le Mardi 3 octobre 2023
le Vendredi 24 février 2023 8:00 Nos communautés - Chéticamp

Où sont les restes de l’avion Avro Anson V No 11800 qui s’est écrasé en 1944 sur la Montain à Jérôme ?

Copie des télégrammes reçu par Florence Burke datés des 8 et 9 août 1944.
Copie des télégrammes reçu par Florence Burke datés des 8 et 9 août 1944.
On est le 6 août 1944. Tout est calme à Chéticamp en cette journée, mais un drame se trame à l’horizon. La planète entière est aux prises avec la Deuxième Guerre mondiale et les jeunes hommes de la région sont partis au front.
Où sont les restes de l’avion Avro Anson V No 11800 qui s’est écrasé en 1944 sur la Montain à Jérôme ?
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Un comité local à Chéticamp surveille les côtes, car les sous-marins allemands font couramment des incursions dans le golfe du Saint-Laurent. D’ailleurs, le 14 août 1942, le SS Caribou, un traversier faisant la navette entre le Cap-Breton et Terre-Neuve, est coulé par un sous-marin allemand. Il y a 101 survivants, mais malheureusement 137 personnes y périssent.  

Chéticamp, ce petit village de pêcheurs niché entre le golfe du Saint-Laurent et les Hautes-Terres du Cap-Breton, ne va pas être épargné des vices de la guerre. C’est aux Habitations neuves dans le parc national des Hautes-Terres-du-Cap-Breton, sur la montagne surplombant Chéticamp qu’un drame se prépare.

À 16 h 30, le 6 août 1944, l’avion-école l’Avro Anson V No 11800, avec quatre personnes à bord, vient de s’écraser en arrière de la Montain à Jérôme dans le parc national des Hautes-Terres-du-Cap-Breton.

L’équipage était composé du pilote William Arthur James Bennett de Montréal, 1er navigateur, John Robert Ogilvie, # matricule J43804; 2e navigateur, William John Antle, # matricule J43745 tous deux d’Edmonton, en Alberta, et aux communications le Sergent Jack Roy Burke, # matricule R205740 de Wallaceburg, en Ontario.

Pièce de l’avion démontrant le numéro de série récupéré de l’avion l’Avro Anson V par les sauveteurs de Chéticamp maintenant en possession de Réjean Aucoin.

L’avion-école l’Avro Anson V, un bi moteur utilisé pour une variété de rôles durant la Seconde Guerre mondiale, était parti de la base militaire de l’Aviation royale du Canada à Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard, à 14 h 00.

La base militaire de Summerside était le lieu d’entraînement des pilotes et navigateurs qui seraient envoyés au front en Europe pour soutenir les alliés durant la Seconde Guerre mondiale qui faisait rage à ce moment-là. 

Le vol de routine du 6 août 1944 devait survoler l’Île-du-Prince-Édouard pour ensuite se diriger au-dessus du golfe Saint-Laurent à 3 000 pieds d’altitude dans un azimut de 5 degrés vers l’est à un point au nord de l’île Saint-Paul. Le vol d’entraînement aller-retour devait prendre 3 heures et 22 minutes.

La météo pour la journée du 6 août 1944 donnait des nuages à 8 000 pieds d’altitude, en plus des nuages dispersés entre 800 et 2 500 pieds. Puisqu’on envisageait aucun problème de visibilité sur la direction prévue de l’exercice et que l’avion ne survolerait pas l’île du Cap-Breton, la météo pour le Cap-Breton ne fut pas donnée à l’équipage.

Les vents prévus pour la journée étaient de 25-30 nœuds, la visibilité prévue – 10 milles, mais sur l’île du Cap-Breton, zéro, ce qui était le cas au moment de l’accident. L’avion s’est écrasé à environ 1 300 pieds d’altitude au 460 41’ Nord et au 60o 52’ Ouest à environ 35 milles au sud de sa ligne de vol prévue.

C’est à 18 h 22 qu’on lança les recherches, puisque l’avion était une heure en retard et la base militaire avait perdu toute communication avec l’appareil.

Toutefois, ce n’est qu’à 22 h 30 que l’avion de recherche repéra l’avion écrasé, car l’un des survivants, le Sergent Burke, l’opérateur radio, fut capable de communiquer avec l’avion grâce à une lampe Aldis. La lampe Aldis ou la lampe à signaux est un projecteur spécialement conçu pour transmettre des signaux lumineux codés selon l’alphabet Morse.

