le Jeudi 21 septembre 2023
le Vendredi 1 septembre 2023 10:00 Lettre d'opinion

Lettre d’opinion – Arrêtez l’intimidation, vous rendrez service à votre communauté

  PHOTO - Daria Nepriakhina - Unsplash
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Existe-t-il de l’intimidation au sein de nos communautés ? Et si on osait poser la question ?
Lettre d’opinion – Arrêtez l’intimidation, vous rendrez service à votre communauté
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Les communautés acadiennes et francophones de la Nouvelle-Écosse sont souvent décrites comme généreuses et accueillantes, et à juste titre. C’est largement le cas à travers la province. Les exemples sont nombreux et en tant que seul média francophone de la province nous en sommes souvent les témoins au sein de nos colonnes.

Cependant, notre petite équipe est régulièrement victime de commentaires désobligeants, parfois discriminants ou insultants qui remettent en cause notre professionnalisme, notre engagement ou tout simplement notre identité.

Au moment où j’écris ces lignes, je me dis que j’aurais dû suivre les conseils d’un membre influent de la communauté lorsque j’ai partagé pour la première fois ce constat. À l’époque on m’avait fait part du fait que le Courrier n’était pas la seule organisation à recevoir régulièrement des messages intimidants, parfois même haineux provenant de membres de la communauté. Nombreuses sont les histoires qui m’ont été contées depuis mon arrivée en Nouvelle-Écosse. Il m’avait alors été conseillé d’en parler et de dénoncer. Néanmoins, nous sommes un média et par nature, nous sommes sujets à la critique.

Je n’ai jamais franchi ce pas jusqu’à aujourd’hui.

La critique constructive est un signe de vitalité du débat citoyen lorsque les perspectives se confrontent pour faire avancer nos communautés. C’est d’ailleurs un des fondements du journalisme. Gardons cependant en tête qu’entre critique constructive et intimidation, il existe un juste milieu. C’est ce qui me pousse aujourd’hui à émettre mon point de vue.

Reprenons à la base, l’intimidation. Voici la définition proposée par Le Larousse :

Intimider – verbe transitif – (de timide)
Inspirer à quelqu’un une crainte, un trouble qui lui fait perdre son assurance.

Voici quelques extraits reçus par l’équipe du Courrier dans la dernière année pouvant être considérés comme de l’intimidation:

« Ce texte ne vaut rien dans un journal qui se respecte et je l’aurais refusé à une personne du secondaire … Imaginez à votre « niveau » de compétence. »

« Apprenez à parler le français, on ne comprend rien à ce que vous dites. »

« Accepter, en votre qualité de maître d’œuvre d’un journal représentant l’esprit acadien, qu’un tel outrage à la pensée (humaine) soit cautionné par vous, vous place au rang des plus grands ignorants d’une classe du primaire. » 

« Vous n’habitez pas à la Baie et vous êtes directeur général, cela ne fait aucun sens. »

J’ai beaucoup d’autres exemples en tête et je regrette aujourd’hui de ne pas avoir gardé trace de ces commentaires au fur et à mesure. Les commentaires ci-dessus sont des citations exactes.

Mes observations et mes questionnements :

  • La plupart de ces commentaires proviennent le plus souvent de personnes éduquées, parfois influentes au sein de leur communauté. Je me pose souvent la question de savoir s’il existe une « élite acadienne », que je qualifierai de privilégiée, qui exerce un certain contrôle et pouvoir sur les membres les plus vulnérables de nos communautés. La réponse vous appartient.
  • Ces personnes sont la plupart du temps peu investi dans le projet de notre média, elles ne sont pas abonnées et ne contribuent pas activement à son développement d’aucune façon. Cela me questionne d’autant plus sur la légitimité de leurs propos.
  • On nous fait parfois sentir que l’on n’est pas Acadien. Cela pose la question de la définition bien évidemment, mais aussi celle de la diversité de nos communautés. Intimider, c’est aussi parfois une façon d’exclure.

Mes apprentissages

  • On peut émettre des désaccords, mais n’oublions jamais qu’une communauté peut s’autodétruire si elle ne s’assure pas que tous ses membres se sentent soutenus, peu importe leur parcours et leurs aspirations. L’exemple le plus parlant est celui de l’insécurité linguistique, qui naît de l’intimidation, et contribue activement au déclin de la langue que nous connaissons aujourd’hui.
  • Il ne faut jamais sous-estimer l’impact des blessures que l’on peut infliger en émettant des propos intimidants à l’égard d’une personne. Ces blessures sont parfois inguérissables. Dans le meilleur des cas, elles démobilisent.
  • Un commentaire intimidant est un commentaire intimidant, point à la ligne. Il ne faut pas essayer de minimiser les propos intimidants comme nous le faisons souvent. Autrement, nous leur donnons une place qu’ils ne méritent pas.
  • La diversité fait partie intégrante de nos communautés, l’équipe du Courrier en est un des multiples exemples. La contrepartie de la diversité, c’est le devoir d’inclusion qui y est rattaché. Si on refuse d’adopter une démarche inclusive, la communauté ne peut tout simplement pas fonctionner.

Pensez à la jeunesse ! Les blessures créées aujourd’hui feront la communauté de demain.

Avant de prendre la parole ou votre clavier, pensez à la jeunesse et à l’héritage que vous leur laissez. La petite équipe du Courrier, pigistes inclus, est jeune et engagée. Elle ne compte pas ses heures pour, très souvent, accomplir l’impossible. En tant que directeur, c’est mon devoir de m’assurer qu’ils se sentent soutenus et mobilisés autour d’une cause qui leur tient à cœur. C’est aussi mon devoir de les protéger lorsque j’estime que les propos vont trop loin. Nous avons tous intérêt à créer un espace sécuritaire, inclusif et bienveillant au sein de nos communautés. Elles n’en seront que plus fortes.

Comme je vous le disais au début, arrêtez l’intimidation, vous rendrez service à votre communauté.

Nicolas Jean
Directeur général
La Société de presse acadienne – Le Courrier de la Nouvelle-Écosse