquera : la capacité de s’orienter, la confiance en soi, et avant tout l’amour de soi. 

Pour en savoir davantage sur la terminologie liée à la diversité de genre et sexuelle :

https://jeunessejecoute.ca/information/2slgbtq-quest-ce-que-cela-signifie/

Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont «La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie» (Metispresses, 2018).