Marine Ernoult – Francopresse
Le 30 aout, 711 brasiers étaient toujours actifs dans le pays (dont 128 hors de contrôle) et près de 5 millions d’hectares ont été dévastés par les flammes cette année, selon le Centre interservices des feux de forêt du Canada (CIFFC). Cette superficie représente 146 % de la moyenne de la dernière décennie.
L’an dernier, c’est tout le territoire canadien qui s’est embrasé. Non seulement l’Ouest et les territoires, mais aussi l’Ontario, le Québec et même les provinces maritimes de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. Au total, 18,5 millions d’hectares de forêt – un record – ont été détruits.
Face à ces mégafeux qui se multiplient et s’intensifient, les villes tentent de se protéger du mieux qu’elles peuvent.
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Les villes de l’Ouest mieux préparées
«Le niveau de préparation varie fortement d’une province à l’autre, mais, historiquement, les villes de l’Ouest sont plus en avance sur ces questions, la conscience du risque est plus élevée», avance Joanna Eyquem, directrice générale Infrastructures résilientes au climat au sein du Centre Intact d’adaptation au climat de l’Université Waterloo, en Ontario.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, des tranchées coupe-feu, longues parfois de 10 kilomètres, sont aménagées autour de certaines villes, comme Yellowknife. De même, en Alberta et en Colombie-Britannique, les municipalités débroussaillent autour des quartiers périurbains, enlèvent les plantes et les arbres hautement inflammables en bordure des rues, procèdent à des brulages dirigés.
«Dans les provinces de l’Est et les Maritimes, il n’y a pas grand-chose de comparable, parce que jusqu’alors il n’y a pas eu d’incendies majeurs comme dans l’Ouest», affirme la directrice générale du Centre Intact d’adaptation au climat, la Dr Anabela Bonada.
Le programme Intelli-feu, dont l’objectif est d’apprendre aux communautés à mieux protéger leurs habitations, a vu le jour en Alberta en 1993. Au tournant des années 2000, Parcs Canada a également commencé à s’impliquer et à promouvoir de bonnes pratiques.
Le programme invite notamment les habitants à choisir les bons matériaux pour leur toiture ou leur terrasse tout en repensant leur aménagement paysager. Selon les recommandations, la zone à proximité immédiate de la maison doit être débarrassée de toute végétation et de tous débris secs pouvant attiser les flammes.
Dans la zone intermédiaire, de 10 mètres de rayon, les arbres morts et les conifères doivent être coupés, mais certaines espèces de feuillus peuvent être laissées. Plus loin, des espaces doivent être créés entre les arbres pour éviter de trop gros ensembles forestiers.
Apprendre à protéger sa maison
«C’est difficile d’évaluer ce qui fonctionne ou non. Ça peut varier d’un incendie à l’autre, selon le type et la quantité de combustible qui se trouve au sol, la puissance du vent, l’intensité de la sècheresse», observe la Dr Anebela Bonada.
La chercheuse mentionne néanmoins les résultats d’une étude réalisée à Fort McMurray, à la suite de l’incendie de 2016 : «Les maisons dont les propriétaires ont suivi les conseils d’Intelli-feu ont été totalement ou partiellement épargnées.»
Des recherches similaires menées aux États-Unis ont également montré que les quartiers qui disposent d’un programme de type Intelli-feu ont 50 à 70 % plus de probabilité d’être épargnés par les flammes.
Au Canada, Intelli-feu n’est devenu national qu’en 2021, sous la houlette du CIFFC. Les provinces et territoires étant responsables de la lutte contre les incendies de forêt, «chacun a son propre modèle de financement, ses propres objectifs et ses propres modalités de mise en œuvre, adaptés aux réalités locales», explique le CIFFC par courriel.
«Lorsqu’un évènement catastrophique se produit, les provinces et les villes en tirent rapidement les leçons. Elles ont tendance à renforcer leur protection et à consacrer davantage de fonds à la préparation», ajoute la Dr Anabela Bonada.
À la suite des incendies de 2017, la Colombie-Britannique a ainsi mis en place son tout premier comité Intelli-feu et lancé un «programme solide», selon les mots de la chercheuse. Cette année, l’Alberta a, elle, prévu d’investir 151 millions de dollars sur trois ans, pour améliorer sa gestion du risque.
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Faux sentiment de sécurité
Au Québec, la province la plus durement touchée en 2023, le gouvernement a alloué 29 millions de dollars supplémentaires sur cinq ans à la Société de protection des forêts contre le feu, pour embaucher plus de pompiers forestiers, mais aussi mieux éduquer et préparer la population.
«Si Intelli-feu est plus implanté dans l’Ouest, ça s’en vient dans l’Est. On sait quoi faire. Le défi, c’est de passer à l’action», considère Joanna Eyquem.
Le CIFFC note, par courriel, que les provinces ayant connu récemment des mégafeux consacrent plus d’argent à Intelli-feu. L’organisme constate par ailleurs «une augmentation significative» des effectifs d’Intelli-feu dans l’ensemble du pays au cours des 18 derniers mois.
La Dr Anabela Bonada estime cependant qu’il reste beaucoup de «travail d’éducation» pour faire connaitre le programme et développer une vraie culture du risque.
«Tant qu’un incendie ne se produit pas à proximité, les gens pensent qu’ils ne sont pas en danger. C’est faux. Si l’on est proche d’une forêt, on est en danger, même s’il n’y a pas eu d’incendie depuis 50 ou 100 ans», insiste la spécialiste.
«On a besoin de plus d’investissements financiers et humains pour que la population voie l’intérêt d’adapter les habitations, d’utiliser des matériaux moins inflammables, car ça peut être couteux», renchérit Joanna Eyquem.
À ses yeux, le manque de coordination entre le fédéral, le provincial et les municipalités constitue un autre frein à une protection efficace des villes.
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