
Françoise Muaka
L’histoire débute en Afrique postapocalyptique, où deux tribus se livrent une lutte sans merci depuis les temps immémoriaux. D’un côté les Nurus, un peuple béni par la déesse Ani et censé assurer sa domination sur son territoire, de l’autre côté les Okeke, peuple en voie d’extinction, asservi par les Nurus et dont les quelques tentatives de révolte se sont, jusqu’à présent, toujours soldées par un échec.
Pendant la lutte, des massacres, des pillages, des meurtres, des viols, des atrocités ont lieu dans chaque camp. C’est dans ce contexte qu’une femme a survécu à l’anéantissement de son village et au viol par un général ennemi avant de partir errer dans le désert dans l’espoir d’y mourir. Mais à la place, elle va donner naissance à une petite fille dont la peau et les cheveux ont la couleur du sable. Convaincue que son enfant est différent, elle la nomme Onyesonwu, ce qui signifie, dans une langue ancienne, « qui a peur de la mort ? ».
Onyesonwu est née ewu, une enfant issue d’un viol, mi-Nuru par son père, mi-Okeke par sa mère. Elle est donc considérée comme étant paria par tous. En grandissant, Onyesonwu se rend compte qu’elle porte en elle les cicatrices d’une conception brutale et est consumée par les horreurs de sa naissance que la société ne lui pardonnera jamais.
Dans un monde dominé par les hommes, il est peut-être difficile de se faire une place et suivre son propre chemin. Heureusement, cette jeune fille possède en elle un atout : elle sait manipuler avec aisance la magie. Son destin mystérieux et sa nature rebelle la poussent dans un voyage qui la forcera à confronter sa nature, ses traditions, les mystères spirituels de sa culture, et, finalement, comprendre pourquoi elle a reçu le nom qu’elle porte.
Au terme de notre lecture, les scènes devant nous sont particulièrement excitantes, et même si vous n’avez pas l’âme sensible, il est difficile de rester indifférent face à cette histoire. Par exemple de rester de marbre à la lecture du viol de la mère de Onyesonwu ou encore à celle du rituel de l’excision des jeunes filles Okeke.
Nous admirons les personnages bourrés de défauts, mais attachants, comme le vieux sorcier Aro, la courageuse Luyu, la petite Binta et, bien sûr, le couple au centre du roman, Onyesonwu et Mwita. Leur relation forme l’un des principaux attraits de l’histoire. La révolte et la peur sont deux sentiments dont on n’est jamais loin tout au long de la lecture, et d’où se dégagent à la fois des sentiments d’euphorie et d’émerveillement.
Parallèlement à toutes les brutalités et la dureté auxquelles nous nous trouvons confrontés, nous découvrons un univers exotique et fascinant. Ainsi le monde de Nnedi Okorafor suscite de la pure fantasy, avec des paysages associés aux vastes déserts empreints de magie. De même, il est pour une fois appréciable de découvrir certains éléments ou concepts prenant leurs racines dans la culture africaine, avec notamment l’idée des mascarades, sortes d’esprit des ancêtres ou du désert pouvant adopter des formes très diverses.
Œuvre originale située dans un paysage fantastique, Qui a peur de la mort est une histoire rarement abordée en fantasy, que Nnedi Okorafor construit avec grandeur et précision.