Descendants de pionniers acadiens, ils sont très attachés à leur culture acadienne et défendent farouchement la langue française.
Ayant tous les deux un emploi dans la région, ils envisagent bien entendu que Lucie fasse toute sa scolarité en français dans les écoles du territoire. Après ses six années à l’école primaire, Lucie devrait entrer à l’École secondaire de Clare, où elle devrait obtenir, six ans plus tard, son diplôme de fin d’études secondaires. Elle pourra alors faire une demande d’admission, si elle le souhaite, à l’Université Sainte-Anne, la seule institution d’enseignement postsecondaire de langue française en Nouvelle-Écosse.
S’engager dans un parcours scolaire complet en français, qui relève dorénavant du Conseil scolaire acadien provincial, parait tellement naturel en ce début de 21e siècle! Et pourtant, il aura fallu aux Acadiens, face à l’assimilation anglophone, un long combat culturel pour y parvenir.
Revenons au début du 19e siècle, alors que le premier prêtre de la paroisse Sainte-Marie, nouvellement créée dans le canton de Clare, est l’abbé français Jean-Mandé Sigogne…
Les premières écoles publiques
«L’ignorance, vous le savez, est un vice; elle vous place de plus dans un état d’infériorité vis-à-vis de personnes instruites…» C’est ce discours affligé et moralisateur que tenait l’abbé Sigogne à ses paroissiens en leur reprochant d’être indifférents à l’instruction qu’il donnait à leurs enfants.
Comment les blâmer cependant? Depuis leur retour d’exil, à la fin des années 1760, isolés et dispersés, rejetés par la majorité anglophone pour leur foi catholique, privés de secours spirituels, les Acadiens étaient restés pauvres et illettrés. Que pouvaient-ils faire? Surement ne pas se priver de la main-d’œuvre de leurs enfants pour les aider à la maison, dans les bateaux de pêche, dans les champs ou en forêt.
Toutefois, le système provincial des écoles publiques se met en place progressivement. La loi scolaire de 1811 recommande la construction d’une école dans chaque village où résident au moins 30 familles. Celle de 1826 divise la province en districts scolaires et en définit l’organisation administrative.
C’est seulement après cette dernière date que les écoles publiques ont commencé à apparaitre dans les régions acadiennes. L’instruction en français était-elle vraiment acceptée dans ces écoles?
Si le doute est permis, la loi scolaire de 1841 a corrigé ce point en autorisant les écoles de langue française, gaélique ou allemande à bénéficier du même soutien public que les écoles de langue anglaise.
À la fin des années 1840, la plupart des villages acadiens possédaient leur école primaire publique, bien que la majorité des enfants ne la fréquentent pas. Leurs parents n’avaient pas les moyens de payer une souscription pour le salaire des enseignants et l’entretien de l’école.
À l’inverse, une minorité d’enfants avaient la chance de s’instruire à l’école. La médaille avait néanmoins son revers. Si leur instruction se faisait bien en français, les manuels scolaires étaient presque tous en anglais.
Le long combat culturel ne faisait que commencer…
L’école unilingue anglaise
En 1864, la Nouvelle-Écosse est la première province des provinces maritimes à adopter une loi visant à rendre l’école accessible à tous. C’est la fameuse Loi Tupper, qui instaure un système d’enseignement unilingue en anglais et non confessionnel. Elle permet aussi la construction de nombreuses petites écoles dans la province.
En principe, selon cette loi, les seules écoles habilitées à recevoir des fonds publics étaient celles dont les enseignants étaient titulaires d’un brevet de qualification en anglais. Dès lors, pouvait-on craindre qu’elle soit fatale à l’utilisation du français comme langue d’instruction à l’école? Rares en effet étaient les enseignants capables de faire la classe aux jeunes Acadiens qui ne comprenaient généralement que le français.
Certes, dans les décennies suivantes, les Acadiens ont obtenu des avancées significatives. Des primes d’encouragement ont été accordées aux enseignants francophones capables d’enseigner dans les écoles désormais bilingues. L’enseignement et les livres en français étaient tolérés à l’école primaire.
Mais ces progrès étaient totalement illusoires, puisque l’école secondaire et les examens provinciaux obligatoires se déroulaient toujours en anglais. Paradoxalement, pour la majorité anglophone, l’instruction en français ne visait qu’à faciliter la conversion des jeunes Acadiens à l’éducation en anglais, c’est-à-dire leur assimilation à la langue et à la culture anglaises.
Dans les années 1960, tandis que l’anglicisation progresse sensiblement dans les écoles et les familles acadiennes en Nouvelle-Écosse, le mouvement indépendantiste au Québec produit l’effet inverse au niveau fédéral. En 1969, le gouvernement fédéral adopte la Loi sur les langues officielles, qui vise à implanter le bilinguisme dans les domaines relevant de sa compétence.
