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le Mercredi 22 mars 2023 8:00 Chronique -Au rythme de notre monde

Terres locales : ceramica et argilla en Italie

Théière, tasses et assiettes gravées par sgraffito — PHOTO(S) - Gracieuseté : Giulia Sbernini
Théière, tasses et assiettes gravées par sgraffito
PHOTO(S) - Gracieuseté : Giulia Sbernini
L’argile et la poterie sont ancrées dans le paysage de l’Italie depuis longtemps. Chez certains, le métier traditionnel fait encore appel aux terres locales. En témoigne l’œuvre de Giulia Sbernini, sculptrice de céramique et potière originaire de Parma, pour qui l’histoire et les pratiques demeurent vivantes grâce aux occasions d’apprentissage qui lui sont offertes depuis une dizaine d’années.

Traditions dans la terre : mémoire, matériaux et métier

Aux 7e-5e siècles avant notre ère, le peuple étrusque – de l’Italie préromaine – se servait des terres argileuses de leur région pour créer de la poterie. Des fouilles archéologiques démontrent que les articles bucchero – une technique locale de poterie – fut surtout employée par eux.

Giulia Sbernini explique qu’elle a eu l’occasion, au cours des dernières années, de travailler auprès d’un « maître-potier spécialisé dans la poterie étrusque, et notamment dans le bucchero ». 

Quel est le bucchero, alors ? Cet artisan, qui était archéologue de formation, avait fabriqué une réplique des fours à l’ancienne (kilns) où sont placés les récipients (vessels) en argile.

Dans la chaleur du four, « les pièces sont cuites dans un environnement privé d’oxygène et une situation chimique magique se produit en les privant d’oxygène », explique Giulia. 

« Pendant la cuisson (firing), les pièces deviennent noires. Mais ce n’est pas le type de noir que l’on obtient par la fumée seule. C’est vraiment la constitution chimique de l’argile qui se transforme. Ainsi, la cuisson elle-même est responsable de la couleur… et c’est noir. Noir absolu. Incroyable ! ». Cette couleur ne s’enlève même pas, contrairement à la suie. 

Presque mille billes fabriquées à la main et cuites selon la tradition bucchero, auprès du maître-potier, prêtes pour enfiler des colliers

Si l’archéologie éclaire les traditions telles qu’elles ont évolué au fil des siècles, les terres locales révèlent les matériaux avec lesquels les potiers auraient fabriqué leurs pièces. Le paysage, en Italie, reflète cette richesse. 

Selon Giulia, « le type d’argile qui se trouvait dans un lieu déterminait le type de tradition potière. La majorité de l’argile que l’on trouve dans le sol italien est la terra cotta. Cela est littéralement “la terre cuite”. »

Une étude archéologique menée par Kostalena Michelaki, Gregory V. Braun et Ronald G. V. Hancock, intitulée Local Clay Sources as Histories of Human-Landscape Interactions: A Ceramic Taskscape Perspective (2015), souligne les rapports intimes entre un lieu et sa population. 

Les chercheurs affirment que « les choix de matières premières ne nous renseignent pas seulement sur la façon dont les gens du passé fabriquaient des pots. Ils nous racontent les récits des interactions apprises et harmonisées entre les personnes, les matériaux et les paysages » (ma traduction).

Aujourd’hui, la pratique de récupération de l’argile locale (en italien, terre locali) pour faire de la poterie, ou de la céramique, est moins courante qu’auparavant. « Ici en Italie, maintenant, cela est en déclin », rapporte Giuli. Pourtant, elle œuvre de temps à autre à même ce patrimoine matériel.

Cette approche implique tout un processus, et la patience est de mise. L’artiste explique que, selon certaines traditions au Japon, les petits-enfants auraient utilisé l’argile qui avait été cueillie et nettoyée par leurs grands-parents. C’est-à-dire que le matériau aurait été conservé pendant ces générations. 

Règle générale, le processus se compose des étapes de la cueillette, du tamisage, du nettoyage, du vieillissement et de la maturation pour arriver à la plasticité nécessaire. Cela étant dit, l’argile cueillie d’un endroit en comparaison avec celle d’environ 10 pieds de distance, par exemple, peut réagir différemment, ce qui requiert éventuellement des adaptations dans la préparation et la cuisson. 

