le Lundi 29 mai 2023
le Vendredi 6 janvier 2023 7:00 | mis à jour le 6 janvier 2023 8:05 Éditorial

Un peu d’éconostalgie

  PHOTO - Ales Krivec (Unsplash)
PHOTO - Ales Krivec (Unsplash)
Nous sommes en janvier 2023. En regardant par la fenêtre à Rockland, en Ontario, là où ma famille habite, je vois les dernières couches de neige de la récente tempête du temps des Fêtes qui a bouleversé les plans à bon nombre de voyageurs. C’est assez différent de cet « hiver vert » que j’ai vécu en décembre à Halifax où certains se sont réjouis de pouvoir golfer quelques jours avant le mois de janvier.

Le Canada se réchauffe, soit deux fois plus vite que l’ensemble des autres pays de la Terre. Le Nord du Canada, de son côté, fait face à la fonte trois fois plus rapidement qu’ailleurs dans le monde. Quand j’étais jeune, dans le nord de l’Ontario, il faisait tellement froid qu’on ne pouvait pas sortir dehors à certains moments de la journée sans souffrir de gelures. On avait besoin de plusieurs couches pour survivre. Cette année, lors de ma visite à Timmins, je pouvais marcher dehors sans manteau. 

N’ayant pas grandi en Nouvelle-Écosse, j’ai demandé à une personne native du sud-ouest si l’absence de neige en décembre est normale. La réponse était un non catégorique, ce qui ne m’a pas du tout étonné. 

L’année dernière, deux étudiantes de l’Université Dalhousie ont compilé soixante ans de données, soit de 1960 à 2020, pour découvrir ce qu’on soupçonne déjà : les températures chaudes en Nouvelle-Écosse sont de plus en plus fréquentes et le mercure est tombé moins souvent depuis les trois dernières décennies. 

Selon Climate Data Canada, la température moyenne annuelle à Halifax était de 6,6 ºC de 1951 à 1980. Pour les trois décennies suivantes, la moyenne était de 7,1 ºC. « Dans un scénario d’émissions élevées, les températures moyennes annuelles devraient être de 8,8 ºC pour la période 2021-2050, de 10,4 ºC pour la période 2051-2080 et de 11,7 ºC pour les 30 dernières années de ce siècle », peut-on lire sur le site Internet du projet. 

Mais ce qui m’inquiète le plus dans tout ça, ce ne sont pas les changements climatiques – aussi préoccupants qu’ils soient – mais bien mon sentiment d’impuissance : on sait que c’est un problème, on est témoin de ses effets néfastes, mais on ne sait pas vraiment comment améliorer la situation par nous-même. On composte plus, on conduit moins, mais est-ce assez de faire notre part ? Et faut-il se sentir coupable, sachant que quelque 100 grandes entreprises sont responsables de plus de 70 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1988 ?

D’après une étude berlinoise, les Canadiens doivent réduire de 82 % leurs émissions d’ici la fin de la décennie afin d’atteindre l’objectif de 1,5 ºC fixé par l’Accord de Paris. À l’heure actuelle, l’empreinte carbone par habitant au Canada est de 14,2 tonnes par. La cible mondiale d’ici 2030 est de 2,5 tonnes. 

Ce que je ressens, ce n’est pas forcément de l’écoanxiété, mais plutôt de « l’éconostalgie » du cycle des saisons d’autrefois. La neige me manque. La glace me manque. Le froid – aussi incommode qu’il soit – me manque. 

Plus le temps passe, plus il faudra s’adapter à notre nouveau monde où tout change rapidement et définitivement. À bien y penser, ça me glace le sang. 

Jean-Philippe Giroux 

Rédacteur en chef