En aout 1908, l’explorateur et médecin français Jean-Baptiste Charcot entame une expédition en Antarctique en compagnie de plusieurs scientifiques. C’est son deuxième séjour hivernal sur le « continent austral ». Plusieurs scientifiques font partie de l’équipage de 30 hommes à bord du Pourquoi-Pas? IV.
En décembre, le groupe atteint l’ile Petermann, située près de la côte de la pointe nord de l’Antarctique. Charcot décide d’hiverner dans une grotte de cette petite ile, à un endroit qu’il nomme Port Circoncision. Normal, puisque c’était un 1er janvier.
Eh oui, jusqu’en 1974, l’Église catholique (l’Église orthodoxe le fait toujours) célébrait ce jour-là la fête de la circoncision – celle de Jésus entendons-nous –, nom raccourci de la « fête de la circoncision du saint Prépuce de Notre Seigneur ».
La circoncision, ça se fête?
Selon la pratique juive de l’époque – et encore aujourd’hui – les enfants mâles sont circoncis au huitième jour de leur naissance. L’Évangile de saint Luc mentionne au passage la circoncision de l’Enfant Jésus, qui était juif, rappelons-le.
Lors de cette cérémonie, on lui a aussi donné son nom, un peu comme le font les chrétiens lors du baptême.
Vers l’an 340, le pape Libère officialise le 25 décembre comme date de célébration de la naissance du Christ, une idée qui circulait depuis quelque temps déjà. Comme le huitième jour qui suit Noël est le 1er janvier, Libère consacre tout normalement ce jour comme la fête de la circoncision de Jésus.
Une pratique qui remonte loin, très loin
L’Ancien Testament nous raconte que Dieu a conclu une alliance avec Abraham et ses descendants (qui formeront le peuple juif).
Comme symbole de ce pacte éternel, Dieu prescrit un acte précis : « […] que tous vos mâles soient circoncis. Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous. Quand ils auront huit jours, tous vos mâles seront circoncis, de génération en génération. »
La pratique se répandra à l’islam aussi, qui continue à la maintenir jusqu’à ce jour, mais elle fait l’objet de débats.
Quel rapport avec la foi chrétienne?
Les théologiens chrétiens vont donner à la circoncision du Christ plusieurs significations symboliques et spirituelles. Selon eux, il s’agissait donc d’un acte pour effacer les péchés; la circoncision préfigurerait la crucifixion et le baptême, nouveau signe d’alliance avec Dieu.
Mais peu de temps après la mort de Jésus, un débat sur la circoncision fait rage et aurait même pu freiner l’expansion du christianisme.
Alors que des apôtres et des disciples s’aventuraient hors de Jérusalem et de la Judée pour répandre la « Bonne Nouvelle », une réflexion élargie sur la circoncision s’est imposée : fallait-il obliger les nouveaux adeptes non juifs de Jésus à respecter les lois et de la tradition juives – et par conséquent à se faire circoncire –, comme le faisaient les apôtres ?
Saint Paul, qui fait le plein de croyants au sein des populations grecques, milite pour exempter ceux-ci des pratiques du judaïsme, alors que bien des apôtres et anciens s’y opposent.
Le Concile de Jérusalem tranche
Il faut régler l’affaire une fois pour toutes. Une assemblée est convoquée dans la Ville sainte. Le contenu de ce qui a été baptisé le « Concile de Jérusalem », qui aurait eu lieu vers l’an 50, est consigné dans le livre des Actes des Apôtres du Nouveau Testament.
La discussion est longue et tourne plutôt en faveur du statuquo. C’est alors que Pierre prend la parole. Il témoigne des conversions qu’il a faites auprès des païens : « Et Dieu, qui connait les cœurs, leur a donné l’Esprit saint tout comme à nous. Et il n’a fait aucune distinction entre eux et nous, puisqu’il a purifié leur cœur par la foi ».
L’assemblée et son chef, l’apôtre Jacques le Juste, se rallient alors aux arguments de Pierre, figure respectée de tous. Saint Paul fera longuement mention dans ses écrits de l’inutilité de la circoncision, une position qui sera maintenue par l’Église de Rome lorsqu’elle se sera solidement structurée.
Cela n’empêchera pas l’Église de célébrer la circoncision du Christ, comme on l’a vu. Plus encore, le culte du prépuce de Jésus comme relique devient tout un phénomène au Moyen-Âge.
La multiplication du prépuce
Plus d’une vingtaine d’églises d’Europe, dont une douzaine en France seulement, affirmaient abriter la fameuse relique du prépuce de Jésus, ce qui bien entendu était physiquement impossible…
La légende la plus tenace veut que Marie ait conservé le prépuce de son fils pour le confier, après la résurrection, à Marie-Madeleine, disciple (et certains disent épouse) du Christ. Plus de 700 ans plus tard, un ange aurait apporté la relique au roi Charlemagne qui, à son tour, l’aurait remise au pape Léon III qui venait de le couronner à Rome.
Le prépuce aurait alors été placé dans la basilique de Latran, à Rome. Mais il aurait été dérobé en 1527 lors du sac de la ville par les troupes de Charles Quint. Miraculeusement, il aurait été retrouvé, 30 ans plus tard, par une jeune fille de Calcata et installé dans l’église de ce petit village au nord de Rome.
Tous les 1er janvier, une procession défilait dans les rues du village pour vénérer la prétendue relique, jusqu’à ce que celle-ci soit volée en 1973. On ne l’a pas revue depuis.
Retour de popularité de la circoncision au XXe siècle
Au XXe siècle, la circoncision revient en vogue, particulièrement dans les pays anglo-saxons, davantage pour des raisons d’hygiène et de santé, mais aussi pour des motifs religieux.
L’intervention maintient sa popularité jusque dans les années 1960, alors qu’elle se pratique chez la majorité des garçons au Canada. La proportion d’hommes circoncis se situe maintenant à environ 32 %, soit à peu près la même que dans le reste du monde.