Pour Giulia, cependant, le défi consiste à ne pas avoir personnellement vécu assez longtemps dans un endroit donné pour connaître sa terre et pouvoir « revenir pour cueillir l’argile dite locale ».

Quand elle reçoit des demandes spéciales, elle exploite exclusivement l’argile recueillie à la main. « J’adore ramasser ma propre argile, surtout parce que cela me permet de connaître son lieu. » 

Mais, pour Giulia, il y a de la place pour les deux : l’argile locale et commerciale. Face à la mondialisation, et pour gagner sa vie, elle « a parfois recours à de l’argile commerciale qui a mûri et qui a été testée ». C’est le grès qu’elle utilise le plus, et alors c’est celui qu’elle achète.

Pichets d’argile fabriqués avec l’engobe d’argile violet des montagnes Appennini

Il y a toutefois moyen d’unir les argiles locale et commerciale, « en appliquant l’argile locale que j’ai recueillie à la main comme un engobe. Il s’agit d’une couleur appliquée à l’extérieur. Il y a donc au moins une partie du lieu qui accompagne le travail qui m’est demandé », précise-t-elle.

La Vecchia Signora – la vieille dame

Ayant traversé l’océan Atlantique, en quittant son pays natal, il y a dix ans, Mme Sbernini a premièrement appris l’art de la sculpture. Arrivée en Californie, aux États-Unis, en 2013, elle a eu la chance de travailler avec l’argile auprès d’une sculptrice de céramique douée qui lui a permis de vivre ce qui pourrait ressembler à « un apprentissage à l’ancienne ». 

Giulia raconte : « J’ai commencé par nettoyer son atelier, tandis qu’elle m’observait pour savoir si j’étais sérieuse ou non. Avec le temps, elle est devenue incroyablement généreuse, une enseignante à vie. » 

Giulia a été apprentie auprès d’elle pendant six ans. Ce n’est que plus tard qu’elle s’est tournée la poterie …

Sbernini avoue avoir été « présomptueuse au départ ». À l’époque, elle se disait que la sculpture faisait partie du domaine de l’art tandis que la poterie était plutôt « un craft ». Des apprentissages, depuis lors, l’ont amenée à voir que « le don est dans l’argile elle-même ».

Elders – Anziani, sculpture réalisée en 2020 avec de l’argile rouge et polie à la main

La poterie, cette ancienne tradition transmise par les pratiques et dévoilée par l’archéologie et l’histoire, est un moyen de façonner l’argile de sorte que son produit puisse être fonctionnel, au jour le jour, ainsi que décoratif.

Giulia redonne aujourd’hui à celle-ci en faisant d’elle le nom de son entreprise : La Vecchia Signora. Se traduisant par « la vieille dame », ce nom redonne l’importance à la terre, à l’argile. « Sans elle, il n’y aurait ni poterie ni potier. »

Alors que le milieu physique lui donne son métier, le travail comme tel est « un souvenir ancien ». Ce n’est pas une question d’expression personnelle, mais plutôt une réflexion culturelle de l’espace dans lequel elle vit, pour Sbernini. « C’est une grande bénédiction qui est arrivée dans ma vie », dit-elle, en racontant qu’il lui avait fallu chercher pendant un certain temps afin de trouver un médium qui lui resterait fidèle. Enfin, la poterie.

Surtout quand elle faisait uniquement de la sculpture, elle dit avoir eu la chance du débutant. « La plupart des choses sont sorties très facilement de mes mains, mais pas grâce à mes compétences. » 

Elle attribue cette aisance aux parcours de ses ancêtres et à son lieu d’origine qui ont su éclairer les formes qu’elle a façonnées, et qu’elle façonne encore, ainsi qu’aux différentes pratiques qui l’ont guidée alors qu’elle habitait en Amérique du Nord. Ces héritages lui ont permis de transmettre « un souvenir mémorisé ou une histoire plus vaste ».

Le tout était assez facile au début. Voilà que le travail est devenu plus dur et elle a dû s’appliquer, partage-t-elle en rigolant. Son apprentissage se poursuit par l’étude des divers types de poteries, de sculptures, de formes étrusques, celtiques et ligures, auprès de maîtres-potiers dans son pays natal, Italia, et par sa participation à des expositions et des marchés d’art et d’artisanat.

« En fin de compte, quand on travaille avec la terre, on apprend d’elle. »

Pour en savoir davantage : giuliasbernini.com / @giulia.sbernini sur Instagram