le Mercredi 6 novembre 2024
le Mercredi 30 octobre 2024 7:00 Actualités internationales

Plus d’appui nécessaire pour l’intégration des enseignants d’Afrique subsaharienne

La formation des enseignants francophones de demain représente un enjeu majeur pour l’intégration dans les écoles canadiennes. — PHOTO : Yan Krukau – Pixels
La formation des enseignants francophones de demain représente un enjeu majeur pour l’intégration dans les écoles canadiennes.
PHOTO : Yan Krukau – Pixels
FRANCOPRESSE – La francophonie canadienne compte sur l’immigration pour pallier la pénurie de personnel enseignant dans ses écoles. Mais l’intégration des nouveaux arrivants au système canadien demeure un défi, comme recensé auprès de travailleurs en provenance d’Afrique subsaharienne.
Plus d’appui nécessaire pour l’intégration des enseignants d’Afrique subsaharienne
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Yollande Dweme Pitta insiste sur la nécessité de soutenir les enseignants formés à l’étranger pour enrichir le système éducatif francophone.

PHOTO : Courtoisie

Les nouveaux arrivants originaires des pays africains sont nombreux à choisir l’Ontario ces dernières années. C’est le cas de Florian Abba*. Il a immigré en mars 2022 avec sa famille à Ottawa. 

Aujourd’hui enseignant au sein d’un conseil scolaire de la capitale fédérale, Florian décrit un parcours parsemé d’embuches. Il cite les qualifications et l’expérience professionnelle, «qui peuvent ne pas être reconnues immédiatement».

«C’est d’ailleurs le 10 septembre dernier seulement que j’ai intégré l’Ordre des enseignantes et enseignants de l’Ontario (OEEO), après de nombreux mois de traitement de mon dossier», appuie-t-il.

Avant de se présenter devant l’Ordre, Florian a étudié pendant près de deux années à temps plein à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, même s’il avait enseigné pendant 20 ans en Afrique.

Le retour aux études reste d’ailleurs souvent un passage obligé pour les nouveaux arrivants, selon ce qu’a pu constater la chercheuse et professeure au Collège Boréal, Yollande Dweme Pitta. 

Elle estime que cette situation découle souvent des difficultés pour «obtenir les documents officiels en provenance de leur pays d’origine après tant d’années d’études, respecter les exigences dans les documents officiels initiaux, traduire les documents, réussir les tests de langue particulièrement difficiles.»

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Enseigner le français en situation minoritaire 

Yollande Dweme Pitta, qui est également directrice du Programme des travailleuses et des travailleurs d’établissement dans les écoles au sein du Centre ontarien de prévention des agressions, a identifié, dans le cadre de ses travaux, des professionnels qui partent du Québec pour enseigner en Ontario. En contexte minoritaire, ces enseignants pensent pouvoir trouver plus facilement du travail dans les écoles francophones de la province, car ils connaissent la langue et sont au fait de la pénurie de personnel enseignant.

Florian explique par contre qu’il a dû s’adapter «au français parlé au Canada», qui présente quelques différences par rapport à la langue parlée au Cameroun. «Pour améliorer la fluidité linguistique, j’ai dû participer à des cours de langue et la pratiquer régulièrement avec des locuteurs natifs canadiens», explique l’enseignant.

L’enseignant a aussi découvert qu’en Ontario, il faut avoir des connaissances en anglais afin d’échanger avec les parents d’élèves, qui jouent un rôle important dans le système éducatif du pays.

Mais le plus grand défi de Florian a véritablement été «l’utilisation des technologies éducatives». Le rôle de la technologie s’est accru avec la pandémie de COVID-19 et les confinements qui s’en sont suivis, avec la nécessité de poursuivre l’enseignement à distance.

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Gisèle Bourque indique que la FCSFA s’engage à soutenir les enseignants francophones issus de l’immigration pour pourvoir les postes vacants en Alberta.

PHOTO : FCSFA

Favoriser l’inclusion des enseignants immigrés

Pour Yollande Dweme Pitta, un meilleur accompagnement des professionnels formés à l’étranger et qui souhaitent s’insérer dans le système éducatif canadien est essentiel. Il incombe toutefois aux nouveaux arrivants de bien s’informer avant d’immigrer et, une fois sur le territoire, de «se renseigner avant de changer de profession».

La chercheuse estime que les directions d’école ont également une responsabilité liée au nécessaire rapprochement entre les anciens et les nouveaux enseignants, «afin de combattre les préjugés» qui pèsent sur les immigrants.

