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le Mercredi 12 juillet 2023 13:00 Chroniques

Immigration et crise aigüe du logement : une réflexion s’impose

À ce nombre, il faut ajouter 607 782 résidents non permanents, qui incluent les demandeurs d’asile, les travailleurs temporaires et les étudiants étrangers.  — PHOTO - Gabe - Unsplash
À ce nombre, il faut ajouter 607 782 résidents non permanents, qui incluent les demandeurs d’asile, les travailleurs temporaires et les étudiants étrangers.
PHOTO - Gabe - Unsplash
CHRONIQUE – Le début de l’été s’accompagne toujours et inexorablement d’une déferlante de nouvelles sur les difficultés de se trouver un logement au Canada, même si, on le sait, la crise existe à longueur d’année. Cette pénurie de logements sociaux et abordables doit nous faire réfléchir sur les politiques d’immigration et les niveaux d’immigration voulus par le gouvernement fédéral.
Immigration et crise aigüe du logement : une réflexion s’impose
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Quelques chiffres pour situer le débat

Depuis longtemps, les chercheurs et les organismes dans le domaine de l’immigration tirent la sonnette d’alarme sur les problèmes de logement vécus par les nouveaux arrivants.

Le logement est pourtant l’élément incontournable, premier, à la réussite du parcours d’immigration.

Sans logement, il est impossible d’avoir accès aux services d’aide à l’emploi ou aux services de formation linguistique. Sans adresse, pas de carte santé, pas d’inscription possible pour les enfants à l’école. Tout cela va de soi.

En 2022, le Canada a accueilli 437 180 immigrants. À ce nombre, il faut ajouter 607 782 résidents non permanents, qui incluent les demandeurs d’asile, les travailleurs temporaires et les étudiants étrangers.

L’année dernière toujours, le Canada a recensé l’achèvement de 219 942 nouvelles unités de logement en tout genre.

On se retrouve donc avec un rapport d’un logement pour 4,75 immigrants toutes catégories confondues. Inutile donc de préciser que l’on est loin du compte. 

Et pour le gouvernement fédéral, il faut continuer à augmenter les niveaux d’immigration. La cible fixée pour 2024 est de 451 000 immigrants.

En attendant, dans les rues de Toronto, des demandeurs d’asile sont obligés de dormir dans la rue et les centres d’accueil débordent.

Dans tout le pays, les centres d’accueil pour personnes itinérantes manquent de places. Le sans-abrisme (aux multiples causes) se retrouve aujourd’hui dans toutes les villes du Canada, même les petites villes en régions éloignées.

Les mises en chantier ne suivent absolument pas les niveaux d’immigration décrétés par le gouvernement fédéral.

La crise du logement n’est pas qu’un problème de grandes villes

Dans les communautés francophones en situation minoritaire, éparpillées un peu partout au Canada, souvent dans des régions éloignées et des petites et moyennes villes, on sait très bien que la crise du logement sévit également.

En 2022, le taux d’inoccupation était par exemple de 1,6 (la situation est jugée alarmante quand ce taux est inférieur à 3) dans le Grand Sudbury en Ontario, de 1,7 à Moncton au Nouveau-Brunswick, de 0,9 à Vancouver en Colombie-Britannique et de 2,7 à Winnipeg au Manitoba.

La situation du logement n’a rien d’enviable non plus dans les plus petites villes où se trouvent des communautés francophones. Le taux d’inoccupation s’établit par exemple à 1,9 à Bathurst au Nouveau-Brunswick et à 0,2 à Hawkesbury en Ontario.

Alors, tous les efforts des organismes pour attirer des immigrants ne servent à rien s’il n’y a pas de logement.

Les organismes se sont battus auprès d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour obtenir des programmes cibles (par exemple, l’initiative des Communautés francophones accueillantes, le projet pilote d’immigration dans les communautés rurales et du Nord), mais toutes ces énergies sont réduites à néant s’il n’y a pas de logement.

Toutes les recherches s’accordent à dire qu’il faut régionaliser l’immigration pour éviter, entre autres, la ghettoïsation, mais comment y arriver quand il n’y a quasiment rien à louer ou à acheter dans une ville comme Hearst ou Kapuskasing en Ontario?

Cela a également une incidence sur nos institutions postsecondaires, qui sont pourtant le moteur de notre économie à maints égards (réflexions nécessaires sur nos communautés, étudiants consommateurs, formation de la main-d’œuvre, futurs citoyens participant et contribuant pleinement à la vie communautaire).

S’il n’y avait pas de problème de logement, l’Université de Hearst en Ontario pourrait accueillir un bien plus grand nombre d’étudiants ; de même pour l’Université de l’Ontario français si les prix du logement n’étaient pas exorbitants à Toronto.

Et ne cherchez pas de logement à louer à Pointe-de-l’Église, en Nouvelle-Écosse, si vous étudiez à l’Université Sainte-Anne. Selon Kijiji, il n’y en a pas!

Les dangers liés à la crise du logement et aux perceptions de l’immigration

Les dangers sont nombreux. Tout d’abord, il a déjà été établi que l’intégration sociale et économique des nouveaux arrivants ne peut débuter s’ils n’ont pas de logement à leur arrivée. Cela les fragilise grandement.

Ensuite, c’est désagréable à dire, mais c’est mathématique : l’arrivée d’un si grand nombre de nouvelles personnes chaque année met forcément une pression à la hausse sur le prix des loyers et des maisons.

Il y a une logique économique évidente : cela crée plus de demandes et contribue donc à l’augmentation des prix.

Par conséquent, on peut supposer que cette situation crée des perceptions négatives envers les immigrants et l’immigration en général. On passe du «ils viennent nous voler nos jobs» au «ils viennent nous voler nos logements», les deux pour les racistes endurcis.

D’autant que les recherches montrent qu’un nombre significatif d’immigrants arrivent avec des économies et sont donc en mesure d’acheter un logement. De quoi alimenter les discours populistes voulant que les Chinois et les «maudits Français» soient responsables, à eux seuls, de la pression sur les prix de l’immobilier.

Il est grand temps que le gouvernement fédéral arrête de mettre la charrue devant les bœufs.

Oui, le Canada est un immense pays à la densité dérisoirement basse ; oui, le Canada connait une importante pénurie de main-d’œuvre ; oui, le Canada a une population vieillissante. Pour toutes ces raisons, nous avons besoin d’une immigration forte.

Mais il faut avant tout s’assurer de pouvoir accueillir convenablement ces futurs citoyens.

Aurélie Lacassagne est politicologue de formation et doyenne des facultés de Sciences humaines et de Philosophie de l’Université Saint-Paul à Ottawa. Elle est membre du Comité de gouvernance du Partenariat Voies vers la prospérité.