Le gouvernement du Canada a présenté en février le Plan des niveaux d’immigration 2022-2024. Ottawa envisage d’accueillir de nouveaux arrivants à un taux d’environ 1 % de la population canadienne. On parle d’environ 450 000 immigrants par année, à savoir plus de 1,33 million d’ici 2024.
Notons que le gouvernement a fixé sa cible en matière d’immigration francophone en dehors du Québec à 4,4 % d’ici 2023. En 2018, moins de 1% des nouveaux arrivants en Nouvelle-Écosse avaient le français comme première langue parlée et l’année dernière, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a assuré au public que ce pourcentage était en train d’augmenter.
Mais il y a encore du chemin à faire à l’échelle nationale afin de faciliter l’entrée au pays des nouveaux arrivants. Le Courrier a eu la chance de parler avec un homme originaire du Maroc qui souhaitait témoigner de son expérience en tant qu’immigrant francophone en dehors du Québec. Il restera anonyme afin de protéger son identité et celle de sa famille.
Ben* affirme que les résidents de pays francophones, dont la Tunisie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Maroc, doivent faire face à des temps de traitement de visa beaucoup plus lents que les personnes en provenance d’autres pays comme l’Inde, la Chine et les Philippines qui reçoivent habituellement un retour en quelques semaines. Et parfois, les délais pour certains pays sont jusqu’à cinq mois, selon les informations compilées par Le Devoir.
J’avais de la misère à croire que cet écart existe, donc je suis allé voir moi-même sur le site Internet du gouvernement du Canada. Temps de traitement pour quelqu’un du Maroc ? 167 jours. De la Côte d’Ivoire ? 244 jours. Du Sénégal ? 260 jours.
Et dans le cas des autres pays… l’Inde, 37 jours, les Philippines, 30 jours, et la Chine, 24 jours.
Selon le gouvernement fédéral, « le temps de traitement varie d’une demande à l’autre, car chaque demande est différente », sans préciser ce qu’il veut dire par « différent ».
Cette année, Ottawa a décidé de prolonger pour deux ans sa politique d’intérêt public temporaire afin de pallier la pénurie de main-d’œuvre exacerbée par la pandémie. La politique permet aux détenteurs d’un visa de visiteur d’obtenir un permis de travail sans quitter le pays, tant qu’ils reçoivent une offre d’emploi valide.
Ben est d’avis que des pays comme l’Inde et la Chine ont une longueur d’avance, donc un avantage énorme comparativement aux immigrants de pays francophones. Il compare sa situation à celle de son frère qui a décidé de s’installer en Suède. Dans ce pays, le temps de traitement d’un visa de visiteur est de 15 jours, affirme-t-il, ce qui crée un sentiment de découragement chez le Marocain.
En écoutant son témoignage, je ne peux que compatir et ressentir sa frustration. Il y a réellement deux poids, deux mesures dans cette situation. Oui, c’est une bonne chose que certains pays aient accès plus facilement à un visa, mais il est totalement injuste que les pays de la Francophonie ne puissent pas avoir la même qualité de service.
Comme mentionné plus haut, le gouvernement du Canada veut attirer plus d’immigrants francophones dans les prochaines années. Si ce n’est pas que des beaux mots, mais une réelle promesse, il faut s’assurer qu’on ait un poids, une mesure. La situation actuelle est ridicule et j’ai plein de questions. Est-ce que certains pays ont une meilleure relation avec le Canada, donc moins de temps à attendre pour leurs papiers ? Est-ce qu’on priorise certains pays plus que d’autres ? Pourquoi ?
Le 20 mars, le drapeau de la Francophonie a été hissé à la résidence officielle du gouverneur de la Nouvelle-Écosse. C’était un moment de célébration pour les gens qui ont le français à cœur, mais aussi une période de réflexion.
Quel est le Canada de demain ? Je pense que la francophonie canadienne « ethno-culturelle » ne sera plus la norme. On le voit déjà : en 1959, le taux de natalité au Canada était de 28,8 naissances pour 1 000 femmes, soit 19,3 de plus qu’en 2020. Les Canadiens n’élèvent plus de grandes familles, ce qui est en train de changer radicalement le portrait des communautés francophones en situation minoritaire.
Bref, on a besoin des gens d’ailleurs pour enrichir nos communautés. On ne peut pas continuer sans l’immigration.
J’aimerais alors qu’Ottawa arrête de nous dire ce qu’il veut faire et qu’il commence à nous dire comment il va arriver à attirer davantage de gens, car, à l’heure qu’il est, la balance semble pencher d’un bord, et ce n’est pas celui du Canada français.
Jean-Philippe Giroux
Rédacteur en chef