Quatre parachutes de vivres furent largués de l’avion de recherche à 22 h 30 la même soirée, mais à ce jour, deux n’ont jamais été retrouvés.

C’est à la suite de cette communication qu’on se dépêcha à partir de Summerside, Île-du-Prince-Édouard et Sydney avec l’équipe de sauvetage.

Une équipe de la base de Summerside avec ambulance quitta l’Île à 00 h 01, le 7 août, pour arriver à Chéticamp à 04 h 15. 

Selon le Père Anselme Chiasson : 

  1. « Une équipe de Chéticamp composée de  Christophe Aucoin,  Johnny Roach, Amédée Romard, Joseph E. Bourgeois, Vincent A. Bourgeois,  Charles Romard, Willie Mose Chiasson se joignit au groupe de militaires. Ils se mirent en route pour les Habitations neuves vers 06 h 00 de la Rigouèche pour arriver au lieu de l’écrasement qu’à 16 h 20 en après-midi. 
  2. Peu après le départ, la radio cessa de fonctionner et Willie Mose Chiasson décida de faire un feu pour indiquer la position du groupe à l’avion de secours qui survolait la région. L’avion put ensuite leur indiquer la direction de l’écrasement en survolant au-dessus d’eux dans cette direction.
  3. C’est vers 17 h 30, après avoir mangé et deux heures de repos que les sauveteurs repartirent pour Chéticamp avec les survivants et le pilote mort sur une civière.
  4. Après quelque temps de marche très difficile, on se rendit à l’évidence qu’on ne pouvait absolument pas sortir du bois le même soir avec la civière… Le Sergent et le médecin demeurèrent avec le mort. Les secouristes avec bien de la difficulté purent enfin rejoindre la route à 23 h 00 à la rivière à Lazare.
  5. C’est le lendemain qu’une autre équipe, d’une vingtaine de personnes de Chéticamp, accompagnée de Christophe Aucoin et Johnny, repartit pour aller chercher le corps du pilote. Cette fois-ci, ils prirent le chemin de la Montain à Jérôme en empruntant le chemin montant chez Joe à Nézime. 
  6. Puisqu’aucune voiture motorisée n’était passée par là, les hommes durent déblayer le chemin afin que David Chiasson puisse monter la montagne avec son camion. »

Carte montrant le vol prévu de l’Avro Anson V, le 8 août 1944, tiré du rapport d’enquête sur l’écrasement.

(L’énumération ci-dessus est un résumé de l’article du Père Anselm Chiasson publié dans le Bulletin généalogique de la Société Saint-Pierre de Chéticamp, Vol IV, No 1, page 11.)

Selon les informations recueillies par Clarence Barrett, qui fut gardien au parc national des Hautes-Terres-du-Cap-Breton pour une vingtaine d’années, un « bulldozer » fut largué sur le site par un hélicoptère pour enterrer les débris de l’avion, puisque l’écrasement était rapporté aux autorités chaque fois qu’un avion survolait le site.

Clarence Barrett s’est rendu non loin du site à deux reprises et pensait même qu’il n’était qu’à quelque 300 mètres du site de l’écrasement, mais pour plusieurs raisons, y compris la densité des broussailles et de la fatigue, a rebroussé chemin.

M. Barrett a parlé à Willie Mose Chiasson à plusieurs reprises de cet événement pour tenter de trouver le site, mais sans succès. Selon lui, « le lieu de l’écrasement est dans une région des Hautes-Terres peu accessible, ou les broussailles et les épinettes noir juste plus haut qu’un homme, tous entremêlé et entrecoupé de tourbières, rendent les recherches extrêmement difficiles. À Terre-Neuve, on appelle ces broussailles « Tuckamore » et « Krummholz » dans les pays scandinaves. Le site est à environ 7 km une fois rendu sur le plateau. J’ai pu suivre un vieux chemin, peut-être celui fait par le « Bulldozer », pour à peu près 3 km ». 

Selon lui, le parc national n’a conservé aucune documentation de cet incident, même si une partie des sauveteurs locaux étaient à l’emploi du parc.

Sur le site de l’accident, les sauveteurs trouvèrent l’avion en morceau, ayant perdu sa queue, ses ailes et un moteur dans l’écrasement, mais les trois membres de l’équipage, Burke, Ogilvie et Antle, étaient assis sur la carlingue. Le pilote, décédé dans la nuit, avait été enrobé d’un parachute. Les trois survivants n’avaient que des blessures mineures.

