
Marlene Companion, ainée mi’kmaw, et un aide-de-camp devant la résidence du lieutenant-gouverneur. Marlene a effectué un rituel de purification (smudge) pour la cérémonie officielle.
Oui, fans d’histoire acadienne, vous avez bien lu. L’Acadie, colonie française, s’est vraiment constituée sous son règne, et certaines de ses guerres sont responsables de la perte de l’Acadie pour la France au profit de l’Angleterre, la « perfide Albion », cette rivale autrefois « héréditaire ».
Bon, il y a des rois ailleurs qu’en Europe. Sobhuza II a régné 83 ans et a négocié l’indépendance du Swaziland d’avec l’Empire britannique, en 1968. Un pharaon égyptien, Pépi II, aurait régné 94 ans. Le « grand âge » n’empêche personne de contribuer au monde de manière positive…
On a pu lire cette dernière semaine une masse de références aux chansons folkloriques canayennes qui parlent du roi d’Angleterre et du roi de France… Oh, vous allez dire : pour les Français, républicains, le roi n’est plus qu’un souvenir. Pourtant, le président Macron s’est précipité au couronnement de Charles III. Tout comme les têtes couronnées : Monaco, Suède, Arabie Saoudite, Espagne…
N’oublions pas notre délégation canadienne, menée par la gouverneure-générale Mary Simon et le premier ministre fédéral, l’héréditaire Justin Trudeau. Pourtant, le palais de Versailles, construit pour Louis XIV, reste un des emblèmes de la France et on continue de parler de notre français comme la « langue de Molière », auteur de comédies du 17e siècle, dont l’une qui se moque des femmes instruites.
Pour ma part, je préfère la chanson de Jean-Pierre Ferland, au répertoire des Voix d’Acadie pour un 70è anniversaire qui approche :
Dans mon âme et dedans ma tête, il y avait autrefois un petit roi
Qui régnait comme en son royaume sur tous les sujets beaux et laids
Puis il vint un vent de débauche qui faucha le roi sous mon toit
Et la fête fut dedans ma tête comme un champ de blé
Comme un ciel de mai…
Le ciel de mai était au rendez-vous la journée du couronnement de Charles III, roi du Canada, dont le drapeau officiel flottait – événement rarissime –, alors qu’une foule de tous âges et de toutes origines s’était réunie à partir de 9 h 30 devant la résidence du lieutenant-gouverneur à Halifax-Kjipuktuk. Cérémonie très officielle, fanfare militaire, garde d’honneur et cadets, monarchistes et simples curieux, purification par la fumée et chant d’honneur mi’kmaw.
Avec une partie de son discours en français, Arthur J. LeBlanc appelait à l’unité dans la durée et la diversité, et le message de l’aînée Marlene Companion, dans le même sens, se voulait un appel à la bonne volonté et à la paix pour les composantes diverses de l’humanité.
Un beau matin de mai alors que résonnaient les coups de canon du couronnement. À Londres, il pleuvait. Il y aura de quoi faire encore la fête ici… le 22 juin.
La question, bien sûr, se pose : nouveau roi couronné, mais dernier roi canadien ? Avons-nous besoin de la monarchie ? En Angleterre même, la majorité des jeunes semblent très indifférents à cette pompe et à cette splendeur qui nous relient à des siècles de traditions, dont la vertu est d’unifier symboliquement des ensembles de réseaux de plus en plus complexes.
L’histoire d’amour entre Charles et Camilla, couronnés non seulement dans l’abbaye de Westminster, symbole officiel, a fait les choux gras de la presse pendant des années. Mais les jeunes peuvent-ils s’identifier à une monarchie dont les « nouvelles » têtes couronnées sont des septuagénaires ? Est-il utile, au-delà des memes humoristiques et de Hola! Canada, de considérer que notre image collective a besoin d’avoir une figure tutélaire qui nous rappelle origines européennes, colonialisme britannique, et les guerres qui y ont été liées ? Si à Londres le tourisme royal rapporte, est-ce pareil ici, au-delà de la curiosité ?
Et pourtant, Arthur J. Leblanc, notre lieutenant-gouverneur, autrefois juge essentiel dans le dossier des écoles acadiennes, est fier de me dire qu’ « il y a maintenant un tableau représentant le Père Léger Comeau, dans la collection permanente de notre résidence, côte à côte avec Viola Desmond ». Et nous sommes fiers de sa présence et de celle de son épouse, Patsy, en ce lieu, à cette époque de transition.
Nouveau roi, dernier roi ? L’avenir le dira. Dans les années 1970, on pouvait encore devenir automatiquement canadien si on avait un passeport britannique. Aujourd’hui, nous reconnaissons que notre identité collective a de moins en moins à voir avec les traditions venues d’outre-Atlantique… En ce beau jour de mai, les drapeaux flottaient, les militaires défilaient, on plantait un arbre, et ailleurs en ville, wigwams et robes rouges rappelaient que traditions et changements nous concernent tous et toutes…