le Dimanche 28 mai 2023
le Mardi 2 mai 2023 11:00 Chronique -Au rythme de notre monde

Comprendre la géopolitique de nos appareils électroniques

Un circuit intégré ou une micropuce.  — PHOTO - Jon Sullivan
Un circuit intégré ou une micropuce.
PHOTO - Jon Sullivan
Ce sont des matériaux aux propriétés quasi magiques qui se trouvent partout autour de nous et qui rendent possibles une bonne partie de nos activités quotidiennes. De nos automobiles à nos téléphones intelligents désormais indispensables en passant par les systèmes de contrôle aérien, pour ne citer qu’une poignée d’exemples parmi des milliers, la vie moderne dépend des semiconducteurs.

L’un des édifices hébergeant une « fonderie » de la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company, située dans le parc des sciences de Hsinchu, Taïwan.

PHOTO - Peellden

Au cœur des composants essentiels de nos appareils électroniques, les semiconducteurs sont devenus un enjeu majeur dans les grandes rivalités géopolitiques qui caractérisent l’ordre international, surtout celles opposant les États-Unis et la Chine. Décryptons la chose.

Tout d’abord, une petite leçon de physique : qu’est-ce qu’un semiconducteur au juste ?

Chaque substance se définit, parmi d’autres qualités, par sa capacité à conduire un courant électrique. Beaucoup de métaux ont une forte « conductivité » alors que des matériaux comme le bois, le verre et le caoutchouc, qui font preuve de « résistivité », sont des isolants. 

Or, les semiconducteurs possèdent les deux options, c’est-à-dire qu’ils peuvent soit conduire soit bloquer l’électricité en fonction de certaines conditions, voire de certaines modifications qu’on peut leur apporter. En se servant de semiconducteurs, il est donc possible de manipuler le flux de l’électricité avec une extrême précision.  

La découverte et la mise en application de cette caractéristique ont entraîné, depuis le milieu du 19e siècle, l’une des plus importantes révolutions technologiques que l’humanité ait connues, sinon la plus importante. Les composants électroniques à base de semiconducteurs ont permis l’avènement des télécommunications et de l’informatique, sans oublier les électroménagers qui se multiplient dans nos domiciles. Combien d’entre nous ne serions pas pris au dépourvu chaque lundi matin sans notre chère machine à café automatique ?

Le matériau semiconducteur le plus employé, c’est le silicium, abondant et bon marché – du moins jusqu’à récemment. Ses cristaux servent à fabriquer les puces électroniques (chips) ou circuits intégrés (CI).

Or, l’hostilité grandissante entre la Chine et les États-Unis vient politiser davantage le marché mondial des semiconducteurs et des composants électroniques. L’un et l’autre pays souhaitent tenir définitivement le haut du pavé en matière d’innovation technologique. 

Précisons que ni la Chine, soit le plus grand exportateur de biens de consommation, ni les États-Unis, la plus grande économie sur la planète, ne dominent le secteur des semiconducteurs.

L’épicentre de cette industrie se trouve à Taïwan, cette île qui revendique sa souveraineté face à la République populaire de Chine depuis le triomphe de la révolution communiste en 1949. Les « fonderies » (ou usines de puces) taïwanaises produisent 60 % des semiconducteurs destinés au marché international et, qui plus est, l’écrasante majorité (90 %) des modèles les plus avancés. 

Ce secteur, qui compte pour 15 % du produit intérieur brut de l’île, est dominé par deux compagnies : Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) et United Microelectronics Corporation (UMC). Ces sociétés et les autres fabricants taïwanais bénéficient de plusieurs avantages, notamment d’une chaîne d’approvisionnement intégrale. 

Un autre pôle, c’est la Corée du Sud où le géant Samsung occupe à lui seul près de 11 % de l’industrie mondiale.

Si ces deux gouvernements sont des alliés de Washington, il n’en demeure pas moins que le portrait du marché est en train de se redessiner. N’oublions pas non plus que, pour la Chine, Taïwan est une province rebelle qui lui appartient de bon droit. La réunification avec l’île constitue une pierre angulaire de la vision du président Xi Jinping. (À ce sujet, voir mes chroniques du 28 octobre et du 16 novembre derniers.)

Aux tensions d’ordre politique s’ajoute une pénurie de semiconducteurs qui crée des pressions un peu partout. La production de micropuces ne répond pas à la demande, toujours plus forte. Ce phénomène contribue à l’inflation que nous connaissons depuis la pandémie de la COVID-19.

Qui plus est, la Chine investit massivement afin d’accroitre sa part du gâteau. C’est ce qu’explique l’historien économique Chris Miller dans un livre récent, Chip War: The Fight for the World’s Most Critical Technology (Scribner, 2022). Le gouvernement chinois a pour objectif d’atteindre un haut niveau d’autonomie dans le domaine des technologies de l’information (TI). Les ambitions de Beijing concernent des utilisations aussi bien commerciales que militaires. 

Au début des années 1990, près de 90 % des semiconducteurs étaient fabriqués en Amérique et en Europe. Selon le Semiconductor Industry Association (SIA), un regroupement américain, la Chine parviendra, d’ici 2030, à fournir près d’un quart de la production totale.

Pour les États-Unis, la sonnette d’alarme est désormais tirée. L’administration Biden a adopté deux mesures décidément musclées. En octobre dernier, elle a imposé des restrictions draconiennes afin de limiter l’accès de la Chine aux puces électroniques de l’extérieur. Tout dernièrement, le Département du commerce annonçait une initiative pour inciter l’implantation de plus de fonderies sur le sol américain.

Outre-Atlantique, l’Union européenne emboîte le pas. Le Parlement européen et les États membres de l’UE sont en train de mettre en œuvre un plan visant à stimuler l’industrie des semiconducteurs de l’Europe dans l’espoir de réduire sa dépendance envers l’Asie.

Cette stratégie n’exclut pas la coopération et la collaboration. L’Allemagne a entrepris des démarches pour convaincre TSMC, le colosse taïwanais, d’installer une fonderie à Dresde, place forte du secteur des TI.

Il y a tout lieu de rester au courant de cette situation, car les enjeux économiques, géopolitiques et – mieux vaut le souligner étant donné l’impact des transformations technologiques sur la santé de notre planète – écologiques de l’industrie des semiconducteurs ne feront que s’intensifier.