Puisqu’il peut faire assez froid sur les Hautes-Terres du Cap-Breton, même en été, les survivants réussirent à allumer un feu avec les notes de bord du navigateur. Les conditions subarctiques, de tourbières et taïga qu’on retrouve sur le plateau où s’était écrasé l’avion, étaient peu propices pour y allumer un feu.

Il semblerait que l’équipe de recherche eut bien de la difficulté à descendre le corps de Bennett, car la végétation, le terrain accidenté et le manque de routes dans la région de l’écrasement rendirent le trajet bien hasardeux. Ce n’est qu’à 18 h 15, le 8 août, que le corps arriva enfin à Chéticamp.

Lionel Roach, dont le père Johnny à William Roach était gardien au parc national et l’un des sauveteurs qui s’est rendu sur le site, se souvient bien du siège du pilote qui avait été récupéré à la suite à l’écrasement.  « Je me suis assis sur le siège au garage North End, au havre de Chéticamp où j’allais quelques fois avec mon père ». 

Il se rappelle aussi que, l’été, on pouvait souvent voir quelqu’un assis dessus juste devant le garage, maintenant l’édifice Frenchie, entre autres Arsène à Jean. 

Arthur Deveau, qui habitait en face, se souvient, comme bien d’autres, du siège du pilote, car il allait souvent au garage quand il était jeune. « Je me rappelle qu’Alex à Chourange qui était assis sur le siège dehors par de belles journées d’été. »

L’écrasement s’est produit lorsque le pilote, qui s’est retrouvé devant un épais brouillard où la visibilité était nulle, a décidé de descendre sous les nuages. Ne sachant pas qu’il avait dévié de 20 degrés vers le sud de sa ligne de vol, l’avion a heurté les arbustes sur la crête de la montagne surplombant la mer près de Chéticamp sur Île du Cap-Breton, soit à 1 300 pieds d’altitude. 

L’avion avait littéralement fauché 75 mètres de petit bois avant de s’arrêter quelques 7 à 8 km du bord du plateau boisé. 

D’après le premier navigateur, John Robert Ogilvie, dans son rapport aux enquêteurs, l’avion se trouva hors de son azimut par quelque 20 degrés, car la boussole magnétique ne fonctionnait pas correctement.

La boussole magnétique peut être inexacte si le champ magnétique varie comme dans le Grand Nord canadien ou s’il est près d’une source de fer comme le siège du pilot qui est amovible et peut affecter l’exactitude de la boussole.

Selon R.T. Paul, l’un des enseignants à la base de Summerside, la position du siège du pilot est amovible, et ceci pouvait affecter la boussole magnétique, qui fut vérifiée le 10 juillet 1944 et fut trouvée défectueuse. 

Le 19 juillet 1944, on effectua un vol de routine sur le Avro Anson V 11800. L’instructeur en navigation, M.F. Baird, nota que la boussole magnétique était en erreur de 20 degrés sur tous les azimuts vérifiés, comparativement à la boussole « Astro ». Toutefois, le 6 août 1944, elle n’avait pas encore été remplacée.

Lors du vol du 6 août 1944, les navigateurs qui avaient noté l’erreur étaient en train de confirmer à nouveau la position de l’avion lorsque l’écrasement eut lieu. Ils n’avaient pas averti le pilote de leur doute par rapport à leur position.

En plus de la boussole magnétique, ils calculaient leur position en utilisant la boussole Astro utilisée durant la Deuxième Guerre. Cette boussole indique le vrai nord lorsqu’elle est pointée à une étoile connue. Ils utilisaient aussi les données de la tour fixe sur l’Île-du-Prince-Édouard ou Sydney, mais ces calculs pouvaient prendre du temps sur l’équipement de l’époque.

Selon le deuxième navigateur, William John Astle, le pilote est premièrement descendu à 2 500 pieds pour rester sous les nuages. Toutefois, en frappant un autre nuage épais, où la visibilité était nulle, il a continué à descendre et c’est à ce moment-là que l’écrasement est arrivé.

L’avion, comme la plupart des avions d’époque, n’était pas équipé d’un radar puisque celui-ci, encore très rudimentaire, ne fut qu’inventé en 1940. Alors, le pilote devait voler en utilisant son altimètre, sa boussole et ses yeux.