Par exemple, les nouveaux enseignants peuvent «intégrer les comités de pratiques, notamment le comité d’apprentissage à l’école pour bénéficier de l’expérience des enseignants chevronnés».

Florian a justement remarqué «une certaine fermeture» de la part de ses collègues et des conseils scolaires à établir des liens professionnels. «Je me réserve même le droit de parler de racisme», lâche-t-il.

Cette responsabilité revient également aux conseils scolaires, qui peuvent organiser des formations pour lutter contre les stéréotypes, «car les enseignantes formées en Afrique subsaharienne ont beaucoup à apporter, notamment au niveau de la méthodologie», souligne Yollande Dweme Pitta.

Les conseils scolaires au front en Alberta

L’Alberta, qui est aussi confrontée à une pénurie d’enseignants francophones, voit à la mobilisation de ses conseils scolaires pour accompagner l’insertion des professionnels formés à l’étranger, notamment en Afrique subsaharienne. La Fédération des conseils scolaires francophones de l’Alberta (FCSFA) a lancé dès 2023 la plateforme Enseigner en Alberta, pour faciliter le recrutement des enseignants dans les écoles de la province. 

«C’est devenu la norme que les enseignants viennent d’ailleurs pour enseigner en Alberta», constate la directrice exécutive de la FCSFA, Gisèle Bourque. Afin de faciliter l’insertion des enseignants formés à l’extérieur de la province, «le conseil scolaire peut demander au ministère de l’Éducation d’accélérer le processus d’accréditation en contrepartie d’une promesse d’embauche», ajoute-t-elle.

Selon elle, les nouveaux enseignants bénéficient également de l’entraide au sein des écoles albertaines. Les enseignants chevronnés d’origine africaine «ont développé un mentorat spécial», principalement à Edmonton, pour accompagner les nouveaux arrivants en proposant une sélection de formations nécessaires à l’adaptation au contexte local.

«Regarder la vérité en face»

En Ontario, Yollande Dweme Pitta questionne les exigences de l’OEEO, qui doit, dit-elle, «regarder la vérité en face». Dans cette province, le personnel enseignant doit faire partie de l’ordre pour avoir le droit d’enseigner.

«Certains enseignants qui immigrent d’Afrique subsaharienne ont terminé leurs études depuis plusieurs années, tandis que, dans certains pays, leur université a parfois fermé ses portes, définitivement», ce qui complique l’obtention de documents officiels prouvant leur scolarité. Selon elle, l’Ordre devrait enfin prendre ces questions à bras le corps, pour répondre au défi de l’heure.

L’OEEO n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue de Francopresse.

Il existe tout de même des programmes d’adaptation. Comme le Programme d’insertion professionnel du nouveau personnel enseignant (PIPNPE), qui fournit un soutien pédagogique afin d’aider à «acquérir les compétences et les connaissances nécessaires à l’enseignement», indique le ministère de l’Éducation de l’Ontario.

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Abandon au sein de la profession

Dans un récent rapport obtenu par la Presse canadienne, le ministère de la province indique que la pénurie d’enseignants devrait s’aggraver davantage à partir de 2027, au moment où le nombre d’élèves augmentera, notamment dans les écoles francophones.

Parmi les solutions à cette équation figure l’agrément des enseignants formés à l’étranger, notamment en Afrique subsaharienne. Mais ceux-ci font face à de nombreux défis dans leur processus d’insertion professionnelle. Certains sont parfois contraints de réorienter leur carrière ou de quitter vers une autre province.

Dans son rapport Transition à l’enseignement 2022, l’OEEO estime que 15 % du personnel formé hors du Canada et agréé dans la province est inactif. Un pourcentage tout de même plus bas que chez les enseignants diplômés en Ontario ou ailleurs au Canada.

Chez les enseignants en début de carrière, l’abandon de la profession est souvent dû «à la longueur du parcours pour obtenir un emploi permanent», peut-on lire dans l’étude.

L’Ordre estime aussi que la pénurie d’enseignants observée en Ontario est liée aux perturbations causées par la pandémie, poussant le personnel à quitter la profession, de façon temporaire ou permanente. 

Mais la crise serait également due plus à «l’augmentation des inscriptions dans les écoles élémentaires et secondaires dans certaines régions de la province».

*Le nom a été modifié pour des raisons de sécurité et de confidentialité.