Google a consenti à verser 100 millions de dollars aux médias canadiens pour se conformer à la Loi sur les nouvelles en ligne (anciennement projet de loi C-18). Cette somme doit être divisée entre les médias, mais la méthode de gestion proposée déplait aux plus petits médias.
Une structure de négociations pour le partage de la redevance a été proposée au géant du Web par un regroupement de médias. Les membres du Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire, qui représente 98 médias partout au Canada, ont refusé d’y adhérer, mais ils ne sont pas les seuls.
Les membres du Consortium sont Réseau.Presse (éditeur de Francopresse), l’Association des journaux régionaux du Québec (AJRQ), l’Alliance des radios communautaires (ARC) du Canada et English-Language Arts Network (ELAN).
Dans la structure financière proposée à Google, un Collectif de médias en ligne recevra et répartira les 100 millions entre trois groupes rassemblés par types de médias. Le Collectif a été créé parce que Google veut avoir un seul interlocuteur.
Ce Collectif sera principalement un conseil d’administration composé d’un membre de chacun des trois groupes : CBC/Radio-Canada (qui recevra 7 millions de dollars), les radiodiffuseurs et télédiffuseurs admissibles (30 millions) et les médias imprimés et numériques admissibles (63 millions).
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Peu de place pour les petits
Dans ce scénario, les membres du Consortium se retrouvent dans le même bain que des joueurs plus grands qu’eux.
Pour Pierre Sicard, directeur général de l’ARC, refuser de signer le document envoie le message à Google que la structure proposée n’est pas dans l’intérêt de tous les médias.
Un seul représentant peut occuper le siège de la radio à but non lucratif, alors qu’il y a plus qu’une association.
«Si on y va au ratio en termes de membres, l’association qui rejoint les radios anglophones au Canada […] est un petit peu plus grosse, explique-t-il. On sait très bien que si jamais c’est l’association des radios anglophones qui prend le dessus, la réalité de nos radios francophones au Canada ne sera pas respectée ou ne sera pas prise en compte.»
Du côté de la presse écrite et numérique, les membres des grandes associations, comme News Media Canada et Hebdos Québec, constituent la majorité du groupe recevant 63 millions de dollars.
Les modalités et la structure de gouvernance proposées ne tenaient pas compte de la situation particulière des journaux desservant des communautés de langues officielles en situation minoritaire, indique de son côté René Chiasson, coprésident de Réseau.Presse dans un courriel.
«La structure proposée risquait de favoriser davantage les grandes organisations, au détriment des plus petites organisations comme la nôtre», dit-il.
Brenda O’Farrell, présidente de l’AJRQ, qui représente les journaux communautaires de langue anglaise du Québec, est quant à elle déçue du manque de représentation des plus petits médias dans la structure proposée.
«Si on veut aider une industrie en crise, il faut regarder les besoins, dit-elle. Les plus petits médias ont besoin de quelque chose à quoi s’accrocher, et il n’y a aucune garantie dans ce sens. […] Il faut que tout le monde ait une place à la table.»
Selon elle, les grands joueurs ne «veulent pas écouter les plus petits» et «ont les yeux fixés sur l’argent qu’ils peuvent toucher».
Même s’ils ne font pas partie des négociations, les médias membres des associations qui n’ont pas signé l’entente pourraient quand même recevoir une part du montant s’ils sont admissibles selon les règles établies par la Loi et le Collectif.
Francopresse a contacté News Media Canada pour ses commentaires, mais n’a pas reçu de réponse avant l’heure de tombée.
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Le privé domine
L’Association canadienne des usagers et stations de la télévision communautaire (CACTUS), qui aurait fait partie du groupe gérant 30 millions de dollars, a aussi refusé de signer. Selon sa directrice générale, Cathy Edwards, le modèle proposé ne permet pas de représenter les intérêts de ses membres, que CACTUS le signe ou non.
Dans ce groupe, note-t-elle, «il y a quatre sièges pour la radio commerciale, deux sièges pour la télévision commerciale […], un siège pour un télédiffuseur [autochtone], un siège pour la télévision non lucrative [communautaire] et un siège pour la radio non lucrative [communautaire]».
Cathy Edwards raconte que les deux associations de télévision communautaire au pays – l’autre étant la Fédération des télévisions communautaires autonomes du Québec (FTCAQ) – étaient prêtes à partager le siège.
Mais un déséquilibre demeure selon elle : «Ce n’est pas équitable. Ce n’est pas une représentation des besoins et des intérêts du secteur entier, mais plutôt celle du secteur privé».
Pierre Sicard fait une remarque similaire : «C’est le privé versus le sans but lucratif. [Le privé] aussi a de la difficulté à arriver dernièrement et là, il voit une solution pour renflouer les coffres. Quelque part, nous on est là, on revendique et on est comme un peu le talon d’Achilles.»
Préserver le journalisme passe par les petits médias
La représentation des médias communautaires sera surtout importante dans l’interprétation de la loi, estime de son côté Cathy Edwards. Même si les critères d’admissibilité aux fonds sont décrits dans la loi, certains sont sujets à interprétation.
«[La loi] n’est pas toujours très précise. Par exemple, sur le nombre d’employés à temps plein engagés dans la production de nouvelles, le “temps plein” n’est pas clair. Est-ce que c’est 30, 35 ou 40 heures par semaine? Si c’est 30, des membres ayant deux employés à 30 heures par semaine sont admissibles. Mais si c’est 35, ils ne le sont pas», explique-t-elle.
«Une fois qu’il y a un collectif qui décide de qui est ou non éligible, il peut y avoir des décisions qui excluent beaucoup de plus petits [médias]. Et c’est pour ça qu’on a besoin d’une voix.»
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«Le but de la Loi sur les nouvelles en ligne, entre autres, est de préserver le journalisme, rappelle Cathy Edwards. La presse, qui est réellement importante et que nous risquons de perdre, est celle des petites communautés. […] Si on la perd, on perd du journalisme dans une communauté entière, parfois une région.»
C’est pour cette raison que, selon elle, les besoins des plus petits médias doivent être mis de l’avant dans ce processus. «Ce sont les plus fragiles et les plus importants pour le Canada rural. Les grandes villes auront toujours une presse quelconque.»
À l’heure actuelle, le Consortium évalue ses options juridiques en vertu de la Loi sur les langues officielles, qui n’est pas respectée par C-18 selon lui.