
L’animatrice de l’émission La Mouvée sur ICI Acadie Nathalie Geddry et le réalisateur Phil Comeau discute du film L’Ordre secret.
Les hommes doivent-ils se passer de les voir? Non, au contraire!
Sous-titré « la misogynie au temps du numérique », ce documentaire de Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist aurait aussi pu figurer dans le récent festival du film noir. L’un des témoignages vient d’une ex-parlementaire noire du Vermont, originaire de Chicago, que des campagnes intimidatrices ont forcée à démissionner de son mandat électoral et à déménager, sans que suprémacistes et autres misogynes cessent leur traque.
L’Organisation des Nations unies visait cette année l’accès au numérique par les femmes. Ce film présente le côté inquiétant de cet accès. Une jeune actrice parisienne, une adolescente montréalaise dans l’insécurité, le suicide de Rehtaeh Parsons en Nouvelle-Écosse, l’assassinat de la parlementaire britannique Jo Cox, tout cela en partie via les médias virtuels où les menaces … aboutissent parfois à des actes bien réels.
Un film ne règle pas les problèmes. Les situations évoluent : la Nouvelle-Écosse a maintenant un cadre juridique pour des cas comme celui de Rehtaeh, l’Italie a aujourd’hui une première ministre, tout comme la France, et la politicienne figurant dans le film fait moins figure solitaire.
Un peu comme Mourir à tue-tête avait posé clairement la question du viol comme arme utilisée pour briser la vie de victimes, ce film-ci fait réfléchir. Comment peut-on contrôler l’usage virtuel de la menace qui peut terroriser, voire gâcher la vie, de la victime potentielle ? La réponse appartient non seulement aux législateurs, mais aussi à nous tous et toutes. C’est dans nos têtes, dans nos écoles, dans notre relation aux autres, que les attitudes changeront. Dire à quelqu’un qu’on va la – ou le – tuer, clamer qu’on va violer la « salope », c’est inacceptable.
Majoritaires en nombre, les femmes ont collectivement des réflexes souvent propres aux minorités. Ne pas faire de vagues. Ne pas provoquer. Ne pas trop réclamer. Et pourtant, dans le film de Phil Comeau, L’Ordre secret, datant lui aussi de 2022, les femmes ne sont pas officiellement présentes dans l’Ordre de Jacques-Cartier, ouvert aux seuls hommes catholiques. Exception : une femme qui offre des services de secrétariat bénévole indispensables. Mais les épouses étaient-elles sans influence sur leurs conjoints…lorsqu’on parlait d’éducation, par exemple ?
L’Ordre, surnommé en Acadie tout au moins « la Patente » (une manière discrète pour les initiés de se reconnaître entre eux sans trahir le secret), était une réponse aux réseaux parfois ouvertement anti-francophones et racistes. Non seulement les loges orangistes ou le Ku Klux Klan, mais les réseaux d’old boys’ networks s’assurant de garder à une élite blanche anglophone le pouvoir dans les fonctions publiques fédérales ou provinciales. Avec l’appui du clergé catholique, il fallait faire avancer la cause du Canada français.
Répondant à une question, le cinéaste, dont le père avait fait partie d’une commanderie acadienne de l’Ordre (oui, des « commanderies », comme au temps des Templiers…), n’a pas caché que, selon lui, sans l’Ordre, les progrès des francophones depuis les années 1920 n’auraient pas eu lieu. Lorsque l’Ordre se saborde officiellement dans les années 1960, sa mission est accomplie. Le temps de la clandestinité est révolu.
Élection de Louis J. Robichaud au Nouveau-Brunswick comme premier ministre, travail de l’Association acadienne d’éducation, bénévolat continu dans les associations locales, appui aux festivals comme le Festival acadien de Clare, développement des Caisses populaires acadiennes… dans bien des domaines, l’Ordre et ses membres ont été actifs.
J’ai pour ma part travaillé avec des membres de l’Ordre, comme Martin J. Légère, grand patron de la Fédération des caisses populaires acadiennes. Mon ami Euclide Chiasson est longuement interviewé dans le film.
À partir des années 1970, on veut revendiquer publiquement. La Patente semble, dans certaines régions, constituer une sorte d’élite trop conservatrice. Et les femmes ? Louise Blanchard rappelle les combats de sa mère Mathilda, peu représentée par un Ordre figé sur une hiérarchie masculine.
C’est l’un des mérites de ce film que la recherche faite par le cinéaste à Ottawa ou Moncton, où il retrouve parmi des milliers de membres la trace de son père. Des comédiens rejouent pour nous une cérémonie d’initiation. Invité, on revit le voyage de Cartier. On a des frissons… on prête serment. L’Acadie moderne est alors un rêve, mais cet ordre veut réaliser le rêve…
Deux films à voir, et pas seulement par des femmes ou des Acadiens. Pour beaucoup à Halifax, une découverte grâce aux Rendez-vous de la Francophonie. Des histoires en film qui font réfléchir et donnent la parole…