Le rapport d’enquête conclut que l’écrasement était dû à plusieurs erreurs cumulées :

« la boussole magnétique qui indiquait une erreur jusqu’à 20 degrés.

Le pilote n’avait pas avisé l’équipage qu’il descendait en bas de 2 500 pieds.

Le pilote aurait dû vérifier la position exacte de l’avion et de l’île du Cap-Breton avant de prendre la décision de descendre de 2 500 pieds.

Le navigateur qui était en entraînement avait été trop lent à recalculer la position de l’avion et n’avait pas avisé le pilote de ses doutes par rapport à sa position. »

À la suite de plusieurs recherches sur Internet et par téléphone, les enfants d’un des survivants de l’écrasement ont été retrouvés. Il s’agit des enfants du Sergent Jack Roy Burke. Jack Burke de Chatham, en Ontario, rejoint chez lui le 25 janvier 2023 s’est dit très surpris d’entendre parler de ce drame si longtemps après. « Oui je savais, mais mon père en parlait très peu. Toutefois, ma mère m’a dit qu’il en avait été traumatisé pendant longtemps et en avait même fait une dépression. Mon père est décédé en 1971 à 49 ».

Le Sergent Burke s’est marié à Isabel Langstaff de Mont-Royal, à Montréal, et a eu quatre enfants. Au retour de la guerre, il a fait carrière dans une usine de la région.

Pour sa part, sa fille Susan Stanley, lors d’une interview la même journée, a avoué qu’elle n’avait jamais entendu parler de cette histoire. Toutefois, à la suite de notre conversation la veille, elle a fouillé dans les papiers de sa défunte mère et a trouvé, entre autres, deux télégrammes adressés à sa mère, datés du 8 et 9 août 1944, qui se lisent comme suit : 

« Canadian National Telegram

Summerside PEI  9 00 PM Aug 8

MRS MARJORIE a BURKE

BOX 325 WALLACEBURG ONT

PLEASED to inform you that your son J.R. Burke who was involved in an airplane accident at Chéticamp, Cape Breton is uninjured » 

et le lendemain 

« Canadian National Telegram

Summerside PEI 4 40 PM Aug 9/44

MRS WM T BURKE

PHONE 241 J 3 WALLACEBURG ONT

Dear mom, Flew back from Sydney to Summerside with Commanding Officer Survived crash with only minor cuts Letter following do not worry LOVE, Jack »

Susan se rappelle bien que son père avait une cicatrice sur son bras et se demande maintenant si c’était arrivé lors de l’écrasement de l’avion, mais son père ou sa mère ne lui en avait jamais parlé. 

Pour sa part, Wilfred Bourgeois, fils de Vincent Bourgeois, l’un des sauveteurs de la région de Chéticamp, se rappelle bien d’en avoir entendu parler un peu par son père. « Ce n’était pas quelque chose qu’on parlait beaucoup. Aujourd’hui, ça m’intéresse, mais tout le monde de Chéticamp qui s’est rendu sur la montagne est mort. »

Par ailleurs, Marcellin Aucoin, fils de Christophe Aucoin qui avait pris part au sauvetage, a expliqué lors d’une interview radio à CKJM, qu’il avait la boussole de l’avion que son père avait rapporté et qu’il l’utilisait sur ces excursions de chasse. 

Encore plus fascinant, c’est son fils Claude Aucoin, membre des Forces armées canadiennes, qui, lors de son travail à la base de Greenwood, en Nouvelle-Écosse, est littéralement tombé sur le site Web de l’enquête sur cette tragédie. Avant la découverte du site, tous les détails de cette tragédie, qui a fasciné l’imaginaire de bien des gens de Chéticamp pendant des générations, n’étaient pas connus.

Claude Aucoin a avoué lors d’une interview chez lui à Victoria, en Colombie-Britannique, où il est présentement stationné : « avant de trouver le site Web, je n’avais jamais entendu parler de cet écrasement et je savais même pas que mon grand-père était l’un des membres de l’équipe de sauvetage et que mon père avait la boussole de l’avion. Je m’en vais à Chéticamp dans quelques mois et je vais fouiller le sous-sol de la maison pour voir si je peux retrouver la boussole, car mon père ne se rappelle plus de ça. »

La plupart des faits et des renseignements contenus dans cet article ont été trouvés dans le rapport d’enquête des Forces armées canadiennes au : https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_t12356/1