Camille Langlade – Francopresse
«Il y a de plus en plus une poussée pour aller vers les plateaux verts», confirme Xavier Léger, directeur général des Productions du milieu, une boite indépendante située à Moncton, au Nouveau-Brunswick.
Cela fait partie des objectifs de la plupart des sociétés de production, mais aussi des conditions imposées par les bailleurs de fonds, explique-t-il.
«Ça nous force de repenser comment on approche le tournage, de la préproduction jusqu’à la postproduction, puis comment l’industrie fonctionne, parce qu’on s’entend que c’est une industrie qui demande énormément d’énergie pour produire et pour diffuser.»
«Ça sera jamais un impact zéro, comme on dit, mais c’est simplement d’être conscients de ce qu’on fait et comment on peut approcher ça autrement», dit-il.
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Une industrie polluante
Un rapport de 2023, commandé par Téléfilm Canada et produit par le Green Spark Group, une agence fondée à Vancouver qui accompagne les artisans de l’industrie dans leur transition écologique, examine l’impact environnemental des productions audiovisuelles au Canada.
L’empreinte carbone annuelle totale du contenu audiovisuel financé au Canada est ainsi estimée à 7 126 t CO2e (équivalent dioxyde de carbone) pour la production de longs métrages et à 260 843 t CO2e pour les séries télévisées, soit la consommation d’énergie de respectivement 1 669 et 61 087 foyers par an.
Parmi les sources d’émissions les plus polluantes, on retrouve le transport (58 %), notamment les déplacements routiers, suivi du matériel (23 %), avec, entre autres, la nourriture et le textile.
Former et informer
Aux Productions du milieu, les équipes réfléchissent aux façons de rendre le tournage le plus écologique possible dès la préproduction. «Si t’établis un protocole dès le départ, y’a pas de surprise. Les gens s’habituent, puis on s’adapte», témoigne Xavier Léger.
Les professionnels du milieu sont aussi de plus en plus nombreux à suivre des formations sur le sujet, comme celles du programme On tourne vert. Ils utilisent aussi des outils, comme le calculateur Albert, pour mesurer l’empreinte carbone d’une production.
Andrew Robinson est conseiller principal au Green Spark Group : «C’est important de s’assurer que les maisons de production et les télédiffuseurs et les studios puissent donner des guides, des mandates, une structure pour des équipes de production qui eux autres sont embauchés pour créer du contenu.»
«Ils ne sont pas embauchés pour être des environnementalistes et ce n’est pas leur expertise. Donc, ils ont besoin de soutien», ajoute-t-il.
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Est-ce que ça coute plus cher?
Mais finalement, est-ce que ça coute plus cher de tourner au vert? «Ça dépend», nuance Xavier Léger.
«En documentaire, c’est très difficile de modifier les couts pour adopter des méthodes écoresponsables. Alors, on cherche des méthodes qui sont faciles à incorporer.»
Même si les équipes sont souvent réduites, il faut quand même les déplacer. «C’est là où ça devient important d’être efficace et de pas avoir à retourner à plusieurs reprises [au même endroit].»
Sur les gros plateaux, la recette diffère. «S’il faut calculer notre impact – quelque chose qui est demandé dans des gros projets de 2 millions et plus – on engage quelqu’un qui devient genre un coordonnateur du tournage vert, qui doit aller chercher toutes les données et s’assurer qu’il y a un plan et que celui-ci est exécuté», précise Xavier Léger.
Pour Rayne Zukerman, productrice et cofondatrice de la compagnie francophone torontoise Zazie Films, sur des petites productions comme les siennes, «aider l’environnement et sauver de l’argent, ça va main [dans] la main».
«Les grands tournages, ils ont des villages avec des camions. La location coute une fortune, l’essence aussi. Et puis ça consomme, parce qu’il faut que tous les équipements aient de l’électricité toute la journée. C’est énorme», observe-t-elle.
Penser que tout ce qui touche à l’écoresponsabilité coute plus cher est une «fausse idée», signale Andrew Robinson. Certes, investir dans de nouvelles technologies reste dispendieux, «mais pour le reste, mieux gérer ses déchets, son transport, l’hébergement, la nourriture, ça peut être moins cher», assure le spécialiste.
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Une priorité chez les diffuseurs
Avoir des productions écoresponsables constitue un des piliers stratégiques des chaines TV5 et Unis TV, rapporte le directeur des contenus, Jérôme Hellio. «On est d’ailleurs en train de faire notre bilan carbone à l’interne.»
