- Il y a 50 ans, un compositeur français rêve de produire un opéra rock.
Insatisfait de son projet, ce compositeur fait appel à un parolier canadien qu’il ne connait pas. Il le fait venir à Paris et lui fait écouter une mélodie en quête de mots.
Son invité se met à l’œuvre. « J’ai essayé tous les mots d’une syllabe – pars, va, seul, je marche seul », a-t-il raconté plus tard. Puis, viendra le coup de génie, le mot juste : stone.
Ce compositeur, c’était Michel Berger.
Lui-même chanteur, compositeur et producteur, il découvre les spectacles musicaux lors d’un voyage aux États-Unis.
Il est alors en couple avec sa future femme, France Gall, lorsqu’il écrit, en 1974, un album-concept, Angelina Dumas, inspiré de l’enlèvement de Patricia (Patty) Hearst, fille du magnat américain de la presse, Randolph Hearst. Cette dernière finira par épouser la cause de ses ravisseurs et participera à des braquages de banques avec eux.
L’album est enregistré avec France Gall, mais Michel Berger reste sur sa faim. Il part à la recherche d’un auteur qui pourrait mieux traduire la violence qu’il veut exprimer.
Sa complice lui fait écouter un album de la Québécoise Diane Dufresne, des chansons dont elle apprécie les paroles. Michel Berger retourne la pochette pour voir qui est le parolier : Luc Plamondon.
Berger l’appelle. Il est 5 heures du matin. Plamondon a raconté l’épisode : « Il s’était trompé dans le décalage horaire. Il m’a simplement dit “bonjour, je m’appelle Michel Berger. Je voudrais écrire un opéra rock avec toi”. »
Berger fera la musique, Plamondon les textes.
Ce sera la rencontre de deux francophonies que sépare l’Atlantique. Grand amateur de la culture américaine, Michel Berger est séduit par l’écriture de Plamondon, une poésie francophone teintée de l’influence de l’Oncle Sam.
La création prend son temps
Les mois passent, l’évolution du projet nécessite réflexion. Finalement, en 1977, les deux nouveaux complices s’enferment pendant plusieurs mois à Antibes, sur la Côte d’Azur, pour plancher sur les chansons du futur Starmania. Il en ressortira un chef-d’œuvre.
Le monde est stone sera la chanson fétiche de Luc Plamondon. C’est la première et celle qui a donné le ton.
Mais plusieurs autres ont aussi traversé le temps : Le blues du businessman, Complainte de la serveuse automate, Les uns contre les autres, Ziggy, Quand on arrive en ville, Un garçon pas comme les autres, Ce soir on danse à Naziland.
Au départ, l’objectif de Michel Berger était d’améliorer son projet original, Angelina Dumas. Mais au final, on accouchera d’un opéra rock complètement nouveau.
De l’opus original de Berger, il ne restera dans Starmania qu’un personnage d’Angelina Dumas : Cristal. Cristal est l’animatrice d’une émission télé, Starmania, qui permet aux participants de devenir la star d’un soir, un genre de Star Académie instantané.
À l’image de Patty Hearst, Cristal se joint à un groupe violent, les Étoiles noires, et participe à leurs crimes.
L’histoire de Starmania est celle d’un Occident unifié, un État dont la capitale est Monopolis, terrorisée par les Étoiles noires. Un milliardaire veut en devenir le président : Zéro Janvier (celui qui aurait voulu être un artiste). Il vit dans une tour dorée de 121 étages avec, au sommet, une discothèque, le Naziland.
La populace vit surtout sous terre, où les Étoiles noires complotent au Underground café, dont la serveuse, Marie-Jeanne, rêve de cultiver ses tomates au soleil…
Premier opéra rock en français ?
On présente souvent Starmania comme le premier opéra rock francophone. En fait, comme toujours, il faut faire nuance avec les superlatifs.
Autour de 1970, il y avait bien eu quelques adaptations en français d’opéras rocks américains, comme Hair.
Alors, premier opéra rock en français tiré d’une œuvre originale? Encore là La Révolution française, présentée en 1973, revendique le titre.
Mais un an plus tôt, en 1972, un chanteur d’origine italienne, Herbert Pagani, produit un album intitulé Mégalopolis, qui deviendra, trois ans plus tard, un spectacle où l’artiste joue tous les rôles.
Il s’agit d’une fresque musicale futuriste : un président des États d’Europe Unie, dont la capitale est Mégalopolis, enjoint ses électeurs à consommer et consommer. Une bande de jeunes vivent à contrecourant. Les tours en béton ont remplacé la nature.
Mégalopolis, Monopolis…
Outre les noms des deux villes, difficile de ne pas voir les similitudes entre Mégalopolis et Starmania. La complainte du chauffeur de taxi dans Mégalopolis annonce celle de la serveuse automate. Zéro Janvier semble faire écho à Gilbert, l’homme d’affaires de l’œuvre de Pagani qui a des rêves artistiques…
Il y a là carrément inspiration. Luc Plamondon a lui-même déclaré que, sans Mégalopolis, il n’aurait jamais osé créer Starmania.
Mais cela n’enlève rien à la qualité de l’œuvre. Après la sortie de l’album Starmania, en 1978, vient la première mouture du spectacle, en 1979. Les versions, tant sur disque que sur scène, se multiplieront avec le temps.
À l’image de la collaboration Berger-Plamondon, les interprètes proviendront des deux côtés de l’océan. Au départ, ce sont, du Québec, Diane Dufresne, Fabienne Thibault, Claude Dubois, Nanette Workman; de France : Daniel Balavoine, France Gall. Un grand nombre d’autres artistes connaitront la gloire avec Starmania.
Certains voient dans Starmania une œuvre prémonitoire. Zéro Janvier, l’homme d’affaires qui vit dans une haute tour, pourrait évoquer Donald Trump. L’attaque projetée à cette dite tour n’est pas sans faire penser aux évènements du 11 septembre 2011 qui se sont produits aux États-Unis.
Les chansons comme les thèmes semblent traverser le temps sans trop de rides.
Cinquante ans plus tard, le monde est toujours stone. Starmania aussi.