Il s’agit d’une véritable révolution dont les répercussions en faveur de la minorité acadienne vont véritablement se faire ressentir dans les années 1980 en Nouvelle-Écosse…
L’évènement décisif
Dès les années 1970, grâce aux fonds du programme fédéral des langues officielles, l’enseignement du français est encouragé à l’école primaire en Nouvelle-Écosse. Des programmes d’immersion en français langue seconde sont même créés avec succès.
On peut comprendre les parents anglophones. Le français étant désormais valorisé au même titre que l’anglais au niveau fédéral, ils avaient perçu son intérêt pour leurs enfants sur le marché du travail.
À l’opposé, les parents acadiens, qui savaient souvent mieux lire et écrire en anglais qu’en français, étaient beaucoup moins enthousiastes. À quoi bon instruire nos enfants en français s’ils veulent s’intégrer ensuite dans la société anglaise?
L’évènement décisif a lieu en juin 1981. Malgré les réticences de la population acadienne, sous la pression de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse, la province finit par adopter une révision de la Loi Tupper, dite Loi 65. Cette loi confère enfin à l’école acadienne un statut légal et garantit l’inclusion de l’histoire et de la culture acadiennes dans le programme d’études.
Manifestement, la Loi 65 semblait plutôt découler de la Charte canadienne des droits et libertés, publiée en 1981, que le gouvernement provincial était tenu de respecter. L’article 23 de la Charte assure aux parents le droit de faire instruire leurs enfants à l’école publique, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone de la province.
Bien que reconnaissant ce droit aux Acadiens, la Loi 65 restait difficile à appliquer, non pas à l’école primaire, mais à l’école secondaire, où une plus grande souplesse était nécessaire. Au manque d’enseignants formés en français s’ajoutait en effet le niveau de français insuffisant de beaucoup d’élèves acadiens.
En 1996, le gouvernement consent à créer le Conseil scolaire acadien provincial (CSAP), qui accorde aux Acadiens la gestion en français de leurs écoles. Un débat intense s’ouvre alors entre les parents favorables à l’école homogène, où la programmation est entièrement française jusqu’à la 12ème année (hormis le cours d’anglais) et ceux, beaucoup plus nombreux, qui y sont hostiles.
Finalement, l’école homogène est massivement rejetée, l’anglais reste une langue d’instruction et l’école acadienne une école bilingue. Les parents défenseurs de l’école homogène, soutenus par la Fédération des parents acadiens de la Nouvelle-Écosse fondée en 1984, étaient cependant convaincus que la concurrence entre le français et l’anglais ne pouvait que nuire à une éducation de qualité en français et aggraver l’assimilation des jeunes Acadiens. Face à l’inaction du gouvernement, certains d’entre eux ont alors sollicité la Cour suprême de la province pour faire respecter leurs droits garantis par l’article 23 de la Charte.
En juin 2000, le juge LeBlanc rend un jugement en leur faveur, ordonnant au gouvernement provincial d’établir des écoles secondaires et des programmes homogènes de langue française dans les régions acadiennes. L’éducation en français est donc maintenant protégée sur les plans juridique et pédagogique, jusqu’à la 12ème année.
Dans la municipalité de Clare, les parents de Lucie en sont très fiers. S’ils ont bien conscience que l’identité acadienne est bilingue, ils ont aussi la ferme conviction que l’éducation en français de leur fille lui offrira de meilleurs atouts pour s’intégrer dans la société anglophone.
Quelle est la situation des écoles du CSAP aujourd’hui? C’est l’historienne Sally Ross qui fournit elle-même la réponse: «Le CSAP a beaucoup évolué depuis l’an 2000. Maintenant la plupart des écoles du CSAP sont dans des centres urbains et fréquentées par des étudiants francophones (et autres) de partout. Autrement dit, il ne s’agit plus d’une population acadienne homogène.»
La conclusion s’impose naturellement. Les Acadiens ont lutté pour obtenir l’éducation en français pour leurs enfants. Le CSAP offre maintenant à ses élèves non seulement une éducation en français, mais aussi une ouverture culturelle à tous les francophones de la province.
Sources principales
Ross, Sally; Les écoles acadiennes en Nouvelle-Écosse, 1758-2000; Centre d’études acadiennes, Université de Moncton, 2001.
Ross, Sally, et J. Alphonse Deveau ; Les Acadiens de la Nouvelle-Écosse, hier et aujourd’hui; Les Éditions d’Acadie, Moncton, 1995.