Un des objectifs de l’entreprise est d’atteindre ou du moins de tendre vers la carboneutralité. «C’est un chemin qui va prendre du temps, mais qui se déploie quand même assez rapidement.»
Certaines productions achètent par exemple leurs crédits de carbone pour compenser leurs voyages en avion. La chaine demande aussi à ses collaborateurs de calculer l’empreinte carbone de leurs programmes.
«Faire plus avec moins»
Côté transport, le rapport du Green Spark Group (voir encadré) suggère d’utiliser des véhicules électriques et hybrides quand cela est possible, ainsi que de limiter les lieux de tournage en extérieur pour réduire les déplacements.
Mais toutes les productions ne sont pas logées à la même enseigne. «La plupart de nos tournages sont en région, […] on a beaucoup moins de ressources, il faut se déplacer beaucoup plus pour trouver nos scènes de tournage. Tout ça, ça apporte plusieurs couts, non seulement financiers, mais aussi en termes de pollution», souligne Xavier Léger.
«C’est un grand défi pour nous de devoir jongler entre les deux : produire de plus grande qualité et avoir des plateaux écoresponsables […] On doit toujours considérer le budget en premier parce qu’on essaie de faire plus avec moins.»
«[Sur le tournage de la série Paris Paris], il y a beaucoup de choses qu’on achetait pour aider l’environnement, mais malheureusement, le kilométrage, c’était comme la seule chose qu’on n’était pas vraiment capables de contrôler», admet Rayne Zukerman.
«On n’avait pas le budget pour louer des voitures électriques. On a besoin de grandes voitures, souvent des minivans, et ce sont des véhicules qui ne sont pas encore disponibles à un budget abordable.»
La réalisatrice, productrice et scénariste franco-ontarienne Ania Jamila se veut également lucide. «On est vraiment coupables dans le sens où on fait des coproductions interprovinciales, donc on a beaucoup de trajets à faire. […] On privilégie le covoiturage et on encourage l’utilisation des transports en commun.»
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Réutiliser pour ne pas gaspiller
«Dans les productions francophones, on a des moins grands budgets. Il faut qu’on soit beaucoup plus créatifs», remarque Rayne Zukerman.
Sur le plan du matériel, les articles de seconde main tiennent le haut de l’affiche. Sur le tournage de la série Paris Paris, la plupart des costumes avaient déjà vécu, les décors et les accessoires aussi.
«Le bois et toutes les choses qui sont utilisées dans les matériaux de construction, c’est utilisé pour une semaine, deux semaines, puis c’est dans la poubelle. C’est assez problématique», déplore-t-elle.
«On a fait un petit peu de construction parce qu’il fallait qu’on ait des murs qu’on puisse bouger. Mais sinon, on préfère tourner dans des vrais lieux où on n’a pas ces couts», poursuit-elle.
«Ce qui serait bien, c’est qu’il y ait un incitatif», glisse Ania Jamila, comme un crédit d’impôt supplémentaire.
La réalisatrice rappelle par ailleurs l’importance de «conscientiser les personnes». «Il y a plein de moyens de s’améliorer, et on est tous capables de le faire.»
Et devant l’écran?
Qu’en est-il des histoires racontées à l’écran; montrent-elles des pratiques, des comportements écoresponsables?
Le Conseil québécois des évènements écoresponsables a analysé plusieurs épisodes de séries de fiction pour examiner la présence – ou non – d’écogestes à l’écran.
«Ça dépend de l’histoire et ça dépend des personnages», observe Rayne Zukerman. La productrice essaie toutefois d’inclure ces gestes quand un projet le permet.
Parler davantage d’environnement fait aussi partie des prérogatives de certaines chaines. «On traite des sujets comme les modes de vie alternatifs […] On se dit qu’on peut modifier nos comportements, mais en parler fait aussi partie de la mission de rendre ça finalement très ordinaire pour tout le monde», défend Jérôme Hellio, directeur des contenus chez TV5 et Unis TV.
Responsabilité sociale
«En tant que productrice, je pense qu’il y a une responsabilité qui vient avec l’argent et d’essayer de l’utiliser d’une façon responsable», estime Rayne Zukerman. Une responsabilité écologique, mais aussi sociale.
Certaines scènes de Paris Paris ont notamment été tournées dans un centre communautaire de Hamilton, en Ontario, où sont offerts des programmes pour les jeunes et les sans-abris.
«On essaie de vraiment créer un écosystème, de travailler avec des organismes qui ont une valeur exceptionnelle dans la communauté. Comme ça, on se sent comme si l’argent qu’on dépense sur la production est en train d’enrichir la communauté où on a tourné.» Une source de fierté pour la productrice.