
Une affiche annonçant aux immigrants ukrainiens potentiels (avant 1914) qu’ils peuvent avoir 160 arpents (acres) de terre gratuite, en particulier dans l’ouest du Canada.
Il est difficile pour nous de ne pas faire un lien avec les conditions dans lesquelles les communautés acadiennes d’avant 1755 ont été peu à peu trahies, dépossédées et expulsées par les administrateurs de l’époque. Si la crainte d’espions ennemis était à la base de l’enfermement de personnes appartenant par leur origine à une nation « ennemie » durant les périodes de conflit, rien ne justifiait l’échelle du racisme, de la déportation et du système de dépossession organisée qu’ont subis les citoyens canadiens d’origine japonaise, dont un certain nombre seront même expulsés après 1945 vers un Japon qu’ils ne connaissaient pas.
L’exposition Promesses brisées, présentée jusqu’au 23 avril prochain, est organisée autour de la question : qui a brisé ces promesses, et pourquoi? Il a fallu attendre longtemps pour avoir des excuses du gouvernement canadien – en 1988 – non seulement pour des mesures excessives contre des citoyens en raison de leur race et de leur origine, mais pour admettre l’existence d’un système de spoliation organisée aux plus hauts niveaux de l’état canadien de l’époque.
Dans le tableau Qui était responsable de la dépossession ? on montre bien que c’est à un système de vol organisé, appuyé sur un racisme profond, que participent durant les années 1940 politiciens, bureaucrates fédéraux comme provinciaux, et citoyens ordinaires. À aucun moment les Canadien.ne.s d’origine japonaise n’ont été protégé.e.s par les gouvernements qui étaient censés respecter leurs vies et leurs propriétés.
Pourquoi ? On en a une petite idée en voyant à quel point les biens volés à des familles qui avaient contribué à bâtir des communautés (comme celle de la rue Powell à Vancouver) ont permis aux spoliateurs, y compris des villes, de faire des profits exceptionnels.
Comment réagit-on face à l’injustice ? L’exposition offre des témoignages oraux et écrits montrant indignation, tentatives de recours à la loi, sentiment de trahison, refus, appel au sentiment d’appartenance. Ce qui est vrai pour les membres de la communauté d’origine japonaise devait être aussi vrai pour les Acadiens spoliés un siècle et demi plus tôt… avec les mêmes longues conséquences sur la communauté dans ses tentatives de se rebâtir.
On mentionne dès l’entrée de l’exposition que ce Canada impérial reposait sur une spoliation en série remontant aux débuts de la colonisation ouest-européenne de l’Île de la Tortue : les maisons saisies des Canadiens japonais se trouvaient sur des terres précédemment saisies des peuples autochtones. La dépossession continue et la question posée, bien sûr, est : jusqu’où ? Jusqu’à quand ?
Les suites de l’exclusion et de la dépossession peuvent durer des générations. Les réactions (Héritages de la dépossession) incluent le sentiment de perte, le silence, la difficulté d’affronter le passé, la disparition du terrain familier, l’héritage des objets sauvés de l’oubli.
Pour Kieko Mary Kitagawa, née en 1935, les pertes étaient bien plus que des pertes matérielles : « Nous avons perdu des amis, nous avons perdu notre communauté, nous avons perdu l’éducation. Et le groupe qui a vécu l’incarcération, on le surnomme la communauté silencieuse. »
Les expériences traumatisantes sont-elles communicables ? La dramaturge Annie Valentina offre une réflexion sur cette question et sur l’identité personnelle dans la pièce Ballad of the Motherland, au Neptune Theatre jusqu’au 2 avril. Trois voix narratives, celle d’une jeune femme kidnappée, celle d’un membre d’une cellule armée du Donbass en Ukraine, et une voix off qui dialogue avec la jeune femme et qui met son identité en question.
Il s’agit d’une pièce à laquelle l’auteure travaillait depuis 2014 et qui est tout d’un coup devenue encore plus actuelle. Nous faisons face à des identités plurielles complexes : née en Bulgarie, ayant vécu en Norvège, haligonienne depuis des années, Annie se pose aussi par son personnage la question du lien avec les identités autochtones et leur résilience. Tuer le kidnappeur serait-il une solution, si le fusil-mitrailleur changeait de mains ? Cette réflexion sur l’identité est intense jusqu’au monologue final.
Il fut un temps où les Ukrainien.ne.s étaient bienvenu.e.s au pays : familles d’agriculteurs ou travailleurs célibataires. Et puis ceux qui venaient de l’empire austro-hongrois sont devenus des étrangers ennemis et ont passé des années derrière des barbelés… alors que d’autres se battaient avec les Russes contre les Allemands. Il fut un temps où il y avait en Nouvelle-Écosse des camps d’internement.
De quoi alimenter notre réflexion. Quel Canada voulons-nous ? Et quelle identité, complexe, aurons-nous dans ce Canada postcolonial ?
On peut donner son avis sur un Canada qui serait un domicile juste pour tous à l’adresse suivante : https ://landscapesofinjustice.uvic.ca/feedback. Vous pouvez y donner vos visions en français comme en anglais.