Comme je t’écris à toi ou sur toi depuis plus de 30 ans, je me permets de te tutoyer. Durant cette longue période, je t’ai écoutée et je t’ai regardée assidûment. J’ai l’impression de bien te connaître. L’inverse n’est pas vrai, puisque malheureusement, tu ne connais pas bien ceux et celles qui te regardent et t’écoutent.
Tu es conviée aux audiences du Conseil de la radiodiffusion et de la télédiffusion canadiennes (CRTC) entre le 11 et le 27 janvier 2021. Le Conseil te demande, encore une fois, si ta programmation reflète les Canadiens à travers le pays et si tu réponds à leurs besoins et leurs intérêts. De plus, le CRTC demande aux citoyens de ce pays ce que tu pourrais faire pour que ta programmation reflète leur réalité?
Depuis de nombreuses années, tu te fais poser les mêmes questions. Si les mêmes questions surgissent, c’est que les mêmes problèmes reviennent d’année en année, sans être corrigés. Nous, qui ne sommes pas du milieu des médias comprenons et sommes d’accord avec la teneur des questions qui te sont posées à répétition, puisque c’est nous-mêmes qui les posons.
Pourquoi la couverture que tu nous proposes suscite toujours les mêmes remarques de la part de ceux qui te regardent et qui t’écoutent? N’aimerais-tu pas te présenter une bonne fois devant le CRTC qui te féliciterait pour la réalisation de ton mandat national qui reflète l’ensemble des francophones du Canada, leurs besoins et leurs intérêts?
Quelle est au juste cette difficulté qui te semble insurmontable? Quels efforts mets-tu à déplacer ce pôle d’attraction centré sur Montréal dans ta production? Ce n’est pas parce qu’un programme est produit à Montréal que les sujets doivent nécessairement être montréalais ou québécois ou traités dans une perspective montréalaise ou québécoise.
Quels messages donnes-tu à tes animateurs, à tes réalisateurs et à toute la chaîne de production de chaque émission du réseau pour qu’ils saisissent l’essence de ce qu’est un mandat national/pan canadien? Et si les artisans dans les émissions qu’ils produisent n’intègrent pas le mandat national dont tu es responsable, reviens-tu à la charge auprès d’eux chaque saison pour rectifier le tir? Leur dis-tu qu’un sujet peut se développer avec des références ou des spécialistes émanant de l’extérieur de Montréal? Leur dis tu qu’ils peuvent compter sur leurs collègues des stations régionales qui seront très heureux de leur suggérer des spécialistes ou des personnes intéressées au thème qu’ils cherchent à développer? Leur dis-tu que des ministres de l’éducation, il y en a un dans chaque province et territoire et que de dire le ministre de l’Éducation ne veut pas nécessairement dire qu’il est celui du Québec? Leur dis-tu qu’après la fin d’un topo international, lorsqu’on « retourne au pays » (dixit le lecteur des infos), on ne retourne pas nécessairement à Montréal?
Les francophones de tout le Canada connaissent les menus détails des défis, des accomplissements et des insuccès du gouvernement québécois. Ils en entendent parler tout au cours de la journée et tous les jours de l’année, à la radio comme à la télévision.
Ne penses-tu pas qu’il est temps que les Québécois connaissent la vie politique des francophones des autres provinces et territoires? Sur le plan culturel, l’émission phare Tout le monde en parle (TLMP) en ondes depuis le 12 septembre 2004, a reçu combien d’artistes non québécois durant toutes ces années? As-tu rappelé au réalisateur de TLMP au début de chaque saison, que son mandat était national? As-tu demandé à tes animateurs de la radio surtout, pourquoi il est plus simple, mais sans doute plus glamour, d’interviewer un Français qu’un Sudburois ou un Manitobain?
Après tant d’années, quelles conclusions doit-on tirer sur la réalisation de ton mandat national? Nous serions mal venus de penser que sa non -réalisation repose sur une absence de capacités ou de talents chez les responsables des émissions. Nous faudrait-il conclure, au contraire, que les artisans du réseau de la SRC, les artisans à ton emploi, ont choisi sciemment leur zone de confort, leur inspiration, leurs invités, leurs sujets sans égard au mandat national que tu leur as confié?
Que te faudra-t-il pour que tu assumes et que tu exerces enfin ton mandat national, pour que les émissions soient davantage un reflet des francophones de toutes les provinces canadiennes, de leurs intérêts et de leurs besoins?
En terminant, sache que nous accueillons malheureusement ta participation aux audiences du CRTC avec scepticisme et frustration, un exercice devenu en fin de compte un rituel sans espoir de changer quoi que ce soit. Devrions nous avoir un petit brin d’espoir? Cette fois sera-t-elle la bonne? Celle où l’ensemble des francophones du pays se verra et s’entendra dans une institution qui est aussi la leur.
Jeanne Renault
Moncton (N.-B.)