le Lundi 17 février 2025
le Mercredi 2 août 2023 7:00 Chroniques

Réduire l’inflation sans hausser les taux d’intérêt?

En juin, l’inflation s’est établie à 2,8 % au Canada. — PHOTO - Andre Taissin – Unsplash
En juin, l’inflation s’est établie à 2,8 % au Canada.
PHOTO - Andre Taissin – Unsplash
CHRONIQUE – Le 12 juillet dernier, la Banque du Canada a rehaussé son taux directeur pour la 10e fois depuis le début mars 2022. Il s’établit maintenant à 5 %. Malgré une chute importante de l’inflation depuis un an, la Banque ne prévoit pas un retour à sa cible de 2 % d’inflation avant 2025. Les taux d’intérêt pourraient donc rester élevés quelque temps. Est-ce possible de s’attaquer à l’inflation sans continuer à hausser les taux d’intérêt?
Réduire l’inflation sans hausser les taux d’intérêt?
00:00 00:00

Cette question est légitime, car pour les propriétaires qui ont une hypothèque, l’incidence de ces hausses de taux est loin d’être négligeable. Par exemple, si le taux passe de 2,5 % à 7 % sur un prêt hypothécaire de 400 000 $, il faut prévoir environ 1 000 $ de plus par mois, seulement pour couvrir les nouveaux intérêts.

Pour la banque centrale, l’idée est aussi simple que l’outil du taux directeur. Quand le cout des intérêts augmente, vous payez plus cher pour financer l’achat de votre voiture ou de votre maison. Vous devez donc réduire vos dépenses ailleurs. Il y a moins d’activité économique. L’inflation baisse.

Cependant, si vous êtes propriétaire et que vous remboursez une hypothèque sur un logement acheté dans un marché en surchauffe, vous êtes en droit de vous questionner sur cette stratégie. Après tout, votre seule faute aura été de vouloir vous loger. 

La Banque du Canada et les gouvernements possèdent d’autres leviers pour limiter l’inflation, mais il n’y a pas de solution miracle. 

Agir sur l’offre plutôt que sur la demande

L’ajustement du taux directeur se fait sentir sur la demande, la capacité des gens à dépenser, mais les raisons pour lesquelles le Canada et la plupart des pays du monde ont connu une poussée d’inflation ont moins à voir avec la demande excédentaire qu’avec l’offre qui a été bouleversée par la pandémie et la guerre en Ukraine. 

Cependant, il est difficile d’augmenter l’offre de produits à court terme ou de manière efficace. Si tout le monde est confiné à la maison et décide de se lancer dans des rénovations en même temps parce qu’il n’est plus possible de voyager ou d’aller au restaurant, les prix du bois vont monter parce que la demande excède l’offre.

Mais tous les biens ne sont pas ou ne devrait peut-être pas être affectés de la même manière par le libre marché.

Par exemple, le Canada a choisi un modèle de développement de l’habitation où le gouvernement intervient très peu dans le marché. Résultat, les ménages canadiens sont les plus endettés des pays du G7. La majorité de cet endettement provient de leurs dettes hypothécaires.

L’offre de logements est insuffisante au Canada depuis plusieurs années, ce qui est un facteur déterminant dans l’augmentation des prix de l’habitation aux quatre coins du pays.

D’autres pays ont choisi une voie différente. À Singapour par exemple, le logement abordable est un droit. Le gouvernement choisit d’y investir massivement. C’est un choix de société qui a un cout, mais qui comporte aussi de nombreux avantages, dont le fait que les ménages dépensent une part moins grande de leurs revenus pour se loger. 

D’autres pays plus comparables au nôtre, comme la Suède ou la Finlande, déploient des stratégies de développement de l’habitation multiples pour tenter d’endiguer leur propre crise du logement. 

Des initiatives semblables de la part des gouvernements au Canada ne règleraient pas le problème de l’inflation à court terme, mais elles pourraient aider à réduire l’inflation à long terme en s’attaquant au problème de l’abordabilité du logement tout en réduisant les inégalités. 

Agir sur la demande autrement

Le gouvernement canadien laisse le soin à la Banque du Canada de juguler l’inflation en bonne partie parce que c’est une institution indépendante. Ses dirigeants peuvent prendre des décisions impopulaires ou qui se répercutent sur le portefeuille des ménages sans se soucier de devoir être réélus aux quatre ans.

Mais les gouvernements peuvent aider la banque dans sa mission de réduire la capacité de dépenser des ménages en ajustant la fiscalité.

Par exemple, ils pourraient temporairement augmenter certains impôts, de manière ciblée. Ils pourraient aussi éliminer certains crédits d’impôt. Ce serait certainement impopulaire, mais si l’objectif est de réduire la demande, pourquoi envoyer votre argent sous forme d’intérêt sur vos prêts à votre institution financière plutôt qu’aux gouvernements?

Une fois l’inflation affaiblie et stabilisée, les gouvernements pourraient utiliser la marge de manœuvre financière ainsi acquise pour s’attaquer à certains problèmes structuraux comme l’offre insuffisante de logements abordables ou pour lutter contre les changements climatiques qui plomberont la croissance à long terme de l’économie.

Faut-il conserver la cible des 2 % d’inflation?

En juin, l’inflation s’est établie à 2,8 % au pays. Mais la Banque du Canada pense que l’inflation se maintiendra au-delà de sa cible de 2 % parce qu’il y a beaucoup d’épargne dans le système financier et que l’économie est résiliente dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Pourquoi alors s’entêter à maintenir cet objectif de 2 % si l’outil de la banque centrale pour y parvenir, le taux directeur, a peu d’effet sur les causes sous-jacentes de l’inflation? Après tout, cet objectif n’a rien de scientifique. C’est plutôt une convention que les principales banques centrales occidentales ont adoptée dans les années 1990.

On sait qu’une inflation élevée et récurrente est nuisible à l’économie. Une hausse des prix de 10 %, 15 % ou 20 %, année après année, crée des attentes inflationnistes et risque d’entrainer une spirale inflationniste.

Mais 3 ou 4 % plutôt que 2 %? Rien n’indique que cela ait le même effet.

La Banque du Canada devrait-elle garder les taux d’intérêt élevés pendant plusieurs années pour abaisser le taux d’inflation de 3 % à 2 %, quitte à provoquer au passage des faillites personnelles par millier, des difficultés généralisées pour les ménages et une éventuelle récession?

David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir achevé des études supérieures en économie politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université d’Ottawa.